Publications des Services économiques

Zoom de la semaine : Impact de la guerre en Ukraine sur l’économie arménienne

L’Arménie est particulièrement exposée aux conséquences macroéconomiques et financières de la guerre en Ukraine du fait de l’importance de la Russie pour son économie, à la fois premier partenaire commercial, premier investisseur étranger et première destination d’origine des envois de fonds depuis l’étranger. Les dernières prévisions font ressortir un risque de ralentissement conséquent de l’économie arménienne en 2022 doublé d’une hausse de l’inflation et d’une dégradation des indicateurs socio-économiques. Un creusement du déficit courant est également attendu en lien avec la contraction des envois de fonds des travailleurs depuis la Russie.

1/ Un impact direct sur le commerce extérieur. La Russie est le premier partenaire commercial de l’Arménie. Elle est à la fois le premier fournisseur et le premier client de l’Arménie devant l’Union européenne et la Chine. En 2021, 33% des exportations arméniennes, soit 1,8 Md USD, était destiné au marché russe, tandis que 28% des produits importés par l’Arménie, soit 850 M USD, étaient d’origine russe. Ainsi, les exportations vers la Russie et importations en provenance de la Russie représentaient respectivement 13,1% et 6,2% du PIB courant en dollars de l’Arménie en 2021.

Dans son dernier rapport trimestriel de politique monétaire, la Banque centrale d’Arménie (BCA) a revu à la baisse ses prévisions pour le commerce extérieur en 2022. En volume, les exportations diminueraient de 1,8% en g.a., et les importations de 0,1%, contre des hausses respectives de 5,6% et 10,3% dans les précédentes estimations. Le recul des exportations s’expliquerait à la fois par la baisse de la demande russe dans un contexte de forte récession, ainsi que par la perte de compétitivité-prix des exportateurs arméniens induite par l’appréciation du dram par rapport au rouble. En outre, la BCA estime que le potentiel de réorientation des exportations, notamment alimentaires, destinées au marché russe est faible à court et moyen terme. Du fait du poids relatif des exportations et importations dans la balance commerciale arménienne, structurellement déficitaire, la contraction du commerce extérieur devrait entraîner une légère réduction du déficit commercial à -8,1% du PIB en 2022, contre -8,7% dans les prévisions précédentes de la BCA. 

L’Ukraine est un partenaire économique secondaire pour l’Arménie. Le marché ukrainien représente moins de 1% des exportations arméniennes, et fournit un peu moins de 3% des importations arméniennes. Les exportations arméniennes vers l’Ukraine sont dominées par les boissons alcoolisées et les produits du tabac, tandis que les importations depuis l’Ukraine comportent essentiellement des produits alimentaires. Tant ces importations que ces exportations pourraient aisément être redirigées vers ou acquises sur le marché russe à court terme. La part des IDE ukrainiens en Arménie est également négligeable. Il en résulte que les dommages infligés à l’économie ukrainienne et la perturbation des relations commerciales avec ses partenaires devraient avoir une incidence directe relativement contenue sur l’économie arménienne.

2/ Un risque de réduction des flux de capitaux.  La Russie est aussi le premier pourvoyeur de capitaux de l’Arménie. Ceux-ci transitent par deux canaux principaux, à savoir les transferts de fonds transfrontaliers effectués par les travailleurs arméniens depuis la Russie, et les investissements étrangers dont la Russie est le premier pourvoyeur en Arménie. En 2021, les envois de fonds entrants des travailleurs depuis la Russie ont atteint 866 M USD, soit 41% du total de ces envois et 6,4% du PIB arménien ; le stock d’investissements russes en Arménie atteignait 1031 Md AMD (2 Md USD) en 2020, dont 818 Md AMD (1,6 Md USD) d’investissements directs étrangers représentant 40,7% du total.

La crise économique devrait engendrer une diminution d’environ 20% des envois de fonds des travailleurs vers l’Arménie. Le ralentissement brutal de l’activité économique en Russie conjuguée à la dépréciation du rouble par rapport au dollar constitue un premier facteur d’amoindrissement des transferts de devises. Les sanctions imposées au secteur bancaire russe et la suspension des activités en Russie de services de transferts (Western Union…) devraient également rendre plus difficile la réalisation de ces envois de fonds, sans compter le renchérissement des coûts de transports vers et depuis la Russie, qui pourrait avoir un caractère dissuasif pour les travailleurs saisonniers. Au total, la BCA anticipe que le flux net d’envoi de fonds (tel qu’enregistré dans la balance des paiements) s’établira à 1 Md USD en 2022, soit 6,7% du PIB et 20% de moins que sa précédente estimation (1,25 Md USD, 8,2% du PIB) et qu’en 2021. Le déficit courant s’établirait à 4,4% du PIB, soit un creusement d’un point de pourcentage par rapport aux précédentes prévisions pour 2022 et de deux points par rapport à 2021. Les autorités arméniennes n’ont pour l’heure pas revu leurs projections budgétaires pour 2022, qui prévoient un déficit et une dette publics à respectivement de 3,1% et 60,1% du PIB.

