L’entreprise française Stellantis a annoncé fin mars la construction de la première « gigafactory » de batteries pour véhicules électriques sur le sol canadien, en Ontario, capitale de l’automobile canadienne. Ce projet vient à la fois relancer le dynamisme du secteur et soutenir les plans stratégiques des autorités canadiennes. Le gouvernement ontarien avait annoncé quelques jours plus tôt sa stratégie pour les minéraux critiques, signe de sa volonté de développer une chaîne de valeur intégrée.

1/ Stellantis a annoncé un projet majeur d'usine de batteries en Ontario, dernière annonce d'une série d'investissements traduisant le renouveau de l'industrie automobile ontarienne

L’entreprise Stellantis a annoncé fin mars la construction à venir d’une usine de production de batteries pour véhicules électriques à Windsor, dans le sud de l’Ontario, pour un investissement total de 5 Md CAD (3,6 Md €). Il s’agit de la première usine de production à grande échelle de batteries pour véhicules électriques au Canada et du plus important investissement automobile de l’histoire du pays. Cet investissement se réalisera en partenariat avec le groupe coréen LG Energy Solutions, avec qui une joint-venture est créée pour l’occasion. Cette « gigafactory », d’une capacité de production annuelle de 45 Gwh, devrait créer pas moins de 2500 emplois dans la ville de Windsor, haut-lieu du secteur automobile canadien, où Stellantis est déjà le premier employeur grâce à la présence historique de Chrysler depuis près d’un siècle. Le début de la construction du site est attendu d’ici la fin d’année, tandis que le lancement des opérations de productions est prévu pour 2025.

Ce projet vient confirmer le renouveau du secteur automobile en Ontario. Alors que la production automobile canadienne est tombée au plus bas en 2021 avec seulement 1,1 million de véhicules, soit le total le plus faible depuis 1967 (contre plus de 2 millions avant la pandémie, et 3 millions au début du siècle), l’électrification est vue comme une opportunité pour la filière. Le projet de Stellantis viendra ainsi redynamiser cette industrie, à l’image des derniers investissements annoncés par les autres producteurs automobiles au Canada : Honda avait annoncé 10 jours plus tôt un investissement de 1,4 Md CAD (1 Md €) pour produire des modèles hybrides dans son usine d’Alliston, tandis que General Motors a officialisé début avril un investissement de 2 Md CAD (1,5 Md€), dont 500 M CAD de subventions publiques,  pour opérer la transition de son site d’Ingersoll, qui deviendra la première usine de production à grande-échelle de véhicule électrique au Canada.

Un renouveau qui bénéficie d’un fort soutien politique et financier des autorités gouvernementales. Si le montant des subventions au projet de Stellantis n’a pas été dévoilé, elles pourraient atteindre jusqu’à 1 Md CAD (720 M€) selon certains experts. Ce projet vient en effet soutenir des objectifs importants des gouvernements fédéraux et provinciaux. Dans son plan climatique publié fin mars, le gouvernement fédéral a annoncé un mandat de ventes de véhicules zéro-émission représentant 20% des ventes totales d’ici 2026, 60% d’ici 2030 et 100% d’ici 2035 ; elles ne représentaient que 5,4% fin 2021. Avec cet objectif en vue, le gouvernement fédéral a annoncé par la même occasion une enveloppe de 1,7 Md CAD (1,2 Md €) pour un programme de subventions d’achat de véhicules électriques, ainsi qu’un total de 900 M CAD (650 M €) pour développer le réseau de chargeurs dans le pays. Le gouvernement fédéral devrait également annoncer dans son budget au moins 2 Md CAD (1,5 Md€) pour accélérer la production et le traitement de minéraux critiques nécessaire dans la chaine d’approvisionnement des batteries. Le gouvernement provincial avait quant à lui annoncé en novembre 2021 une stratégie pour l’avenir du secteur, avec l’objectif de production de 400 000 véhicules électriques d’ici 2030.

