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Zoom de la semaine : Situation économique et financière de la Biélorussie

Appartenant à la tranche supérieure des pays à revenu intermédiaire (PIB par habitant de 7 295 USD en 2021 selon l’estimation du FMI), la Biélorussie connaissait un ralentissement de son activité avant 2020 du fait en particulier d’un modèle économique fragilisé par la « manœuvre fiscale » de la Russie. Alors que la Biélorussie a connu un recul limité de l’activité en 2020, on a observé en 2021 un rebond tiré par le commerce extérieur. Les perspectives demeurent extrêmement mitigées en raison d’un isolement international accru par les sanctions de juin 2021 et de 2022, de l’existence de profondes vulnérabilités macroéconomiques et de la dépendance croissante vis-à-vis de la Russie. En 2022, les IFI prévoient ainsi un très fort recul de l’économie.

1/ L’économie est entrée en récession en 2022.  L’économie de la Biélorussie est tendanciellement en ralentissement. La croissance du PIB a été de 7,3% en moyenne entre 2000 et 2010 mais de 1,1% en moyenne depuis lors. L’expansion de l’économie biélorusse est notamment freinée par une emprise considérable de l’Etat qui atteint, à titre d’exemple, 70% en matière de production industrielle.

Après une année 2020 marquée par une récession modérée (PIB en recul de 0,9%), le PIB a augmenté de 2,3% en glissement annuel (g.a.) en 2021. Cette reprise a été massivement tirée par la production industrielle qui a augmenté de 6,5% en g.a. et par la demande externe dynamique, couplée à la remontée des cours mondiaux des matières premières. En 2021, les exportations de bien en valeur ont crû de 37%, alors que les importations progressaient de 28%. La progression des exportations a été très vive s’agissant des principaux partenaires commerciaux : UE (+74%, malgré les sanctions), la zone CEI hors Russie (+60%) et la Russie (+25%). En revanche, la demande interne biélorusse a été peu dynamique, avec des ventes de détail atones (+1,6%) dans un contexte de poussée inflationniste (+10% en décembre 2021) que la Banque nationale de la République de Biélorussie peine à contenir (sa cible d’inflation est fixée à 5%). En outre, l’investissement en capital fixe a diminué de 4,7% en 2021 en g.a.

Les perspectives économiques pour 2022 sont très sombres. La Biélorussie est le pays de la zone CEI qui a la plus forte exposition aux risques associés au conflit armé entre la Russie et l’Ukraine. Ses exportations vers la Russie et l’Ukraine représentaient respectivement 24,5% et 7,7% de son PIB fin 2021. La Biélorussie est aussi fortement exposée au risque russe via son système bancaire, fortement imbriqué avec celui de son voisin (voir plus bas).

Les difficultés économiques vont être accrues par les sanctions internationales qui ont connu un nouveau renforcement en 2022. L’isolement international de la Biélorussie avait déjà été accru en 2021 par un nouveau train de sanctions occidentales. Les sanctions sectorielles de l’Union européenne ciblent en particulier des biens et technologies à double usage, le commerce de produits pétroliers et de chlorure de potassium[2], le financement de l’Etat biélorusse et des banques publiques biélorusses. En 2022, l’Union européenne a adopté des mesures supplémentaires ciblant le secteur financier biélorusse avec notamment de nouvelles restrictions commerciales, la déconnection de 4 banques biélorusses du système SWIFT, l’interdiction des transactions avec la Banque nationale de Biélorussie, l’interdiction d’exportation et de ventes de billets de banque libellés en euro, l’interdiction aux transporteurs biélorusses de travailler sur le territoire de l’UE et de transiter par son territoire.

