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Zoom de la semaine : Situation économique et financière de l’Arménie

Appartenant à la tranche supérieure des pays à revenu intermédiaire (PIB par habitant de 4 595 USD en 2021), l’Arménie a été durement touchée par la pandémie de Covid-19 et le conflit du Haut-Karabakh, qui ont interrompu la dynamique de croissance engagée à la fin des années 2010. L’économie arménienne a toutefois connu une embellie en 2021 avec une hausse de l’activité estimée à 5,7%, qui semble se prolonger au 1er trimestre 2022 en dépit de l’impact macroéconomique de la guerre en Ukraine. Un afflux inédit de visiteurs et de flux financiers en provenance de Russie a stimulé les services et largement contribué à ce bon résultat. La vulnérabilité externe du pays reste néanmoins un sujet de préoccupation, notamment en raison du creusement de son déficit commercial structurel et de sa dette publique élevée.

1/ Une croissance de l’économie réelle tirée par le secteur des services. L’Arménie a enregistré la plus forte croissance parmi les pays de l’Union économique eurasiatique au 1er semestre 2022, avec une hausse du PIB estimée à 11% en glissement annuel[1], déjouant ainsi les prévisions de la Banque centrale d’Arménie (BCA) et des institutions financières internationales. L’activité a augmenté respectivement de 8,7% et de 13% aux 1er et 2ème trimestres 2022[2]. Ce rebond est dû pour l’essentiel au dynamisme des services et du commerce, en hausses respectives de 26,9% et 10,7% en g.a. sur la première moitié de l’année[3], qui ont assuré plus de 80% de la progression du PIB au premier semestre (cf graphique 1). Le secteur tertiaire a tiré profit de l’afflux de non-résidents en provenance de Russie et de la reprise du tourisme[4]. La consommation a été soutenue par la hausse inédite des envois de fonds depuis l’étranger, qui ont pratiquement doublé à 1,9 Md USD, soit 26,6% du PIB. La part de la Russie dans ces transferts a fortement augmenté, passant de 41% en moyenne en 2021 à 61% au 1er semestre 2022. Le gonflement de la valeur nominale en dollar de ces transferts, qui s’est principalement concentré sur le 2ème trimestre, traduit la forte appréciation du rouble russe par rapport à la devise américaine[5] (cf graphique 2).

Graphique 1. Évolution des transferts entrants (M USD) et taux de change RUB/USD (courbe, e.d.d)

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La contribution des autres secteurs à la croissance a été plus modeste : la production industrielle a crû de 5,8% en g.a. au 1er semestre grâce au dynamisme de l’industrie manufacturière (+15,1% en g.a.), tandis que l’industrie extractive a pâti de l’interruption de l’activité de la mine de Teghut[6] (-10,7% en g.a.). La production agricole a enregistré une diminution de 5,5% en g.a. La tendance esquissée au 1er semestre devrait se poursuivre au cours de la deuxième moitié de l’année[7], conduisant la Banque centrale d’Arménie à relever sa prévision de croissance pour 2022 de 1,6% à 4,9%. Le dynamisme de l’économie a permis une certaine résorption du taux de chômage, passé de 16,7% au 1er trimestre 2021 à 14,8% au 1er trimestre 2022. Cependant, la recrudescence des tensions observée dans le Haut-Karabagh au cours de l’été[8], si elle était amenée à s’intensifier, ferait peser un risque important sur la croissance au 2ème semestre.

 Graphique 2. Évolution trimestrielle du PIB et contributions sectorielles

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2/ Un secteur financier résilient malgré la relative atonie du crédit.  Le secteur bancaire affiche des ratios prudentiels satisfaisants, avec un ratio de fonds propres hors coussins supplémentaires à 18,6% fin juin 2022 pour une exigence réglementaire de 12%. La part des crédits non performants dans le portefeuille total de crédits à la même date était contenue à 2,9%, mais a enregistré une hausse de 1 p.p. par rapport au début de l’année. Fin juillet 2022, la dollarisation des dépôts demeure stable et élevée à 50,7% (-1,5 p.p. en g.a.), alors que celle des crédits a baissé de 7,8 p.p. en g.a. à 38,6%, conséquence possible de la forte appréciation du dram. La distribution de crédit à l’économie réelle a augmenté de 2,7% en g.a. à 3861 Md AMD (9,5 Md USD) fin juillet 2022, mais stagne depuis le début de l’année. Les dépôts des particuliers ont augmenté de 14% en g.a. à 1935 M AMD (4,7 Md USD). Les actifs du secteur bancaire totalisent 7265 Md AMD (17,8 Md USD) fin juin 2022, soit 96% du PIB, en hausse de 6,9% en g.a.

