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Zoom de la semaine : Situation économique et financière du Tadjikistan

Appartenant à la tranche inférieure des pays à revenu intermédiaire (PIB par habitant estimé à 878 USD en 2021 par le FMI), le Tadjikistan a enregistré une forte reprise en 2021 soutenue par le dynamisme du commerce extérieur et des transferts de revenus depuis la Russie. Un fort ralentissement de l’activité est attendu en 2022 en lien avec la guerre en Ukraine, qui devrait entraîner une réduction considérable des envois de fonds vers le Tadjikistan. L’évolution des comptes publics du pays, déjà fragiles avant la pandémie de Covid, nécessitera un suivi attentif.

1/ Une reprise économique compromise par la guerre en Ukraine. Le Tadjikistan a connu une forte croissance économique en 2021 mesurée à 9,2%. Pour mémoire, la hausse de l’activité avait atteint 4,4% en 2020, soit un ralentissement par rapport au rythme de croissance moyen des dernières années avoisinant 7%. La consommation des ménages a été le principal moteur de la reprise en 2021 : les ventes de détail ont augmenté de 12,7% en g.a., soutenues par la dynamique des envois de fonds des travailleurs tadjikes émigrés en Russie[1], en progression de 3,4% en g.a. à 1,8 Md USD (21% du PIB), et des salaires réels, en hausse de 1,4% en g.a. L’investissement en capital fixe, stimulée par les activités d’extraction minière, a enregistré une augmentation de 23,3% en g.a, tandis que l’investissement public a reculé. Du côté de l’offre, les services, qui avaient subi un coup d’arrêt en 2020, ont contribué à la croissance à hauteur de 3,8 points de pourcentage (p.p.), suivis de l’industrie, de la construction et du secteur agricole à hauteurs respectives de 2,1, 1,3 et 1,1 p.p.

L’impact de la guerre en Ukraine sur l’économie tadjike devrait être significatif. Les institutions financières internationales (IFI) anticipent un fort ralentissement de la croissance, à 2,5% pour le FMI, voire une récession de 2% selon la Banque mondiale et la Banque asiatique de développement. Le choc macroéconomique provoqué par la guerre affecte le Tadjikistan essentiellement par le truchement des remises migratoires en provenance de Russie, dont la valeur nominale en dollars américains pourrait diminuer de 40 à 50% en glissement annuel selon les IFI précités. L’activité du secteur des services est directement liée à ces flux financiers et pourrait reculer de 20% en 2022[2]. L’économie tadjike sera aussi touchée de manière plus marginale par la perturbation de ses échanges avec la Russie, qui est un fournisseur majeur (30,4% des importations en 2021) mais un client et un investisseur secondaire (3,4% des exportations et 7,2% des IDE entrants en 2021). Ce choc n’est pas reflété pour l’heure dans les statistiques disponibles, la croissance ayant atteint 7,5% en g.a. au 1er trimestre 2022. La montée des risques géopolitiques tant au sein du Tadjikistan (répression violente de contestations dans la région autonome du Haut-Badakhchan) que dans son voisinage proche (conflit frontalier avec le Kirghizstan, relations difficiles avec les talibans, émeutes au Kazakhstan et en Ouzbékistan) constitue un facteur d’incertitude supplémentaire pesant sur les perspectives de croissance.

Les incidences socio-économiques potentielles de cette deuxième crise en l’espace de deux ans apparaissent particulièrement préoccupantes eu égard au caractère partiel de la résorption des séquelles de la pandémie sur le marché de l’emploi et le niveau de vie des ménages. En août 2021, le taux de ménages comprenant au moins un membre sans emploi, mesuré à 21%, restait supérieure de 4 p.p. à son niveau de 2019, tandis que seuls 35% des ménages estimaient la période favorable à une recherche locale d’emploi, contre près de 60% deux ans auparavant. Enfin, un tiers des ménages déclaraient avoir réduit leur consommation de nourriture en août 2021, contre 20% sur la même période de 2019[3]. Selon la Banque mondiale, la part de la population tadjike vivant avec moins de 5,5 USD par jour[4] pourrait augmenter de 1 p.p. en 2022 à 43,7%.

Au surplus, si l’inflation annuelle a ralenti fin 2021 elle devrait connaître une accélération en 2022. Sur la première moitié de l’année 2021, l’inflation a été entretenue par la hausse des prix mondiaux des biens alimentaires et de l’énergie, et s’est maintenue au-dessus de la cible d’inflation définie à 6% (±2%). La BNT a resserré sa politique monétaire en augmentant son taux directeur d’un total de 225 points de base, à 13,25%, ce qui a permis de ramener l’inflation dans la partie haute de la cible (8% fin 2021). Le FMI anticipe une remontée de l’inflation à 12% d’ici la fin de l’année 2022.

