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Zoom de la semaine : Situation économique et financière de l’Ouzbékistan

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Pays le plus peuplé d’Asie centrale, avec une population de l’ordre de 35,6 millions d’habitants, l’Ouzbékistan est la deuxième économie de la zone avec un PIB nominal qui s’élevait à environ 69 Md USD en 2021, soit un PIB par habitant de près de 2000 USD. L’économie ouzbèke a confirmé sa résilience au 1er semestre 2022 après avoir enregistré une croissance de 7,4% en 2021. La vigueur des exportations et des envois de fonds des particuliers a considérablement amorti les conséquences attendues de la guerre en Ukraine, tandis que les finances publiques apparaissent maîtrisées à court terme malgré une trajectoire ascendante de la dette et le maintien d’un déficit public significatif. Les réformes structurelles se poursuivent avec des résultats inégaux selon les secteurs.

1/ Une forte résilience de l’économie ouzbèke au 1er semestre.

A) L’impact de la guerre en Ukraine a été amorti par des facteurs conjoncturels extérieurs

Le PIB réel de l’Ouzbékistan a augmenté de 5,4% en g.a. au 1er semestre 2022. Dans la lignée des périodes précédentes, les services ont été le principal contributeur à la croissance, à hauteur de 2,8 points de pourcentage (p.p.), suivis de l’industrie (+1,3 p.p.), de l’agriculture (+0,6 p.p.) et de la construction (+0,4 p.p.). Du point de vue des dépenses, le dynamisme de l’investissement en capital fixe, en hausse de 9,4% en g.a. au 1er semestre, et des ventes de détail (+9,9% en g.a.) a contribué à la bonne tenue de l’activité. La performance de l’économie ouzbèke s’est avérée meilleure qu’attendu par les institutions financières (IFI) et les agences de notation, ce qui a d’ores et déjà conduit à un relèvement par Fitch de sa prévision de croissance pour 2022 de 3,1% à 5,1%. La croissance devrait ralentir légèrement à 4,7% en 2023 avant de retrouver son niveau potentiel à 5,4% en 2024.

L’économie ouzbèke a bénéficié de conditions extérieures favorables qui lui ont permis d’absorber le choc initial causé par la guerre en Ukraine. La très forte appréciation du rouble russe par rapport au dollar américain au 2ème semestre a gonflé les flux financiers provenant pour l’essentiel de Russie, qui se sont établis en hausse de 96% en g.a. à 6,5 Md USD au 1er semestre, soit l’équivalent de 17,8% du PIB prévisionnel. Le commerce extérieur a également soutenu l’activité avec une hausse des exportations en valeur de 38,1% en g.a. à 11,3 Md USD. La croissance des exportations a été particulièrement significative pour les métaux précieux (+80%, 3 Md USD), mais aussi les produits textiles (+28,7%, 433 M USD) et les services (+44,8%, 2 Md USD). Les exportations de coton se sont maintenues à un niveau proche de l’année précédente (-1%, 1,1 Md USD)

B) L’inflation est en voie de stabilisation à un niveau élevé

La poussée inflationniste provoquée par le déclenchement de la guerre en Ukraine semble contenue depuis le début de l’été. Mesuré en glissement annuel, le rythme de progression de l’indice des prix à la consommation s’est accéléré entre février et juin 2022 (de 9,7% à 12,2%), mais n’a augmenté ensuite que de 0,1 point de pourcentage au cours des deux derniers mois (12,3% en août). Cette accalmie résulte, d’une part, du resserrement de la politique monétaire opéré dès le début de la crise via une hausse du taux directeur de 300 points de base à 17% le 18 mars[1] ; d’autre part, de l’appréciation du sum par rapport au dollar au 2ème trimestre (+5% entre le 1er avril et le 1er juillet), qui a exercé une pression à la baisse sur les prix, permettant de tempérer la hausse de l’inflation. Ces deux facteurs ont participé à la baisse des anticipations d’inflation à 12 mois des ménages, de 17,6% en mai à 15,2% en juillet. La Banque centrale d’Ouzbékistan n’est pas intervenue sur le marché des changes en dehors de ses opérations habituelles de stérilisation liées aux achats d’or extrait localement. Le niveau des réserves internationales demeure ainsi particulièrement élevé à 35,6 Md USD au 1er juillet 2022 (+4,2% en g.a.), soit 51% du PIB et l’équivalent de plus de 14 mois d’importations.