Les dernières données disponibles montrent que l’économie biélorusse est entrée en récession en 2022. Le PIB a reculé de 2,1% en janvier-avril 2022. La production industrielle a diminué de 4,2% en janvier-mai 2022 en g.a. Les ventes de détails restent atones : +0,9% en janvier-mai 2022. Le commerce extérieur qui joue un rôle important dans l’économie biélorusse, devrait être très affecté par la situation actuelle. Ainsi, les exportations des biens ont diminué de 4,4% en g.a. en janvier-mai 2022 et les importations ont baissé de 8,5%. Les exportations vers l’UE ont diminué de 21% et les importations ont baissé de 31%. Une réorientation des échanges commerciaux vers la Russie semble s’opérer : on constate ainsi une hausse de 17,3% des exportations vers ce pays et de 5,6% pour les importations. Les IFI prévoient un très fort recul de l’activité en 2022 (-6,5% pour la Banque Mondiale et 6,4% pour le FMI). 

2/ Le pilotage macroéconomique sous forte contrainte. Le pilotage macroéconomique est sous forte contrainte. D’une part, la politique budgétaire est bridée par la raréfaction des sources de financement externe. Suite aux élections d’août 2020, les principaux bailleurs de fonds multilatéraux ont gelé toute possibilité de financement souverain et les marchés financiers sont devenus une option trop coûteuse. Les sanctions occidentales (cf. supra) ont renforcé cette contrainte en ciblant les émissions de dette souveraine. Actuellement, alors que les tombées de dette publique sont attendues en hausse en 2022 et 2023[3], seule subsiste pour l’essentiel la possibilité d’obtenir des financements de la Russie, qui de son côté connaitra une forte récession en 2022. En raison des sanctions internationales, la Biélorussie fait face en outre à difficultés de remboursement des euro-obligations en devises étrangères. Dans ce contexte, à l’instar de la Russie, la Biélorussie a mis en place un dispositif de remboursement en monnaie locale des euro-obligations émises en devises. Ce mécanisme a été utilisé pour la première fois le 29 juin 2022, dans le cadre du paiement des intérêts d’un titre maturant en 2027. Le prospectus du titre ne permet cependant pas le remboursement dans une devise autre que le dollar américain. A l’issue d’une période de grâce arrivée à échéance le 13 juillet, l’agence de notation Fitch a averti qu’elle considérerait toute absence de paiement dans les conditions prévues par le prospectus comme un défaut de paiement et que la note de la Biélorussie serait abaissée une nouvelle fois, à RD[4] (Restricted Default).

Néanmoins, la dette de l’Etat biélorusse est relativement faible : 33,8% du PIB au 1er juin 2022, 80% externe (près de 37% du PIB au 1er avril 2022 avec la dette garantie par l’Etat). Le budget est ressorti en excédent de 1,6% du PIB en janvier-avril 2022 selon les autorités.

D’autre part, la politique monétaire ne peut pas se faire plus accommodante alors que l’inflation est trois fois plus élevée que la cible de la Banque centrale. La Banque centrale a relevé par deux fois ses taux en 2021 et a procédé à une nouvelle hausse en mars dernier (+275 points de base, à 12%), alors que l’inflation est en hausse depuis mars et a atteint 17,6% en juin. 

En 2021 le solde courant s’est élevé à 1,8 Md USD (2,8% du PIB), contre un déficit de 241 M USD en 2020. Au 1er trimestre 2022 le déficit du compte courant s’est élevé à 8,2% du PIB, alors que dans ses prévisions de printemps 2022 le FMI table sur un déficit de 1,2% sur l’ensemble de l’année 2022. Malgré une allocation par le FMI de DTS (équivalent de 900 M USD) en août 2021, les réserves internationales demeurent à un bas niveau : 7,5 Md USD au 1er juillet 2022, couvrant seulement 2 mois d’importations. Elles sont en baisse depuis mars 2022 : au 1er février elles s’élevaient à 8,5 Md USD (-12%).

