Résumé : La Suisse occupe la première place européenne en matière de connectivité des transports et dispose de l’un des réseaux ferroviaires les plus denses du continent. Si la population a souhaité faire du chemin de fer l’épine dorsale de la mobilité suisse, le véhicule personnel reste aujourd’hui le moyen de transport le plus emprunté, et le serait encore dans les prochaines décennies. Pour respecter les objectifs fixés par la Stratégie énergétique 2050, la Confédération va devoir adopter de nouvelles réformes afin de pérenniser le choix prioritaire accordé au ferroviaire et favoriser davantage la mobilité durable.

I. 1er pays d’Europe en matière de connectivité des transports, la Suisse fait la part belle au ferroviaire, un choix soutenu et entériné par plusieurs référendums 

1. Dotée de 84 100 km de routes, 5 300 km de voies ferrées et 14 aéroports et aérodromes, la Suisse dispose d’excellentes infrastructures de transport et d’une forte intermodalité au plan des transports publics (trains, tramways, bus, bateaux et téléphériques). Figurant parmi les pionniers du chemin de fer, le pays possède un des réseaux ferroviaires les plus étendus et les plus denses d’Europe ainsi que le plus long tunnel du monde (Saint-Gothard, 57km). Malgré un risque de saturation sur certaines lignes, l’indice européen de performance ferroviaire du cabinet de conseil BCG place le réseau suisse à la 1e place en termes de nombre de passagers transportés, de ponctualité des trains, de kilomètres parcourus par passager et du nombre d’accidents recensés.

2. Le maintien de cette performance nécessite des investissements d’envergure: les dépenses publiques en matière de transports représentent ainsi 2,7 % du PIB (UE : 1,9% ; France : 2,1%), concentrées dans les transports terrestres qui absorbaient 12,2 % du budget fédéral (10,8 Mds CHF) en 2021. Leur niveau élevé tient notamment au financement de grands travaux ainsi qu’aux projets de modernisation des équipements de transport public. La Confédération, unique actionnaire des Chemins de Fer Fédéraux (CFF), a largement soutenu les entreprises de transports public et touristique pendant la crise sanitaire en leur octroyant une subvention de 780 M CHF.

3. Le choix de faire du chemin de fer l’épine dorsale de la mobilité suisse résulte de grandes décisions politiques des années 1990, consacrées par le peuple suisse à travers plusieurs référendums. L’un des plus importants est la votation sur la nouvelle ligne ferroviaire à travers les Alpes (1992) qui a acté (i) le raccordement de la Suisse au réseau ferré européen, (ii) le transfert sur le rail de la majorité du transport de marchandises, et (iii) la réduction de moitié de la durée des trajets intérieurs Nord-Sud.

4. Grâce à sa position géographique au cœur de l’Europe, reliée à 2 des 9 corridors de fret européen (Rhin-Alpes et Mer du Nord-Méditerranée), la Suisse voit transiter une part importante du transport international de marchandises sur son territoire. Le fret sur route et rail a atteint 26,8 Mds de tonnes-kilomètres en 2020 (+14 % depuis 2000). Les prestations terrestres sont surtout assurées par voie routière (63 %) mais, contrairement aux pays voisins, la part du rail (34 %) est nettement plus importante pour le transport transalpin de marchandises (72 %), qui a atteint 34,8 M de t de biens transportés en 2020 (25 M t en France ; 55 M t en Autriche). Néanmoins, entre 2000 et 2020, les prestations de transport routier se sont accrues de +25 % alors que celles du rail sont restées stables. La navigation rhénane (5,1 M t en 2020) et les oléoducs (3,4 M t) exercent en outre un rôle non négligeable dans les échanges extérieurs de biens, alors que l’aérien demeure marginal (0,3 M t).