Les IFI prévoient une inflation annuelle proche de 12% d’ici la fin de l’année. Le niveau d’incertitude reste élevé en raison des turbulences sur les marchés mondiaux de l’énergie et des biens alimentaires. L’augmentation graduelle des tarifs prévue dans le cadre de la réforme du marché de l’énergie pourrait constituer un facteur inflationniste supplémentaire.

Figure 1. Inflation et politique monétaire

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2/ Une consolidation attendue des comptes publics et externes.  

A) Le déficit courant en 2022 devrait atteindre son plus bas niveau en cinq ans

Le compte courant a été déficitaire à hauteur de 499 M USD au 1er semestre 2022, soit 1,4% du PIB prévisionnel pour 2022[2]. A titre de comparaison, il s’élevait à près de 3,3 Md USD au 1er trimestre 2021. Cette diminution significative s’explique pour l’essentiel par l’augmentation des envois de fonds des particuliers depuis la Russie, qui ont concouru à une hausse de 120% de l’excédent de la balance des revenus secondaires à 5,3 Md USD. Au total, l’excédent de la balance des revenus a progressé à 5,9 Md USD (contre 2,4 Md USD au 1er semestre 2022), compensant plus de 92% du déficit commercial, qui est resté stable par rapport à l’année précédente à 6,4 Md USD.

En 2022, le déficit courant devrait s’établir à 2,1%, soit son plus bas niveau depuis 2017[3],  en nette diminution par rapport à l’année précédente (7% du PIB). Le déficit se situerait alors en-dessous de la norme considérée comme souhaitable à moyen terme par le FMI, c’est-à-dire en accord avec les fondamentaux macroéconomiques du pays[4], estimée à 3,75 – 5,75% du PIB. La normalisation du compte de revenus devrait favoriser un retour à cette norme en 2023 (-4,1% du PIB) et en 2024 (-5,4%).

Figure 2. Évolution semestrielle du compte courant

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B) La dépense publique est encadrée par de nouvelles règles budgétaires

Le déficit public devrait légèrement se résorber en 2022 à 4,5 – 5% du PIB[5], contre 6,2% au terme du précédent exercice budgétaire. La période 2020-2021 a été marquée par un creusement du déficit public sous l’effet des mesures de soutien contracycliques aux ménages et aux entreprises[6], dont le coût total a été évalué à 5% du PIB par le FMI. Malgré l’inscription d’un objectif de déficit inférieur à 3 % dans la loi de programmation budgétaire pour 2022, ces mesures se sont poursuivies au 1er semestre 2022 avec la revalorisation de 20% en février du montant du panier de consommation minimum à 500 000 UZS[7] (46 USD) ainsi qu’une revalorisation de 12% des retraites et des salaires dans le secteur public. Si le plafond de déficit fixé dans le budget ne peut être respecté en 2022 du fait de ces dépenses, il restera l’objectif à moyen terme, avec un déficit anticipé à 3,4% du PIB par le FMI en 2023. Les autorités devront néanmoins composer avec une baisse de la TVA annoncée de 15% à 12%, qui devra être compensée par la suppression de niches fiscales et l’amélioration de la collecte des impôts.

La dette publique a poursuivi sa progression mais présente un faible facteur de risque. Au 1er janvier 2022, la dette publique ouzbèke s’est établie à 26,3 Md USD, soit 38% du PIB. Elle était constituée à 89% de dette extérieure. La dette rapportée au PIB est stable par rapport à l’an dernier mais a augmenté de 13,3% en valeur absolue en g.a. Elle avait connu une augmentation rapide au cours des années précédentes, passant de 18,6% du PIB en 2017 à 39% en 2020[8]. Cette augmentation devrait être limitée dans les prochaines années (38,2% en 2022, 37,2% en 2023 selon le FMI) alors que les autorités ont introduit dans la loi un plafond de dette à 60% du PIB ainsi que l’obligation d’adopter des mesures rectificatives en cas de dépassement de 50% du PIB. La dette extérieure totale s’élevait à 43,3 Md USD au 1er semestre 2022, soit 59,3% du PIB, et devrait atteindre 62% du PIB d’ici à la fin de l’année. Le FMI considère que le niveau de risque sur la dette publique et extérieure est faible eu égard à leur montant actuel, à leur dynamique et au besoin d’investissement du pays.