Le rouble biélorusse s’est fortement déprécié depuis 2020 et a connu une forte phase d’instabilité suite au déclenchement de la guerre en Ukraine. Entre le 21 février et la mi-mars 2022, le rouble biélorusse a perdu environ 25% et 30% par rapport à l’euro et au dollar. Il s’est réapprécié depuis lors et se situait fin juin aux niveaux même supérieurs à ceux d’avant février (+8,2% par rapport à l’euro et +1% par rapport au dollar fin juin par rapport au début 2022). Il reste néanmoins très en-dessous des niveaux d’avant la crise pandémique (-12,6% par rapport à l’euro et -17,3% par rapport au dollar en juin 2022 par rapport au janvier 2020) et instable : en juillet le rouble biélorusse recommence à se déprécier surtout par rapport au dollar (-1,8% en juillet par rapport au début janvier 2022). Cette instabilité de change pose un défi : (i) le pays (gouvernement, entreprises, banques) est fortement endetté au plan externe (68% du PIB au 1er avril 2022 ; (ii) le système bancaire est fortement « dollarisé » : début juin 2022, 43% des prêts et 51% du passif des banques biélorusses étaient libellés en devises ; (iii) l’inflation est très élevée.

Malgré les sanctions, la stabilité financière est pour le moment préservée, mais le secteur bancaire présente néanmoins des risques importants.  Le ratio crédits/dépôts de l’économie réelle a atteint 141% au 1er juin 2022. Il est en hausse depuis plusieurs années et se situe actuellement très au-dessus de sa moyenne de moyen terme (123% entre 2017 et 2021). La distribution de crédits demeure dynamique, notamment à destination des entreprises privées : au 1er juin 2022, les crédits bancaires au secteur réel ont augmenté de 7,5% en g.a., dont +18,9% pour les crédits aux entreprises privées. Les dépôts du secteur réel sont moins dynamiques et en hausse de 3% au 1er juin 2022 : les dépôts des particuliers qui ont baissé de 5,4% en g.a. au 1er juin 2022 sont compensés par ceux des entreprises privées (hausse de 9,9%). Les dépôts des particuliers en devises étrangères sont toujours en baisse (-15,7% en moyenne en 2022 en g.a.), alors que les dépôts des entreprises privées en devises étrangères qui étaient en hausse en 2021 (+11,3% en moyen en g.a.) diminuent en 2022 (-1,8%).  Au 1er avril 2022, les crédits non-performants représentaient 5,2% du portefeuille total de crédits, soit le même niveau qu’un an plus tôt. Cet indicateur est à prendre avec précaution car il n’est pas calculé conformément aux normes internationales. Le ratio d’adéquation des fonds propres demeure élevé et atteint 21,7% en juin 2022.

3/ L’accord d’intégration avec la Russie mettra la Biélorussie en plus forte dépendance de la Russie. Pour mémoire, la Biélorussie a trouvé en septembre 2021 un accord avec la Russie en matière d’approfondissement de l’intégration économique, commerciale et financière à horizon 2023. Les deux pays ont signé un programme commun portant sur 28 feuilles de routes, dont les plus concrètes concernent essentiellement les échanges financiers et commerciaux. Fin juin 2022, les autorités russes ont annoncé que près de 40% de ces programmes ont été mis en place. En outre, dans le contexte des sanctions la Russie et la Biélorussie ont décidé de réaliser des projets de substitution d’importations. Dans ce cadre, la Russie allouerait 1,5 Md USD à la Biélorussie.  

La mise en œuvre de ces accords ne conduira qu’à renforcer l’emprise financière et commerciale, déjà très forte, de la Russie sur la Biélorussie. 2500 entreprises russes opèrent en Biélorussie et la Russie est le premier investisseur étranger sur place avec 30% du stock d’IDE. Elle est également le premier partenaire commercial de la Biélorussie (57% des importations et 41% des exportations en 2021) et le premier créancier externe (à hauteur d’environ 50% du stock de dette). Du point de vue du système financier, la Russie occupe une position dominante avec d’importantes filiales sur place : BPS-Sberbank, Alfa-Bank, VTB Bank (Belarus) et BelGazPromBank.


[1] A noter que le secteur IT, bien que fortement affecté par la fuite des talents depuis fin 2020, aurait affiché une progression de 8,3% sur janvier-mai 2022.

[2] La Lituanie a interdit le transit de potasse de l’entreprise Belaruskaliy, un gros exportateur biélorusse, via le port de Klapeida.  

[3] 3,4 Md USD et 4,1 Md USD (dont 800 d’euro-obligations) respectivement après 3 Md USD en 2021.

[4] Elle est actuellement de C (very high levels of credit risk).