II.  En dépit de l’offre abondante de transports publics, le véhicule individuel reste le mode de transport privilégié, alimentant fortement les émissions de CO2

1. Couvrant 65 % des distances parcourues -contre 20 % pour le train- et 50 % des déplacements, le véhicule personnel demeure aujourd’hui le moyen de transport le plus emprunté. En effet, si les ménages privilégient les transports publics pour les trajets domicile-travail, ils recourent majoritairement à la voiture individuelle pour les autres déplacements du fait d’une moindre accessibilité des destinations, d’une part, et d’un prix encore trop dissuasif des transports publics, d’autre part. Ainsi, alors que le revenu réel moyen a progressé de +22 % entre 1995 et 2018, le tarif moyen des billets de transport en commun a crû de +40 % sur la même période contre +5 % pour les transports individuels. En 2019, un ménage dépensait ainsi en moyenne 719 CHF / mois pour les transports (11 % du revenu disponible).

2. Le secteur des transports est le principal émetteur de gaz à effet de serre en Suisse (32 %, + 4 p.p. depuis 1990), devant l’industrie (25 %). Cette 1ère place est essentiellement due au transport routier de personnes (70 %), et, dans une moindre mesure, au transport de marchandises (20 %). Les résidents suisses effectuent en moyenne plus de 25 000 km par personne/an, principalement en voiture et en avion (même s’ils détiennent le record du nombre de kilomètres effectués en train, 2 400 km/an en moyenne selon l’OCDE). Malgré une progression de la distance parcourue en train par personne/jour (+75 % depuis 1994), les transports publics ne représentent que 21 % des prestations de transport des personnes en 2019, un niveau similaire à celui de la France. 

III.  Des réformes ambitieuses sont nécessaires pour renforcer la mobilité durable

1. La Confédération entend poursuivre le développement du chemin de fer sur le long terme, ce qui impliquera d’assainir la situation financière des CFF. L’enjeu crucial pour les CFF est d’accroître la fiabilité et la capacité des trains à travers la densification horaire et le type de rames mises en circulation. Ainsi, le projet d’offre ferroviaire 2035 (13 Mds CHF) devrait permettre (i) d’améliorer l’offre sur les tronçons surchargés, (ii) de procéder à des aménagements sur les chemins de fer privés et (iii) de réaliser des liaisons express pour le fret. Pour autant, malgré l’aide financière de la Confédération pendant la pandémie, les difficultés financières des CFF risquent de persister en raison des investissements à réaliser et de bénéfices moindres. D’après l’administration fédérale, la dette nette des CFF ne devrait pas retrouver le plafond fixé par le Conseil fédéral (6,5 fois l’EBITDA) avant 2030.

2. L’atteinte de l’objectif de zéro émission nette de CO2 d’ici 2050 supposerait une électrification massive du parc automobile au cours des prochaines décennies. Or, le pays semble encore assez timide en la matière. L’Office fédéral des routes a  signé en 2018 une feuille de route pour la mobilité électrique 2022, sans élément contraignant. Les incitations à l’achat de voitures électriques (subventions, réduction de la taxe annuelle sur les véhicules), principalement du ressort des cantons, sont par ailleurs très fragmentées. Ainsi, bien que 22 % des nouvelles immatriculations suisses en 2021 concernaient des véhicules électriques, seuls 2,4 % des véhicules de tourisme étaient électrifiés (hybrides rechargeable ou électriques) en 2021. Or, les marges d’actions du point de vue des autorités sont ténues depuis le refus populaire de la révision de la révision de la loi sur le CO2 lors de la votation du 13 juin 2021.

Commentaire : L’administration fédérale anticipe que, contrairement aux tendances passées, la croissance de la mobilité (+11 % de 2017 à 2050) serait inférieure à celle de la population (+20 %) en raison de la pérennisation du télétravail et du raccourcissement des trajets de loisirs, reflet d’une conscience écologique plus marquée notamment chez les jeunes générations. Malgré une réduction progressive de la part de la voiture, le véhicule individuel resterait dominant et représenterait encore près de 70 % du trafic voyageurs en 2050. La part des transports publics devrait croître de trois points de pourcentage par rapport à 2017, et atteindre 24 % mais les marges de progression sont très minces compte-tenu du maillage ferroviaire existant et des caractéristiques mêmes du territoire helvétique.