Le projet de Stellantis rassure également sur l’attrait de l’Ontario auprès des constructeurs automobiles, malgré les vents contraires rencontrés récemment. Les ventes de véhicules électriques plafonnent aujourd’hui à 3% des ventes totales en Ontario, contre 12% en Colombie-Britannique et 10% au Québec, seules provinces disposant d’un objectif de ventes de véhicules électriques et d’une subvention à l’achat. Le gouvernement ontarien actuel s’est en effet contenté de soutenir exclusivement l’offre plutôt que la demande : le programme de subvention à l’achat a été suspendu en 2018, tandis que le Ministre de l’Economie avait confié au SER que le développement du réseau de chargeurs était l’affaire des constructeurs. Le projet de Stellantis est également annoncé un mois après le blocage du pont entre Windsor et Détroit par le « Convoi de la Liberté » des camionneurs canadiens, qui avait entraîné d’importantes conséquences sur la chaîne d’approvisionnement des constructeurs automobiles. Enfin, ce projet intervient alors qu’est toujours en discussion à Washington le projet de subvention allant jusqu’à 12 500 USD pour l’achat d’un véhicule électrique produit aux Etats-Unis, qui créait une menace jugée « existentielle » par nombre de responsables canadiens.

2/ Cet investissement s'inscrit par ailleurs pleinement dans la stratégie pour les minéraux critiques et stratégiques du gouvernement ontarien dévoilée récemment

Une semaine avant l’annonce de Stellantis, le gouvernement provincial de l’Ontario avait annoncé à la mi-mars sa stratégie concernant les minéraux critiques. La stratégie repose sur six axes d’intervention : i) subventionner les projets en développement d’exploration de minéraux critiques (Annexe 1) ; ii) créer une chaîne de valeur locale ; iii) améliorer le cadre réglementaire ; iv) investir dans la R&D ; v) construire un partenariat avec les communautés autochtones ; vi) développer une main d’œuvre qualifié. Une enveloppe financière de 29 M CAD (21 M €) est allouée à la stratégie, visant principalement à soutenir les jeunes entreprises d’exploration minière et à créer un fonds d’innovation pour les minéraux critiques. Le gouvernement ontarien avait déjà annoncé en novembre dernier sa volonté de valoriser la zone du « Cercle de Feu », un site minier dans le nord de l’Ontario riche en cobalt, lithium, manganèse, nickel et graphite, où la stratégie souhaite prendre racine.

Cette stratégie vise à renforcer une industrie des minéraux critiques au sein d’un secteur minier déjà développé en Ontario. La province dispose en effet d’une industrie minière importante, évaluée à 10,7 Md CAD (7,7 Md €) et accueille au sein de la Bourse de Toronto plus de 40% des entreprises minières mondiales listées en bourse. Le gouvernement provincial souhaite désormais mettre l’accent sur les minéraux critiques (3,5 Md CAD, soit 2,5 Md € de revenus en 2020), notamment le cobalt, le nickel, et le lithium, tous utilisés dans la production de batteries. Lors d’un entretien récent avec la délégation de l’Union Européenne au Canada, le Premier ministre provincial Doug Ford avait notamment souligné son soutien au développement de sites de traitement et de raffinage, en vue de la création d’une chaîne de valeur intégrée de production de véhicule électrique. Un projet de « battery park » - similaire au Harjavalta Industrial Park en Finlande - abritant la première raffinerie de cobalt de l’Ontario a ainsi reçu le soutien des autorités fédérales et provinciales début mars.

De nombreuses étapes restent toutefois encore à franchir avant l’intégration complète d’une chaîne de valeur automobile. Si la volonté politique et les ressources naturelles et énergétiques (production électrique décarbonnée issue du nucléaire et de l’hydroélectricité) sont déjà présentes, bientôt accompagnées de projets de constructions de batteries, les projets miniers d’ampleur sont encore peu nombreux (Annexe 2), tout comme les projets intermédiaires de raffinage et de traitement.

Annexes

Annexe 1 : carte des projets d’exploration de minéraux critiques à développer en Ontario

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Annexe 2 : carte des principaux projets et des mines actives en Ontario

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