Figure 3. Évolution de la dette extérieure

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3/ Une mise en œuvre inégale des réformes structurelles.  

A) Le développement du secteur bancaire est entravé par le rôle prédominant de l’État

Le secteur bancaire affiche des indicateurs solides et est peu exposé au secteur bancaire russe. Le taux de créances douteuses (NPL) a poursuivi sa diminution, de 6,2% en août 2021 à 4,9% début août 2022. Le ratio d’adéquation des fonds propres des banques s’établissait à 16,7%, en baisse de 0,8 p.p. en g.a., mais toujours supérieure à la norme définie à 13%. Les dépôts des particuliers ont continué à augmenter à un rythme supérieur (+62% en g.a. en valeur nominale, 6% du PIB) à celui des crédits à l’économie réelle (+14,4%, 40,9% du PIB). Les actifs totaux du secteur bancaire ont également progressé à 60,3% du PIB (+27,5%).

La privatisation du secteur bancaire demeure balbutiante. 12 des 33 banques ouzbèkes sont toujours détenues par l’État et totalisent 80% des actifs du secteur bancaire. La stratégie de réforme du secteur bancaire adoptée en mai 2020 vise à réduire cette part à 40% d’ici à 2025. Depuis son adoption, seule une banque, Asia Alliance Bank, représentant moins de 1% des actifs totaux du secteur bancaire a été effectivement privatisée. Un décret publié en mars dernier prévoit la cession par l’État de trois banques d’ici à la fin de l’année (25% des actifs du secteur bancaire) et de cinq autres en 2023 (45% des actifs)[9]. L’étatisation du secteur bancaire limite l’accès du secteur privé au crédit et contribue à un faible niveau d’intermédiation financière, réduisant la transmission de la politique monétaire à l’économie réelle.

B) L’avancée des réformes structurelles est variable selon les secteurs.

Plusieurs avancées notables ont eu lieu en matière de lutte contre la corruption et de respect de l’État de droit. La commande publique en Ouzbékistan est désormais centralisée via un portail public unique, doublé d’une obligation de divulgation des propriétaires réels des entreprises répondant aux appels d’offres. Une obligation de déclaration de patrimoine pour les élus et hauts fonctionnaires est également en cours d’élaboration par les autorités.

L’adaptation des prix aux règles de marché demeure disparate. Si la libéralisation des prix du blé et du coton s’est poursuivie, les prix sur le marché de l’énergie restent inférieurs à leur coût de revient et les autorités devront veiller à les augmenter tout en limitant l’impact de cette hausse sur les ménages les plus vulnérables.



[1] Le taux directeur a depuis été abaissé à 15% par deux baisses successives de 100 p.d.b en juin et en juillet.

[2] Données préliminaires de la Banque centrale

[3] Prévision de Fitch. Les prévisions beaucoup plus pessimistes du FMI (-8,3%) et d’autres IFI s’appuyaient sur une hypothèse de forte diminution des revenus de transferts au 1er semestre, qui semble invalidée par les chiffres disponibles.

[4] Cette norme traduit à la fois la dynamique démographique de l’Ouzbékistan, pays jeune dont le besoin d’épargne est faible, et son écart de productivité avec le reste du monde qui est compensé par une augmentation de la quantité de capital par travailleur. Au total, le niveau d’investissement dépasse celui de l’épargne et se traduit par un déficit du compte courant.

[5] 4,4% pour le FMI, 4,8% pour Fitch.

[6] Ces mesures ont été réparties à part égales entre, d’une part, les secteurs de l’éducation, de la santé et de la protection sociale et, d’autre part, l’investissement public.

[7] Ce panier détermine le montant des aides versées aux ménages dans une fourchette de 60 à 200% de son montant. Le nombre de bénéficiaires de ces aides a triplé entre le début de l’année 2020 et avril 2022 à 1,8 million de personnes.

[8] Cette augmentation coïncide avec l’ouverture et le début des réformes économiques en Ouzbékistan, qui ont nécessité et nécessitent toujours d’importants financements extérieurs.

[9] Dont Uzpromstroybank (2e banque du pays par les actifs), Asaka Bank (3e) et Kichlok Kourilich Bank (7e) en 2022.