Lettre économique d'AEOI - La gestion des déchets en AEOI

La gestion des déchets dans la zone constitue un défi majeur et nécessite une attention particulière pour viser une économie plus circulaire et plus respectueuse de l’environnement. La quantité de déchets produits a considérablement augmenté entre 2016 et 2019 dans les pays d’Afrique de l’Est (+28 % pour le Kenya ; +48 % en Tanzanie ; +94 % en Ethiopie ; +45 % en Ouganda). Composés principalement de déchets organiques, ils sont encore peu collectés – à l’exception de certaines capitales – et ne sont que marginalement valorisés ou recyclés. Bien que les pays commencent à prendre en compte l’enjeu de la gestion des déchets avec la mise en place de politiques directrices et de stratégies, les moyens financiers et humains des autorités publiques sont insuffisants pour assurer un service public efficient. Dans un contexte de déficit de systèmes de collecte et d’infrastructures de stockage, valorisation ou recyclage, le secteur privé ainsi que les bailleurs, et dans certains cas, les initiatives communautaires, jouent un rôle essentiel.

Une croissance exponentielle des déchets due à une urbanisation rapide

L’Afrique de l’Est est une région marquée par une augmentation de la production de déchets notamment due à la croissance démographique, l’urbanisation rapide, à une classe moyenne émergente et aux changements des habitudes de consommation. La population kenyane a augmenté sa production de déchets de près de 28% entre 2016 et 2019, de 45 % en Ouganda et près de 94% en Ethiopie.

La production de déchets par habitant en Afrique de l’Est est parmi les plus faibles du monde, 0,53 kg/hab par jour contre 1,38 kg/hab par jour en France. Les déchets organiques représentent 57 % des déchets générés dans la zone, plus que la moyenne mondiale (46 %) où la proportion en déchets papier et plastique est plus importante. Le service de collecte varie sensiblement en fonction des pays, comme à Kigali où 88% des déchets seraient collectés contre 70 % à Addis Abeba et 56 % à Kampala. La différence est encore plus nette entre zones rurales et urbaines. Les services de collecte et de transports des déchets existent principalement dans les centres urbains (55% de couverture de collecte), les zones périurbaines et rurales étant beaucoup moins desservies (9% de collecte).

Ces déchets collectés sont ensuite généralement déversés et brûlés délibérément dans des espaces à ciel ouvert, le long des routes en zone rurale ou dans les cours d’eau. Si certaines villes, en particulier les capitales, ont mis en place des sites désignés de stockage des déchets et dotés d’un contrôle d’accès, à l’image de la décharge de Dandora à Nairobi ou celle de Kiteezi à Kampala, elles ont, pour la plupart atteint leur capacité maximum depuis quelques années déjà. En moyenne, seulement 20 % des déchets sont déposés dans une décharge contrôlée, mais souvent à ciel ouvert, où les déchets sont peu traités et où les systèmes de protections des nappes phréatiques demeurent inexistants. Le taux de recyclage est estimé à 4 % seulement, et est généralement pris en charge par des entreprises privées (Takataka Solutions, Mr Green Africa au Kenya, Agruni au Rwanda, Tembo Steel en Ouganda), soutenu par un large secteur informel actif qui comprend des acheteurs itinérants et les collecteurs de déchets.

L’importation de déchets constitue également un flux non négligeable dont la région doit assurer la gestion. Près d’1,5 Mt de déchets en fin de vie auraient été exportés de l’Europe vers le continent africain en 2019. En outre, les changements de mode de vie font fortement croître la quantité de déchets d’équipements électriques et électroniques (D3E) qui a augmenté sur le continent de + 1 Mt en l’espace de 5 ans entre 2014 et 2019, le Kenya, l’Ethiopie et la Tanzanie ayant produit respectivement 51 300 tonnes, 55 200 tonnes et 50 200 tonnes de D3E en 2019.

Des autorités publiques qui font face à un manque de moyens humains et financiers et de politiques claires

Une bonne gouvernance est cruciale pour créer un environnement favorable à la gestion durable des déchets. La compétence de gestion des déchets relève, en Afrique de l’Est, des autorités publiques, soit au niveau national, comme en Ethiopie, ou des autorités locales, comme c’est le cas au Kenya, en Ouganda et en Tanzanie. L’ensemble de ces pays ont promulgué des lois qui encadrent la gestion du secteur et fixent des objectifs. Le Kenya a pour objectif de développer son système de gestion des déchets et d’élever son niveau de recyclage de déchets à 95% à horizon 2050 tandis que l’Ethiopie vise un taux de 50 % de recyclage des déchets d’ici à 2023. Les pays possèdent tous une autorité de régulation du secteur environnemental, qui inclut la gestion des déchets. La NEMA (National Environment Management Authority) au Kenya et en Ouganda s’assure de contrôler l’application des directives gouvernementales dans le pays. Certains pays ont montré plus d’ambition dans la réduction des déchets plastiques notamment le Rwanda qui a banni l’utilisation des sacs plastiques dès 2004, la Tanzanie en 2015 et le Kenya qui a interdit la fabrication, l’importation et la vente de sacs à usage unique en 2017.

