Les télécommunications en AEOI : une réussite économique et sociale ?

Malgré des disparités évidentes, la région Afrique de l’Est Océan Indien a connu des progrès en matière de connectivité numérique. Cette connectivité a permis des impacts socioéconomiques positifs notables, tirés à la fois par la mise à niveau des infrastructures et des services innovants, au premier rang desquels le mobile-money. Les opportunités pour les entreprises françaises restent limitées pour les segments de cœur de marché comme les équipements où la place de la Chine est majeure ou pour les opérateurs de communications où la concurrence des acteurs installés est rude. Néanmoins des segments plus limités sont aujourd’hui porteurs pour l’expertise française reconnue pour le déploiement des câbles sous-marins, l’alimentation autonome en énergie des tours de télécommunications ou la cybersécurité. 

 

Une région marquée par une connectivité croissante, teintée de disparités régionales parfois marquées

Atteindre une connectivité universelle pour tout individu, entreprise ou gouvernement sur le continent à horizon 2030 est un des objectifs de l’Union Africaine, le secteur des télécommunications figure ainsi comme une priorité pour le développement socio-économique du continent et de la région. Au cours des dix dernières années, les taux de pénétration mobile et l’accès à internet ont connu une croissance importante dans la région, avec des taux de croissances annuelles du nombre d’utilisateurs allant de 5 à 10 %, malgré des disparités entre les pays (taux d’accès mobile de 40 % à Madagascar contre 187 % aux Seychelles). En outre, des différences marquées sont à noter entre les zones rurales et urbaines au sein des pays, comme en Ouganda où l’accès internet est de 70 % en zones urbaines contre 9 % en zones rurales.

Cette croissance du secteur des télécommunications est initialement portée par le développement des infrastructures permettant une connectivité plus étendue et plus rapide. La région AEOI, grâce notamment à son importante façade maritime, est graduellement reliée au reste du monde via les câbles optiques sousmarins, et est actuellement connectée à différentes régions par onze câbles. Deux autres projets (2Africa, Africa1) devraient entrer en opération d’ici 2023. A ces infrastructures maritimes, s’ajoutent les infrastructures terrestres (fibre optique, tours mobiles pour 3G, 4G et maintenant 5G). De nombreux gouvernements ont fait de l’augmentation de la couverture mobile dans leurs pays, ainsi que du déploiement des réseaux de fibre optique une priorité de développement en s’appuyant sur des acteurs privés, comme le montrent les projets National Optic Fibre Backbone Infrastructure au Kenya, ou National Backbone Initiative en Ouganda.

Les marchés des télécommunications restent plus ou moins monopolistiques selon le degré de libéralisation. Le poids des opérateurs dominants historiques demeure néanmoins important qu’ils soient maintenant publics ou privés (Ethio Telecom en Ethiopie, Safaricom au Kenya ou Telma à Madagascar). L’ensemble des pays de la région disposent d’une autorité de régulation des télécommunications, qui sont plus ou moins proactives dans la recherche d’un secteur plus concurrentiel.

Malgré une diminution rapide et nette du coût de l’accès aux technologies mobiles ou internet au cours de la dernière décennie, le développement des télécommunications est freiné dans certains pays par des infrastructures insuffisantes ou inadaptées, un accès à l’électricité parfois limité (11 % au Burundi), et à des prix restant élevés, couplés à un taux de pauvreté important empêchant l’accession aux services numériques même quand ils existent. Le prix de data varient d’un facteur supérieur à 10 selon les pays : très faibles en Somalie et au Soudan mais nettement plus élevés dans les Iles de l’Océan Indien mais aussi au Kenya.

 

Une connectivité vectrice de nombreuses innovations avec l'exemple emblématique du mobile-money

Safaricom, précurseur avec le service M-Pesa au Kenya, et dont le taux d’utilisateurs atteint aujourd’hui 75,4 %. Les faibles coûts de transaction et la facilité d’utilisation du mobile money a contribué à son utilisation massive, y compris dans des pays en crise, ou fragiles en retards sur de nombreux autres services essentiels, à l’instar de la Somalie (73 % de la population y a régulièrement recours). Ce développement rapide de ces services de paiements mobiles a permis de nets progrès en matière d’inclusion financière et d’accompagnement maintenant de nouveaux services financiers via le mobile : épargne, prêts, gestion, etc..