3/ L’activité devrait enregistrer un fort ralentissement en 2022. La Banque centrale d’Arménie (BCA) a abaissé sa prévision de croissance de 5,3% à 1,6% en 2022[1]. Du point de vue de l’offre, ce ralentissement de la croissance devrait principalement affecter l’industrie, dont la production devrait reculer de 4,7% en 2022 contre une hausse précédemment attendue à 1,6% sur l’année. Les effets du conflit en Ukraine sur les autres secteurs d’activité devraient être plus mitigés : le secteur des services serait affecté par la baisse du pouvoir d’achat de la population, mais pourrait simultanément bénéficier d’une contribution positive du tourisme grâce au surplus de visiteurs en provenance de Russie, qui représente déjà 40% du marché du tourisme arménien. Au total, les services devraient enregistrer une croissance de 3,2% contre 5,9% dans l’estimation précédente. Enfin, le secteur agricole devrait croître plus fortement que prévu à 3,8% (contre 3,3% précédemment) grâce à un excédent de main d’œuvre saisonnière n’ayant pu émigrer en Russie.

Figure 1. Croissance du PIB

Graphique

Les conséquences économiques et sociales de la crise seront multiples. Le recul des envois de fonds des travailleurs devrait entraîner un recul de la demande privée, 10 à 12% des ménages arméniens dépendant de ces flux financiers pour leur consommation. Selon la BCA, la consommation privée devrait faiblement augmenter à 1,2% en 2022 (contre 5,7% dans les précédentes prévisions). Selon le ministre de l’Économie, le taux de pauvreté pourrait augmenter de 27 à 42% d’ici à la fin de l’année principalement en raison de l’inflation alimentaire. Une hausse du chômage est aussi attendue du fait du ralentissement des migrations de travail saisonnières et plus généralement de l’activité économique : il devrait s’établir à 16,7% en 2022 contre 15% fin 2021. Paradoxalement, ce surplus de main d’œuvre contribuerait à un regain d’activité dans le secteur agricole et pourrait générer jusqu’à 0,3 point de PIB supplémentaire en 2022 selon les estimations de la BCA. La BCA note également que la réduction de l’écart de revenus entre la Russie et l’Arménie, ainsi que l’afflux de main d’œuvre qualifiée en provenance de Russie pourrait contribuer à une hausse annuelle du PIB de 0,3 à 0,4 point à long terme.

3/ L’inflation devrait temporairement repartir à la hausse. Un rebond de l’inflation est prévu par la BCA à court et moyen terme. Après avoir procédé à un resserrement prudent et progressif de sa politique monétaire depuis la fin de l’année 2020, la Banque centrale a relevé son taux directeur de 125 points le 15 mars dernier à 9,25% en anticipation des conséquences de la guerre en Ukraine, ce alors que l’inflation annuelle était orientée à la baisse depuis novembre 2021 (-3,2 pdp entre novembre 2021 et février 2022). L’inflation a néanmoins enregistré un sursaut en mars : en glissement mensuel, l’indice des prix à la consommation a augmenté de 1,8%, contre 0,1% en février, tiré par la hausse du prix des produits alimentaires (+2,3%) et de l’énergie (+3,1%) dont l’Arménie est un importateur. En glissement annuel, l’inflation s’est établi à 7,4% en mars contre 6,5% le mois précédent. A très court terme, l’Arménie enregistrerait un surplus d’inflation lié au conflit de plus de 1,5 point de pourcentage ; l’inflation annuelle en fin d’année 2022 atteindrait 6,6%, soit 1,1 pdp de plus que le niveau anticipé pré-crise. En l’absence de nouveaux chocs extérieurs, elle devrait progressivement se résorber à partir de 2023, et l’objectif de diminution de l’inflation à 4% à l’horizon 2024 reste maintenu par l’autorité monétaire.

Figure 2. Politique monétaire et inflation

Graphique



[1] La Banque européenne de reconstruction et de développement (BERD) fournit une estimation de la croissance similaire à 1,5% contre 5,3% précédemment. La Banque asiatique de développement (BAD) a pour sa part revu à la baisse sa prévision de 3,5 à 2,8%.