3/ Une accélération de l’inflation modérée par l’appréciation du dram.  Alimentée par la hausse des prix des produits importés, notamment alimentaires et énergétiques, l’inflation annuelle a augmenté de 7,1% à 10,3% entre les mois de janvier et de juin 2022. Elle a ralenti à 9,3% en juillet à la faveur d’une baisse des prix des légumes de 0,9%, tandis que le prix des services et des biens non alimentaires a poursuivi son augmentation. La Banque centrale d’Arménie a réagi par plusieurs hausses de taux directeur au premier trimestre[9], pour une hausse cumulée de 150 points de base à 9,25%. Un relèvement de 25 pdb supplémentaires est intervenu le 2 août (cf graphique 3). 

Graphique 3. Politique monétaire, inflation et taux de change

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La réticence de la BCA à un resserrement rapide de la politique monétaire après le choc initial du premier trimestre s’explique par la forte appréciation du dram par rapport au dollar depuis le début du mois d’avril (+19,9% entre le 1er janvier et le 1er septembre), qui exerce une pression désinflationniste et modère les anticipations d’inflation. L’appréciation de la devise arménienne est stimulée par la forte demande externe de services ainsi que par l’afflux de devises via les transferts financiers depuis l’étranger (cf graphique 2). La BCA n’exclut toutefois pas des hausses ultérieures du taux directeur eu égard au dynamisme de la demande intérieure et au maintien de pressions inflationnistes externes. Au 1er août, elle disposait par ailleurs de 3,5 Md USD de réserves de change (+15,2% en g.a.) soit 6,4 mois d’importations, ce qui lui laisse une marge de manœuvre confortable pour procéder à des interventions sur le marché des changes. L’Arménie a de surcroît bénéficié d’une possibilité de décaissement de 35 M USD au terme de la sixième et dernière revue du programme triennal du FMI, intervenue en avril dernier[10].

3/ Une vulnérabilité extérieure toujours significative. Le déficit commercial de l’Arménie s’est creusé de 60% en janvier-juillet à 1,6 Md USD (19,5% du PIB). L’augmentation des importations en valeur (4 Md USD, +50,1% en g.a.) a été plus rapide que celle des exportations (2,4 Md USD, +43,9% en g.a.). Le renforcement du dram a des conséquences contrastées sur la balance commerciale en défavorisant, d’une part, les exportateurs et la compétitivité-prix des produits d’exportations, tout en réduisant, d’autre part, le coût des importations. Au 1er trimestre, le déficit courant a crû à 284 M USD (8,1% du PIB prévisionnel), contre 67,7 M USD sur la même période de l’année précédente. Sur l’ensemble de l’année, la BCA anticipe un déficit courant à 5,2% du PIB (906 M USD), contre 3,7% en 2021, en raison du creusement du déficit commercial et de la normalisation progressive des transferts financiers depuis l’étranger.

La dette publique arménienne atteignait près de 10 Md USD fin juillet 2022, en hausse de 11,2% en g.a. Elle représentait un peu plus de 71% du PIB en dollars. Sur la première moitié de l’année, le solde budgétaire a été excédentaire à hauteur de 72,4 Md AMD (154 M USD), soit environ 1,9% du PIB prévisionnel, à la faveur d’une augmentation des recettes budgétaires (+24,4% en g.a.), et notamment fiscales (+23,7% en g.a.) plus rapide que celle des dépenses (+5,1% en g.a.). La BCA prévoit un déficit à hauteur de 2,5% du PIB sur l’ensemble de l’année, en baisse de 2,1 points de pourcentage par rapport à 2021. La dette externe totale a également enregistré une hausse de 2,2% en g.a. et s’établissait à 13,4 Md USD fin mars 2022, soit 95,7% du PIB.

 

[1] Selon la Banque eurasiatique de développement. 

[2] Le haut niveau d’activité au 1er trimestre 2022 s’explique pour partie par un effet de base lié à la récession enregistrée sur la même période en 2021.

[3] Dont une hausse de 2% en g.a. pour les ventes de détail, et de 15,4% pour les ventes de gros

[4] Au 1er semestre 2022, le volume de transport (exprimé en voyageur-kilomètre) en Arménie a augmenté de 77,8% en g.a.

[5] Le rouble s’est apprécié de 49,6% par rapport au dollar entre le 1er janvier et le 30 juin 2022.

[6] 2ème site d’extraction de cuivre du pays.

[7] L’indicateur avancé d’activité économique était en hausse de 13,1% en janvier-juillet 2022.

[8] Le 3 août, le ministère de la Défense azerbaïdjanais a annoncé la prise de contrôle de plusieurs hauteurs stratégiques dans le Haut-Karabagh au terme d’une courte opération militaire.

[9] Le taux directeur a été remonté de 125 pdb le 15 mars 2022 à 9,25%.

[10] Le FMI a donné une appréciation d'ensemble positive de ce programme, considérant que l’Arménie avait réussi à mener d’importantes réformes structurelles malgré les multiples chocs internes et externes subis par le pays au cours de la période de mise en œuvre du programme.