Des exceptions à ce succès du mobile money perdurent dans les pays où le taux de pénétration mobile et/ ou l’accès à l’électricité demeure faible (comme le Burundi avec 27,9 % en 2021). Une lenteur de déploiement est également observée au Soudan, liée à la régulation, tandis que l’illettrisme et les faibles taux de possession de document d’identité constituent également des barrières au déploiement au Soudan du Sud. 

 

Une présence croissante des acteurs chinois dans la gestion des infrastructures de télécommunications

La Chine s’est imposée, au cours des dernières années, comme un acteur majeur du secteur des télécommunications en Afrique, participant ainsi à l’édification des « Routes de la soie numérique » souhaitées par les autorités chinoises depuis 2015 . Les entreprises chinoises telles que Huawei (via HMN Tech) ou ZTE comptent parmi les principaux fournisseurs de câbles optiques sous-marins qui relient la région AEOI, à l’instar de Gulf2Africa ou PEACE. China Mobile, entreprise publique chinoise de communications mobiles et internet, possède également des parts dans le futur câble 2Africa qui reliera l’ensemble du continent.

Outre les infrastructures marines, les acteurs chinois particulièrement impliqués dans le déploiement des réseaux de fibre optique et de de la technologie 5G. Un partenariat entre l’entreprise kenyane Safaricom et Huawei en 2021, pour le déploiement de la fibre optique et du réseau 5G sur 200 sites pilotes à travers le pays. Huawei est également bien présent en Ethiopie et se positionne pour la 5G à Maurice ou aux Seychelles.

L’implication chinoise dans le développement du secteur des télécommunications se matérialise par ailleurs par un soutien financier, sous forme de prêts, plus ou moins concessionnels, liés à des contrats pour des entreprises chinoises. Ainsi, la China Eximbank, propose, depuis le milieu des années 2000, des prêts aux pays de la région pour le financement de leurs projets d’infrastructures de télécommunications : 110 MUSD à l’Ouganda entre 2008 et 2016 pour le National Backbone Infrastructure Project ; 290 MUSD à la Tanzanie pour le financement des trois phases du National Fiber Optic Backbone ; 182 MUSD au Kenya pour le NOFBI ; mais également aux Comores, Djibouti, Erythrée, Soudan. L’Ethiopie a également bénéficié en 2007 du soutien de la China Development Bank, qui a accordé un crédit-vendeur d’un montant de 1,5 Mds USD à ZTE, rétrocédé via à un crédit fournisseur à Ethiopian Telecommunications Corporation, pour la mise en place des trois premières phases du projet de développement des infrastructures de télécommunications.

 

Une expertise française reconnue pour le déploiement des câbles sous-marins, et des opportunités à saisir dans les services auxiliaires

Quelques entreprises françaises de télécommunication sont d’ores et déjà actives dans la région. L’expertise française est notamment reconnue sur le segment des câbles sous-marins. En amont, l’entreprise Tactis est reconnue pour ses compétences en étude de faisabilité, montage de projet et recherche de financement pour les projets de câbles sous-marins. Elle a notamment été impliquée sur les projets LION et LION-2. Alcatel Submarine Network (ASN), qui appartient au groupe finlandais Nokia via sa filiale française Nokia Networks France depuis 2016, est un des leaders mondiaux de la fabrication et de la pose de câbles sous-marins. ASN a notamment fourni de nombreux projets de câbles régionaux : TEAMS, EASsy, LION ou LION 2.

Les tentatives d’insertion sur le marché des opérateurs mobiles étrangers et a fortiori français se sont révélées plus difficiles, du fait de la domination monopolistique d’un ou plusieurs acteurs restreints, et du degré parfois limité de libéralisation du secteur. Orange, qui est positionnée au niveau régional et mondial, sur des activités de développement et de gestion de câbles sous-marins, a été également impliquée en tant qu’opérateur mobile au Kenya. Toutefois, l’entreprise a arrêté ses activités en 2015 en vendant sa participation (70 %) à Telkom Kenya, considérées insuffisamment rentables du fait de la domination de Safaricom sur le marché. Orange est néanmoins présente sur le marché malgache (deuxième opérateur via sa filiale locale) et s’intéresse au marché éthiopien via une possible ouverture du capital de l’opérateur public Ethio Telecom, qui tarde à se concrétiser.

Des opportunités dans les secteurs des services auxiliaires existent toutefois pour les entreprises françaises fournissant des équipements et/ou des services. L’alimentation autonome en énergie des sites de télécommunications (tours) est également un segment porteur avec plusieurs acteurs actifs dans la région, dont le français Sagemcom. Le domaine de la cybersécurité peut également être porteur pour l’offre française avec des acteurs proposant une expertise reconnue comme Thalès