Les sytèmes de santé en AEOI : des fragilités qui persistent malgré des progrès notoires

 

Si la plupart des pays de l’Afrique de l’Est et de l’Océan indien (AEOI) ont connu une amélioration notable des principaux indicateurs de santé ces dernières années, ils restent inférieurs à la moyenne mondiale. Plusieurs facteurs expliquent ce constat : un faible engagement financier - bien que croissant - du secteur public (qui couvre 34,0 % des dépenses totales de santé dans l’AEOI) qui rend nécessaire les financements extérieurs (25,6 %) ainsi qu’un système assurantiel de santé peu développé. En conséquence, une part importante des dépenses de santé pèse sur les ménages (34,5 %), ce qui se traduit par un faible recours aux soins.

Une amélioration globale des indicateurs de santé en AEOI, marquée par des disparités importantes entre les pays de la zone

En 2020, l’espérance de vie à la naissance moyenne des habitants des pays de l’Afrique de l’Est et de l’Océan indien était de 66 ans, contre 55 ans en 2000, une moyenne plus élevée que les pays d’Afrique Sub-Saharienne (ASS) où celle-ci était de 62 ans en 2020 (50 ans en 2000). Outre les disparités de genre (68 ans pour les femmes vs 64 ans pour les hommes), des disparités géographiques existent entre les pays de la zone puisque l’espérance de vie varie de 58 ans pour la Somalie et le Soudan du Sud à 77 ans pour les Seychelles. La mortalité maternelle et infantile reste quant à elle importante en raison d’un accès aux soins insuffisant.

La mortalité liée aux maladies transmissibles (en moyenne 46 % en 2019 en AEOI ; VIH-sida, tuberculose, maladies diarrhéiques, paludisme…) est plus importante dans les économies les moins avancées de la zone, comme au Soudan du Sud et en Somalie où elles comptaient pour près de 65 % des décès en 2019 (contre respectivement 5 et 14 % pour Maurice et les Seychelles, économies les plus avancées de l’AEOI). Les économies ayant des niveaux de développement plus poussés se caractérisent par des comportements (sédentarité, habitudes alimentaires…) et une structure d’âge qui favorisent les maladies cardiovasculaires, les cancers ou le diabète. Ils présentent donc une transition épidémiologique avec une morbidité et une mortalité liée aux maladies non transmissibles (MNT) plus élevées. Ainsi, en 2019, à Maurice et aux Seychelles, les MNT étaient la cause majeure des décès (respectivement 79 et 90 %). L’épidémie de Covid-19 a également touché la zone. Si l’impact réel n’est pas connu, il est vraisemblablement resté modéré du fait de la jeunesse des populations. Toutefois, elle a mis en exergue la nécessité d’accroître les investissements dédiés aux systèmes de soins des pays de la zone dans de nombreux secteurs.

Une répartition des dépenses de santé entre les pouvoirs publics, les fonds privés et l'aide extérieure 

Le manque d’investissement dans le secteur de la santé par les gouvernements de l’AEOI se reflète dans les dépenses totales de santé qui restent faibles. Celles-ci varient de 1,8 % du PIB pour Djibouti en 2019 à 8,0 % pour le Burundi, avec une moyenne pour les pays de l’AEOI de 4,8 %, alors qu’elle est de 4,9 % pour les pays d’ASS. Elles restent bien inférieures aux dépenses de santé dans les pays à revenus élevés, qui atteignent en moyenne 12,5 % du PIB. Les dépenses annuelles courantes de santé varient de 20 USD par habitant (Madagascar) à 840 USD (Seychelles) en 2019, avec une moyenne de 145 USD pour les pays de l’AEOI contre 79 USD pour les pays d’ASS. Le financement de ces dépenses provient de trois sources : les dépenses publiques, les dépenses privées (y compris par les ménages directement) et l’aide extérieure.

