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Zoom de la semaine : Situation économique et financière du Kirghizstan

Appartenant à la tranche inférieure des pays à revenu intermédiaire (PIB par habitant estimé à 1283 USD en 2021 par le FMI), le Kirghizstan a enregistré une reprise modeste de l’activité en 2021 après une forte récession en 2020 causée par la pandémie de Covid-19. En 2022, les IFI anticipent un fort ralentissement de la croissance, voire une récession de l’économie kirghize, qui subit directement les turbulences économiques en Russie. En particulier, les comptes extérieurs du pays devraient se dégrader du fait du tarissement des flux de revenus provenant de Russie, avec un impact direct sur la consommation privée.

1/ Une reprise économique fragilisée par la guerre en Ukraine. En 2021, le Kirghizstan a connu une reprise économique fragile, estimée à 3,6% (pour mémoire, le PIB réel kirghiz avait diminué de 8,4% en 2020, soit la plus importante récession enregistrée dans la zone CEI). Dans une approche par la production, la croissance a été principalement portée par l’industrie, en hausse de 9% en g.a., et les services (+10,2% en g.a.), tandis que la production agricole a diminué de 5% du fait de conditions climatiques défavorables. Du point de vue des dépenses, elle a été soutenue par la reprise de la consommation privée : les ventes de détail ont ainsi augmenté de 12,9% en g.a., stimulées par l’afflux d’envoi de fonds entrants depuis à l’étranger, qui se sont établis à 2,8 Md USD, en hausse de 16% par rapport à 2020. Toutefois, l’investissement en capital fixe a poursuivi sa diminution à - 5,9% en g.a. La contribution du commerce extérieur a également été négative en raison de l’effondrement des exportations d’or, en baisse de 68,2% en g.a.[1], conduisant à une diminution globale des exportations de 15,9% en g.a., tandis que les importations ont augmenté de 40,5% en g.a. La mine d’or de Kumtor, principal site industriel du pays, a dans l’ensemble pesé négativement sur l’activité : le PIB et la production industrielle ont respectivement crû de 3,9% et 15,6% sur l’année en excluant les activités liées à Kumtor.

Les perspectives de croissance à court et moyen terme sont amoindries par le conflit armé en Ukraine. La Russie est un partenaire économique clé du Kirghizstan, qui représentait 97% de ses revenus de transferts entrants, 36% de son stock d’IDE entrant, 34% de ses importations et 25% de ses exportations en 2021. La récession de l’économie russe, attendue à 8-10% en 2021, devrait se répercuter sur l’économie kirghize, pour laquelle les prévisions de croissance ont été revues à la baisse : pour 2022, le FMI a abaissé sa prévision de croissance de 5,6% à 0,9%, tandis que la Banque mondiale, beaucoup plus pessimiste, anticipe une récession de 5% sur cette année. Par ailleurs, le Kirghizstan ne devrait bénéficier que de manière marginale des mouvements d’émigration de main d’œuvre qualifiée russe du fait de sa faible attractivité et de son relatif isolement géographique. Sur le fondement de la trajectoire de croissance calculée par le FMI, le PIB kirghiz en 2022 resterait inférieur de 4,2% à son niveau de 2019, signe de l’ampleur du décrochage économique du pays causé par les crises successives. Sur janvier-avril 2022, le PIB du Kirghizstan a crû de 5,4 % en g.a., mais ce bon résultat s’explique avant tout par un fort effet de base, l’économie étant resté en récession sur les huit premiers mois de l’année 2021. Il reste inférieur de 3 points de pourcentage à son niveau de janvier-avril 2020.

