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Zoom de la semaine : Rapport régional de la Banque mondiale

La Banque Mondiale (BM) a mis à jour ses prévisions d’activité pour la zone Europe et Asie centrale en 2022 et 2023 dans son dernier rapport régional publié cette semaine. Une récession est attendue pour l’ensemble de la zone en raison de la guerre en Ukraine, qui affectera en premier lieu les pays belligérants et les économies les plus liées à celles de ces derniers.

1/ Un important ralentissement de l’activité économique est attendu en 2022. Selon la Banque mondiale, la guerre en Ukraine devrait provoquer une récession de 4,1% en 2022 pour la zone Europe et Asie centrale[1] prise dans son ensemble. Ce recul de l’activité est imputable au premier chef à la Russie et l’Ukraine, qui devraient voir leurs activités respectives diminuer de 11,2% et 45,1% en 2022. 4 pays (Biélorussie, Moldavie, Kirghizstan, Tadjikistan) entreraient par ailleurs en récession. En excluant les belligérants, la croissance du PIB de la zone s’élèverait à 2,2% en 2022, soit 1,2 points de PIB de moins que dans la précédente prévision de la BM publiée en janvier.

Figure 1.   Prévisions de croissance de la Banque mondiale en 2021-2023

Tableau

La transmission des effets de la crise s’effectue par des canaux directs et indirects. Les canaux directs, qui comprennent notamment le commerce extérieur, les investissements et les transferts de fonds transfrontaliers, touchent de manière significative les pays les plus dépendants de l’économie russe, à savoir le Tadjikistan, le Kirghizstan, l’Arménie, la Biélorussie et la Moldavie. Les autres pays de la zone sont davantage impactés par les effets indirects de la crise, associés notamment à la baisse de la demande depuis la zone euro, à la volatilité accrue des marchés financiers et à la perturbation des chaînes de valeurs et des approvisionnements en amont desquels la Russie et l’Ukraine sont situées. Les tensions sur les matières premières (denrées alimentaires, énergies) génèrent également un surplus d’inflation qui pèsera sur le niveau de vie des ménages, la balance commerciale et l’endettement public. A moyen terme, la crise pourrait poser des risques additionnels pour la sécurité alimentaire.

L’impact de la crise est fortement différencié selon les pays et les zones géographiques. Elle devrait affecter de manière disproportionnée l’Europe de l’Est (Ukraine, Biélorussie, Moldavie), qui entretient les liens économiques les plus étroits avec la Russie. La Moldavie est particulièrement exposée du fait de sa dépendance tant aux exportations de matières premières russes qu’ukrainiennes : le gaz russe représente 50% de la facture énergétique moldave, tandis que le blé est importé à 40% depuis l’Ukraine. Dans le Caucase du Sud, l’Arménie devrait enregistrer un fort ralentissement de sa croissance en 2022 en raison de l’importance de la Russie pour le commerce extérieur, les investissements étrangers et les transferts de revenus des travailleurs[2]. L’impact de la crise sur les pays d’Asie centrale est contrasté : la croissance devrait être divisée par trois en 2022 par rapport à 2021, avec des conséquences beaucoup plus importantes pour les petites économies de la zone dépendantes de la Russie (Tadjikistan, Kirghizstan). Ces dernières seront affectées non seulement par la diminution des transferts de fonds des travailleurs, qui représentent jusqu’à un tiers de leur PIB, mais aussi par les sanctions contre le secteur financier et bancaire russe, dont elles dépendent grandement pour effectuer leurs transactions avec l’étranger. L’impact de la crise sur le Kazakhstan et l’Ouzbékistan devrait être atténué par l’envolée du cours des matières premières, dont ces pays sont exportateurs.

2/ Une montée généralisée de l’inflation. La Russie et l’Ukraine étant des exportateurs importants des matières premières[3], les prix de ces dernières sont en hausse depuis le début du conflit. Selon la BM, les prix ont augmenté de 70% pour le gaz européen, de 65 % pour le charbon, de 40 % pour le blé et de 30% pour le pétrole brut Brent. Les pays de la région importent jusqu'à 100% du blé depuis la Russie et l'Ukraine. Par conséquent, les prévisions de l’inflation pour les pays de la région ont été fortement revues à la hausse par rapport aux prévisions précédentes.

Figure 2. Prévisions de l'inflation

Tableau

 

Les conditions mondiales de financement pourraient se durcir à cause de la hausse de l'inflation globale. Cela augmenterait les risques liés au refinancement de la dette publique dans la région compte tenu notamment des niveaux de dette élevés dans certains pays, qui se sont fortement accrus pendant la récession liée à la pandémie.  

3/ Un creusement des déficits courants et un risque d’endettement supplémentaire.  La plupart des pays non-exportateurs d’hydrocarbures vont devoir faire face à une dégradation de leur compte courant en 2022. Cette évolution est la résultante de plusieurs facteurs ; premièrement, le déficit commercial de ces pays devrait s’accentuer sous l’effet du renchérissement des produits alimentaires et de l’énergie, qui occupent une place très importante dans leur panier d’importations ; deuxièmement, la contraction attendue des envois de fonds depuis la Russie  empêchera le solde des revenus de rééquilibrer la balance courante. Ainsi, une baisse de 40% de ces transferts de fonds est attendue pour le Tadjikistan, soit une diminution de près d’1 Md USD par rapport à l’année précédente. L’Ouzbékistan, pour sa part, devrait voir son solde commercial s’améliorer à la faveur de la hausse des prix des matières premières (or, cuivre, gaz), mais percevrait l’équivalent de 6 points de PIB en moins au titre des transferts de fonds transfrontaliers, conduisant à une dégradation de son solde courant. L’Arménie connaîtrait une évolution similaire, bien que moins marquée.

Figure 3. Solde courant en % PIB

Graphique

 

Le recours aux réserves et à l’endettement sera nécessaire pour faire face aux besoins de financement. La capacité de financement du déficit courant par les IDE, déjà limitée en temps normal, devrait être particulièrement contrainte dans ce contexte défavorable, d’autant que la Russie est le principal investisseur dans plusieurs pays de la zone (Arménie, Biélorussie). La Banque mondiale anticipe une réduction des flux nets d’IDE à destination des pays de la zone, sauf pour le Tadjikistan et le Kirghizstan pour lesquels ces flux étaient négligeables en 2021. 

Figure 4. Flux d’IDE net en % PIB

Tableau

 

Le ralentissement de la croissance, voire la récession, couplée à la hausse du besoin de financement conduiraient à une hausse de la dette publique rapportée au PIB pour tous les pays de la zone.

Figure 5. Dette publique rapportée au PIB (%)

Tableau



[1] Cette zone comprend les pays d’Europe centrale et orientale, des Balkans, du Caucase du Sud, d’Asie centrale et la Turquie.

[2] Pour plus de détails sur l’Arménie, voir « Nouvelles économiques de l’Eurasie du 8 avril 2022 ».

[3] La Russie exporte 10% du pétrole brut dans le monde, 25% du gaz et 20% du charbon. La Russie et l’Ukraine exportent 25% du blé. L’Ukraine exporte 40% d’huile de graines