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Zoom de la semaine : Situation économique et financière de la Russie au 1er avril 2022

1/L’impact prononcé des sanctions internationales sur l’économie est confirmé par les premières données d’enquête disponibles. L’indicateur avancé PMI du secteur manufacturier – rendu public aujourd’hui - a diminué à 44,1 points en mars 2022 contre 48,6 points en février 2022. Sur la base de cet indicateur, l’ampleur du choc est nettement moindre comparé à avril 2020 (confinement) mais beaucoup plus prononcée par rapport à fin 2014/début 2015. L’enquête PMI témoigne en outre d’une poussée inédite des prix de vente des producteurs, qui répercutent la hausse de leurs coûts d’approvisionnement et les variations de change subies.

2/En outre, certaines sources privées témoignent de l’effet absolument massif du conflit armé et des sanctions sur le fret à destination de la Russie. Selon l’entreprise FourKites, les importations russes en volume tous modes de transport confondus seraient en baisse de 51% par rapport à la situation d’avant crise et de 77% en ce qui concerne les produits industriels. Même si ces données révèlent également une nette croissance des livraisons dans les pays limitrophes aux conflits, et donc les stratégies de contournement géographique des transporteurs, on peut considérer en première analyse que les effets des perturbations d’approvisionnement vont devenir de plus en plus mordants, à mesure que les stocks actuels s’épuiseront.

3/Les effets inflationnistes de la crise sont extrêmement marqués, mais s’atténuent quelque peu. En glissement hebdomadaire, l’indice des prix à la consommation a augmenté de 1,2% sur la période du 19 au 25 mars 2022 (dont 0,7 point imputable aux prix alimentaires) contre 1,9% sur la période précédente, reflet peut-être d’un ralentissement des achats de précaution. L’inflation annuelle ressort ainsi à 15,7% contre 14,5% sur la période précédente. Les autorités ont indiqué via différents canaux ne pas envisager de mettre en place de mesures de contrôle des prix de grande ampleur mais qu’elles cibleraient leurs actions sur certains produits essentiels. En matière de sécurisation du marché intérieur, elles ont, pour mémoire, déjà mis en œuvre plusieurs mesures de restrictions aux exportations (céréales, sucre) et une loi autorisant les importations parallèles a été votée cette semaine (la liste des produits concernés n’est pas encore connue).

4/Au sein de la sphère financière, la stabilisation observée les semaines précédentes se confirme, mais elle s’opère dans un cadre ultra-contrôlé qui ne permet pas le reflet des fondamentaux économiques. Sur le marché des changes (figure ci-dessous), le taux de change du rouble par rapport à l’euro et au dollar, enregistre au 2 avril une progression sur une semaine de, respectivement, 12,5% et 12,8%. Sa dépréciation par rapport au niveau pré-crise n’est ainsi plus que 7% et 10% (13% et 17% par rapport au début du mois de novembre 2021).

Figure. Taux de change du rouble

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Cela s’explique a priori par l’efficacité des mesures de contrôle des changes et des capitaux, dont un lockdown imposé aux investisseurs étrangers et une obligation pour les exportateurs de convertir en roubles 80% de leurs recettes en devises. Les données de transactions sur le marché des changes domestique révèlent ainsi un fonctionnement au ralenti avec, à titre d’exemple, une baisse de 70% en valeur et de plus de 80% en volume des transactions d’achats d’USD observée le 31/03, par rapport au 18/02. Le bilan de la réouverture de la Bourse de Moscou est de même facialement positif : redémarrée de façon graduelle et très contrôlée à partir du 24 mars, elle enregistre au 31 mars des gains de 9% environ par rapport au 25 février (date de sa fermeture). Enfin, le mouvement de normalisation de la liquidité bancaire en rouble s’est poursuivi, dans le sillage de la continuation des rentrées de billets dans les caisses de la Banque centrale. Le déficit de liquidité du système bancaire est ainsi à date totalement résorbé (figure ci-dessous).

Figure. Position de liquidité du système bancaire (Md RUB) – Signe positif = déficit

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Le marché monétaire ne semble pas tendu (proximité du taux au jour le jour avec le taux directeur) mais est probablement fragmenté à en juger par la forte diminution des contreparties qui y sont actives par rapport à l’avant crise.  

6/Un le décret présidentiel portant sur l’utilisation du rouble dans les échanges gaziers a été publié le 31 mars. Il prévoit qu’à compter du 1er avril, les importateurs de gaz russe des pays considérés comme inamicaux devront ouvrir deux comptes auprès de GazpromBank, l'un en devise étrangère, l'autre en rouble. Ils devront dans un premier temps régler leur approvisionnement en gaz russe en transférant la somme correspondante sur le compte libellé en devise étrangère, conformément aux contrats en vigueur. GazpromBank procédera à la conversion de cette somme en roubles sur le marché des changes domestique, puis créditera le compte de l'importateur libellé en roubles. C'est cette somme en roubles qui sera ensuite reversée à Gazprom.

7/Les remboursements de dette publique externe en devises continuent de s’opérer. Les 28 et 31 mars, le ministère russe des finances a pu assurer le paiement de coupons d’euro-obligations pour respectivement 102 et 329 M USD. Par ailleurs, dans le cadre de l’arrivée à maturité le 4 avril prochain d’une obligation de 2 Md USD, le ministère a proposé aux créanciers résidents un remboursement anticipé en roubles. Le mécanisme a été utilisé à hauteur de 1,4 Md USD, soit 70% du total. Sur le marché de la dette domestique (OFZ), les rendements se sont fortement détendus depuis le 24 mars (-213 pdb pour le 10 ans, à 11,2%). A l’instar du marché actions, les évolutions des prix/taux ne doivent pas être sur-interprétées du fait des mesures de contrôles des capitaux à l’œuvre (les non-résidents, un peu moins de 20% des encours, sont toujours captifs). Le ministère des finances n’a toujours pas communiqué de plan d’émissions pour le deuxième trimestre.