2/ Une dégradation attendue des comptes publics et extérieurs en 2022.  Les finances publiques ont connu une embellie en 2021. Selon le FMI, le déficit public a diminué de 2,2 p.p. en glissement annuel à 2% du PIB. Les recettes fiscales ont augmenté de 1,3 points à 28,5% du PIB à la faveur de la reprise économique et du dynamisme des exportations. Les dépenses ont diminué de manière contracyclique de 1,1 p.p. à 30,5% du PIB, conséquence de l’expiration des mesures de soutien budgétaire exceptionnelles décrétées en 2020. Le déficit public devrait cependant repartir à la hausse en 2022 et pourrait atteindre 3% du PIB selon le FMI. La contraction des recettes budgétaires résultant du ralentissement de l’activité sera accentuée par la baisse de la fiscalité entérinée par le nouveau code des impôts entré en vigueur en janvier 2022. Par ailleurs, de nouvelles mesures de soutien à l’économie devraient être annoncées. La dette publique a diminué de 50,4% à 46,5% du PIB en 2021, mais le niveau global de vulnérabilité sur cette dernière est toujours considéré comme élevé par le FMI et la Banque mondiale, excluant le recours aux prêts non concessionnels[5]. En 2022, la dette augmenterait à 53,7% du PIB. Selon la presse tadjike, citant la Banque nationale du Tadjikistan (BNT), le Tadjikistan aurait émis le souhait de reprendre les négociations, interrompues depuis 2020, relatives à un programme d’aide du FMI portant sur une enveloppe de 300 M USD. Une implication accrue de l’Union européenne dans le financement de la construction du barrage de Rogoun, via la Banque européenne d’investissement, serait également envisagée[6].

L’excédent courant a diminué, mais demeure soutenu par la dynamique des transferts de revenus. Selon le FMI, l’excédent courant s’est élevé à 2,8% du PIB en 2021 contre 4,1% en 2020. Il devrait être déficitaire à hauteur de 1,4% du PIB en 2022 en raison de la réduction de l’excédent de la balance des revenus, qui comptabilise notamment les transferts de fonds des travailleurs émigrés. Malgré la bonne tenue des exportations en 2021, en hausse de 36,3% en g.a., le déficit commercial a augmenté de 32,4% du fait du rétablissement des importations (+34%). Les exportations d’or et de métaux précieux ont augmenté de 11,7% en g.a. en valeur à 665 M USD, soit 37% du total en 2021. Les exportations de coton se sont établies à 256 M USD, en hausse de 47% en g.a. (14% du total), et celles d’aluminium à 145 M USD, en hausse de 4,1% en g.a. (8% du total). Les réserves de change ont poursuivi leur augmentation grâce aux ventes d’or et s’élevaient à 2,2 Md USD, soit 8,5 mois d’importations, fin 2021.

3/ Une relative stabilisation du système financier. Le secteur bancaire a bénéficié de la liquidation des banques publiques insolvables. La mise en résolution de Tadjiksodirotbank et Agroinvestbank fin mai 2021 a permis d’assainir le système bancaire en réduisant considérablement le taux de crédits non performants, qui s’est établi à 14% au 31 mars 2022, soit une baisse de 8,7 p.p. en un an. A cette date, les dépôts bancaires atteignaient 11,5 Md TJS (0,9 M USD) et ont ainsi retrouvé leur niveau de fin 2020 après avoir baissé de manière transitoire au cours de la deuxième moitié de l’année 2021. Les actifs du secteur bancaire s’élèvent à 25 Md TJS (1,9 Md USD), soit une baisse de 3,5% en g.a.

En dépit de cette relative amélioration de la santé du système bancaire, ce dernier est confronté depuis l’invasion de l’Ukraine à de nouvelles difficultés liées à sa dépendance à l’infrastructure financière russe. En particulier, la majorité des banques tadjikes utilisait jusqu’alors les comptes de correspondance de la banque russe Sberbank, désormais placée sous sanctions, pour effectuer des transactions en Europe et aux Etats-Unis[7]. L’approvisionnement en devises est aussi perturbé, ce qui est dommageable dans la mesure où les dépôts et les crédits en dollars représentent respectivement près de la moitié et du tiers du portefeuille total.

[1] Tels que mesurés par la Banque de Russie. Les transferts de fonds depuis la Russie représentent près de 95% du total.

[2] Selon la Banque asiatique de développement.

[3]Banque Mondiale, étude périodique « Listening2Tajikistan ». Disponible à l’adresse : https://www.worldbank.org/en/country/tajikistan/brief/listening2tajikistan

[4] En parité de pouvoir d’achat de 2011. La diminution structurelle de la part de la population vivant en-dessous de ce seuil n’avait pas été affectée la pandémie de Covid-19 (45,1% en 2019, 44,5% en 2020).

[5] Cette vulnérabilité se manifesterait particulièrement au niveau du ratio du service de la dette rapporté aux exportations, qui franchirait le seuil fixé par le FMI au moment du remboursement du principal des euro-obligations (2025-2027) émises en 2017 pour un montant de 500 M USD. Le rapport Republic of Tajikistan. Joint World Bank-IMF Debt Sustainability Analysis (mars 2022) est disponible à l’adresse :

https://documents1.worldbank.org/curated/en/898361648492593191/pdf/Republic-of-Tajikistan-Joint-World-Bank-IMF-Debt-Sustainability-Analysis.pdf

[7] La presse tadjike fait état de demandes formulées auprès de banques européennes, notamment suisses, pour l’ouverture de comptes de correspondance. Le faible développement du marché bancaire tadjik et les préoccupations relatives à la fiabilité des banques (risque de blanchiment d’argent notamment) pourraient constituer d’importants obstacles à cette démarche.