Les pays ont également signé plusieurs conventions internationales relatives au traitement des déchets dont celle concernant les D3E, la Convention de Bâle en 1992 qui interdit les mouvements transfrontaliers des déchets qualifiés de dangereux. A l’échelle de la communauté d’Afrique de l’Est, les états membres (Kenya, Ouganda, Tanzanie et Rwanda) ont adopté une stratégie commune en 2017 de 1,7 MUSD afin de mettre en place des infrastructures pour réglementer la gestion des D3E.

Face à cette situation, la nécessité de contrôler le secteur des déchets se fait pressante pour préserver la santé des habitants et l’environnement. L’enjeu réside essentiellement dans les financements disponibles pour ce secteur. La part des budgets accordés aux collectivités locales (dans les pays où les compétences sont décentralisées) est insuffisante et ne permet pas de mettre en place un système de gestion des déchets accessible et efficient ou de porter durablement les projets. A titre d’illustration, en moyenne, entre 2010 et 2020, Nairobi a affecté seulement 2 % de son budget à la collecte et au transport des déchets.

Malgré tout, des projets sont en cours mais se heurtent aux problématiques financières des gouvernements. Comme l’illustre le projet de Waste to Energy au sein de la décharge de Dandora à Nairobi, la viabilité commerciale du projet est fragile et sujette à questionnement concernant les coûts d’investissement et d’opérations de la centrale. De la même façon, le manque de financement de la part du gouvernement ougandais a remis en question le projet d’aménagement de la décharge de Dundu (estimée à 5,2 MUSD) initié depuis 2021.

Le soutien des bailleurs et le secteur privé ont un rôle essentiel pour compléter l’action des autorités publiques

En raison du déficit de financement direct de la part des autorités publiques et de manque de services de collecte éparses et du manque d’infrastructures, notamment dédiées au recyclage ou à la valorisation énergétique, le secteur privé a pris le relais. Au Rwanda, le secteur de la collecte a été privatisé dès le début des années 2000, tandis qu’en Tanzanie, les conseils municipaux, en charge de la gestion des déchets, ont contractualisé des entreprises privées pour assurer la collecte dans les grandes villes (Dar es Salam, Mwanza, Dodoma).

Les acteurs privés qui assurent le service de collecte se rémunèrent généralement via des frais de collecte payés par les ménages ou entreprises, avant de les déposer dans les décharges. Ce service de collecte privé reste restreint aux ménages et entreprises les plus aisés, du fait des tarifs de collecte appliqués, et aux zones urbaines. Les zones rurales, ou les plus défavorisées et souvent situées dans des zones difficiles d’accès ne bénéficient pas d’un service privé de collecte des déchets. Malgré le recours important aux travailleur informels, le modèle économique de ces entreprises reste fragile. Les activités de recyclage demeurent en effet peu pratiquées par ces entreprises, qui pourraient pourtant obtenir des revenus supplémentaires par la vente des co-produits issus du recyclage ou de la valorisation énergétique, mais dont les infrastructures nécessaires requièrent des investissements parfois importants.

Le soutien des bailleurs apparaît alors essentiel pour le bon fonctionnement du secteur de la gestion des déchets dans une majorité des pays de la zone, en termes de financement (principalement sur subventions) et d’appui technique. L’Agence Française de Développement (AFD) a contribué à l’initiative de sensibilisation à la pollution plastique, Flipflopi sur le lac Victoria, le Programme des Nations Unies pour l’Environnement (PNUE) s’est mobilisé contre la pollution plastique au Kenya. La Danida (Danish International Development Agency) a accompagné le gouvernement kenyan dans l’élaboration d’une stratégie de recyclage des emballages plastique à hauteur de 7,4 MUSD. Dans le comté de Kajiado, l’agence de coopération Italienne a à hauteur de 20,5 MEUR le projet Kajiado Integrated Solid Waste Management programme (2022-2025) qui vise à construire une installation de tri, une usine de traitement des plastiques, une décharge sanitaire avec collecte de biogaz, ainsi qu’une centrale solaire avec une production de 5 000 000 kWh/an. Les bailleurs assurent donc un financement supplémentaire pour améliorer la manière dont les déchets sont traités et valorisés post collecte.

Les organisations communautaires et le secteur informel constituent des acteurs indispensables pour assurer le service de gestion des déchets. Le secteur informel se développe et demeure pourvoyeur d’une main d’œuvre particulièrement peu chère, les entreprises faisant appel à leur service et permettent la création d’emploi. De même les initiatives communautaires concentrent leurs activités dans les zones à plus faibles revenus et permettent de rendre les quartiers plus propres comme par l’action de Kwa-Muhia Environmental Group au Kenya. L’exemple rwandais, particulièrement développé, fait figure d’exception dans la région. Chaque mois, la population rwandaise se mobilise collectivement une fois par mois lors de l’umuganda, afin de réaliser des opérations de nettoyage public.