Figure 1. Évolution du PIB kirghiz (prév. FMI)

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2/ Des tensions supplémentaires sur les équilibres financiers et extérieurs du pays. Les tensions inflationnistes ont été ravivées par l’invasion de l’Ukraine. En 2021, l’inflation au Kirghizstan a connu une phase de forte augmentation sur la première moitié de l’année, passant de 10,1% à 14,6% en glissement annuel entre janvier et juillet sous l’effet de la hausse des prix mondiaux des produits alimentaires et des hydrocarbures. La Banque nationale du Kirghizstan (BNK) a augmenté son taux directeur d’un total de 300 points de base en réponse, de 5% à 8%, ce qui a permis une décrue progressive de l’inflation jusqu’en février 2022. Dans la foulée du rouble, le som kirghiz s’est brutalement déprécié au lendemain du déclenchement de la guerre en Ukraine, contribuant à une accélération de l’inflation annuelle de 10,8% en février à 14,5% en avril. Les trajectoires suivies par l’inflation et le taux de change au Kirghizstan épousent peu ou prou celles de la Russie : une phase initiale de dépréciation rapide du change et d’accélération de l’inflation, culminant à la mi-mars, a laissé place à une séquence d’appréciation plus que proportionnelle de la devise nationale, dont la valeur par rapport au dollar est alors supérieure à celle d’avant-guerre, tandis que l’inflation semble se stabiliser à partir du mois d’avril.

Figure 2. Inflation et politique monétaire

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La réponse initiale des autorités monétaires kirghizes a été double, passant par un relèvement brutal du taux directeur de 550 points de base entre le 28 février et le 10 mars, à 14%, et des ventes de devises sur le marché des changes à hauteur de 61 M USD entre le 24 février et le 10 mars. Face à l’inversion rapide de la tendance, la BNK a effectué des achats de devises dès la fin du mois de mars pour lisser l’appréciation du som, pour un total de 46,5 M USD entre fin mars et fin mai. Au total, les mesures de soutien au change ont conduit à une baisse de 5,9% des réserves internationales fin avril par rapport au mois précédent, mais leur niveau demeure satisfaisant à 2,6 Md USD, soit 5,3 mois d’importations. Malgré un ralentissement attendu de l’inflation en mai, la BNK maintient pour l’heure par prudence sa politique monétaire restrictive.

Figure 3. Interventions de change de la BNK

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Le déficit courant devrait fortement se creuser. En 2021, le rétablissement du commerce extérieur kirghiz, caractérisé par un important déficit commercial structurel, avait conduit à un déficit courant atteignant 5,2% du PIB selon le FMI. Il devrait se creuser à 12,2% du PIB en 2022 du fait de la contraction des transferts de revenus en provenance de Russie, qui pourrait atteindre 33% selon la Banque mondiale. Au mois de mars, ces revenus ont enregistré une baisse de 28% en g.a., avec une baisse notable de la part de la Russie dans ces revenus à 91% du total. Malgré les dégradations des conditions de financement extérieur, les finances publiques devraient rester maîtrisées en 2022 : toujours selon le FMI, la dette publique diminuerait de 0,6 point de PIB en glissement annuel à 60,4%, tandis que le solde budgétaire afficherait un léger déficit à hauteur de 0,3% du PIB.

3/ Des risques persistants à long terme.  L’avenir du site minier de Kumtor, cœur de l’industrie aurifère kirghize, demeure incertain. Pour mémoire, les autorités kirghizes ont pris le contrôle de Kumtor en mai 2021 sur fond d’accusations de violations des normes environnementales par l’exploitant canadien du site, Centerra Gold Inc. Le 4 avril 2022, un accord a été conclu entre Centerra Gold et Kyrgyzaltyn, l’entreprise publique kirghize jouissant du monopole des exploitations d’or, au terme duquel l’entreprise canadienne cède l’ensemble de ses activités au Kirghizstan en échange du désengagement complet de Kyrgyzaltyn de son capital[2]. Les deux parties ont également renoncé à poursuivre les procédures judiciaires en cours. La question qui se pose est désormais celle de la capacité du Kirghizstan à poursuivre de manière autonome et pérenne l’exploitation du site, ce alors que les risques environnementaux sont toujours aussi élevés et que d’importants investissements seront requis pour prolonger l’activité de la mine.

[1] Elle s’explique par le bras de fer engagé en mai 2021 par les autorités kirghizes avec l’entreprise exploitant le site de Kumtor, qui a entraîné le gel des exportations de ce minerai vers les marchés européens.

[2] Kyrgyzaltyn possédait 26% des actions de l’entreprise pour un montant estimé à 972 M CAD au moment de la cession.