  • Les dépenses privées dans la part des dépenses totales de santé sont en moyenne de 40,4 % pour les pays de l’AEOI hors Somalie (47,4 % en ASS), atteignant jusqu’à 70,8 % des dépenses de santé au Soudan (33 USD par habitant) ou encore 66,4 % (48 USD) au Comores. Sont comprises dans les dépenses privées les dépenses personnelles de santé, c’est-à-dire à la charge du patient, qui représentent en moyenne 34,5 % des dépenses totales de santé dans l’AEOI, allant de 11,7 % au Rwanda (6 USD) à 67,4 % au Soudan (32 USD). Ces taux élevés de participation aux dépenses de santé entravent l’accès aux soins des citoyens.
  • Entre 2010 et 2019, la part des dépenses publiques dans les dépenses totales de santé en AEOI a augmenté de 3,1 points de PIB, pour atteindre 34,0 % (40,0 % en ASS et 61,7 % pour les pays à revenus élevés). Cette tendance à la hausse relative des dépenses publiques est particulièrement marquée au Kenya (+17,0 pdpib à 46,0 %), au Burundi (+15,8 pdpib à 33,4 %) et au Rwanda (+14,7 pdpib à 39,9 %). Par habitant, les dépenses publiques s’inscrivent également à la hausse, en moyenne de 48,5 USD par habitant en 2010 à 78,3 USD en 2019. Cette hausse est particulièrement marquée aux Seychelles (+281 USD) et à Maurice (+161 USD). En 2019, de fortes disparités subsistent entre les pays : 15,1 % en Ouganda (soit 5 USD par habitant), 16,1 % aux Comores (12 USD), 16,3 % au Soudan du Sud (4 USD) contre 47,0 % à Maurice (323 USD), 53,7 % à Djibouti (33 USD) et 72,7 % aux Seychelles (611 USD). Par ailleurs, aucun des pays de la zone n’a atteint l’objectif de la déclaration d’Abuja signée par les pays de l’Union africaine en 2001 qui consistait à allouer au moins 15 % de leur budget annuel à l’amélioration du secteur de la santé. En effet, les dépenses dans le secteur de la santé représentaient 6,4 % des dépenses publiques totales des pays de l’AEOI, allant de 2,1 % des dépenses publiques totales au Soudan du Sud et 2,4 % en Erythrée, à 10,2 % aux Seychelles et à Maurice.
  • Enfin, les financements extérieurs peuvent représenter une part majoritaire des dépenses de santé dans certains pays comme le Soudan du Sud ou l’Ouganda, respectivement de 55,0 % (12 USD) et 42,0 % (14 USD), tandis qu’ils sont quasi-nuls pour d’autres pays de la zone (Maurice et Seychelles). Ils représentent 25,6 % des dépenses de santé en AEOI en 2019 et 13,0 % en ASS.
Des systèmes de santé largement dépendants de l'aide extérieure

Le rôle des bailleurs apparaît primordial pour le bon fonctionnement du secteur de la santé d’une majorité des pays de la zone, en termes de financement et d’appui technique. Le Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme est intervenu à hauteur de 415 MUSD au bénéfice du Kenya, 579 MUSD pour l’Ouganda ou encore 587 MUSD pour la Tanzanie pour la période 2020/2022. La Banque mondiale a également joué un rôle majeur en réponse à la crise du Covid-19, en apportant des aides de réponse d’urgence à la pandémie pour renforcer les systèmes de santé. Les pays de l’AEOI ont également bénéficié de la facilité COVAX, un dispositif visant à accélérer la mise au point et la fabrication de vaccins contre le Covid-19 et d'en assurer un accès juste et équitable à l’échelle mondiale. La France est un bailleur majeur d’acteurs multilatéraux en santé : premier contributeur européen et le deuxième donateur historique au Fonds mondial, premier donateur à UNITAID et cinquième donateur à GAVI, l’Alliance du vaccin. Également au travers de ses actions bilatérales, la France soutient les systèmes de santé des pays de l’AEOI, principalement via l’Agence française de développement (AFD). Le Trésor intervient également dans le domaine de la santé via des prêts (prêt de 33 MEUR au Kenya et de 10 MEUR au Rwanda, destinés à l’équipement d'hôpitaux et pour la lutte contre le Covid-19). La France a également participé à la lutte contre la pandémie de Covid via des dons de vaccins.

Des fragilités structurelles qui restreignent l'accès aux soins 

Outre la faible part des dépenses publiques de santé, d’autres facteurs viennent limiter l’accès aux soins des habitants de l’AEOI. Apparaissent en effet des fragilités dans les infrastructures sanitaires des pays de la zone, notamment hospitalières souvent vétustes, ainsi que leur inégale répartition sur les territoires puisque qu’elles sont principalement situées dans les zones urbaines. La pénurie de ressources humaines qualifiées et de personnel de santé se fait remarquer dans la plupart des pays de l’AEOI et s’explique par une offre de formation très faible et la fuite des cerveaux pour certains (Soudan). Les systèmes de santé restent fragmentés, en termes de gouvernance (entre le gouvernement central et les territoires) et avec certains schémas d’assurance maladie qui ne couvrent que les fonctionnaires ou militaires (Tanzanie, Soudan).

En outre, les systèmes assurantiels, s’ils existent, ne couvrent souvent qu’une faible part de la population. Des exceptions existent cependant, avec les Seychelles par exemple où existe une couverture sanitaire universelle qui garantit un accès gratuit aux services de santé, ainsi qu’à Maurice où l’offre de soin publique est gratuite et financée par l’Etat. Le Rwanda a développé une couverture universelle et fortement amélioré le taux de couverture (85 %). Le secteur assurantiel privé est quant à lui peu développé dans l’ensemble.

Pour pallier ces lacunes, les gouvernements mettent en place plusieurs stratégies et politiques dédiées au secteur de la santé

Pour améliorer l’intervention publique dans le secteur de la santé, suivant les recommandations de l’OMS, plusieurs pays ont mis en place des politiques ou stratégies dédiées, et œuvrent plus particulièrement à la mise en place d’une couverture santé universelle (CSU) ; en Erythrée, un paquet de soins de santé essentiels a été mis en place via le Health Sector Strategic Development Plan II (2017-2021), tandis que la mise en place de la CSU fait partie du Big four agenda du gouvernement kenyan ; et qu’un projet de couverture de santé universelle est en cours à Madagascar et en Ouganda. Plusieurs pays tentent par railleurs de se positionner pour la fabrication de vaccins ou de médicaments (Rwanda, Tanzanie, Kenya…) et encouragent les investissements privés, notamment en PPP, pour améliorer les infrastructures.