Outre les questions de protection des données et de vie privée – encadrées par le Personal Information Protection and Electronic Documents Act (PIPEDA) au Canada – le Canada travaille sur plusieurs sujets faisant écho aux chantiers européens : le gouvernement fédéral prépare un texte sur la régulation du contenu en ligne (DSA) ; une révision de la politique de concurrence a été annoncée pour rééquilibrer les rapports de forces vis-à-vis des géants du numérique (DMA).

1/ Le gouvernement canadien a lancé plusieurs chantiers pour moderniser ses réglementations concernant le contenu en ligne

Le Canada, qui se considère à la fois comme plus interventionniste que les Etats-Unis et en retard sur l’Union Européenne en matière de régulation numérique, a lancé une réforme de sa loi sur les données personnelles. A la suite notamment de l’adoption du RGPD par l’UE, le gouvernement fédéral a lancé une réforme de son cadre législatif, aujourd’hui régi par le Personal Information Protection and Electronic Documents Act (PIPEDA, entré en vigueur en 2001), afin de satisfaire aux obligations d’équivalence de la Commission Européenne (cf. annexe 1).

En matière de régulation du contenu en ligne, plusieurs initiatives ont été lancées. Une consultation publique a été menée à l’été 2021 par les ministères du Patrimoine, de la Justice et de la Sécurité publique, qui se partagent la compétence de ce dossier, dans le but de redéfinir un nouveau cadre législatif pour les réseaux sociaux. Cette approche se veut complémentaire au projet de loi C-36 présenté par le ministère de la Sécurité Publique en juin 2021, visant à limiter le contenu toxique et les discours haineux en ligne, qui n’a toutefois pas été voté avant la dissolution du Parlement canadien préalable aux élections fédérales de septembre 2021. Très proche du DSA de l’UE sur les sujets de la responsabilité des plateformes, de l’utilisation du signalement par les utilisateurs et de la transparence (cf. annexe 2), l’approche canadienne se veut plus conciliante sur la question des sanctions : le Tribunal de la protection des renseignements personnels et des données (prévu dans la réforme du PIPEDA) aura la possibilité d’infliger une amende de 3 % du chiffre d’affaires ou 10 M CAD (7 M€), selon le montant le plus élevé, et jusqu’à 5 % (ou 25 M CAD/17,6 M€) en cas de non-respect d’un accord conclu entre le Tribunal et l’entreprise (contre 6 % du CA en Union Européenne). Si les répondants à la consultation approuvent majoritairement la mise en place d’un cadre législatif, beaucoup considèrent que l’approche proposée est trop directive (cf. annexe 3). Un panel d’expert va être mis en place afin de retravailler l’approche du Canada en s’inspirant du Royaume-Uni, dans le but de déposer un projet de loi révisée à l’automne 2022 au plus tôt.

Patrimoine Canada travaille également à renforcer la visibilité du contenu d’origine canadienne sur les plateformes numériques. Le projet de loi C-11, modifiant la « Loi sur la radiodiffusion », a été déposé en février 2022; une adoption d’ici à juin 2022 est espérée. L’objectif est d’obliger les plateformes comme Netflix, Disney+ ou YouTube à promouvoir le contenu canadien, y compris en contribuant au financement de la création de contenu canadien, sous la surveillance du Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC). Si le gouvernement défend que ce nouveau texte ait résolu les problèmes soulevés par les conservateurs, qui accusaient la version précédente de cette réforme (projet de loi C-10 présenté en 2021) de limiter la liberté d’expression d’artistes, influenceurs ou politiciens en ligne, certaines critiques demeurent : ses détracteurs craignent en particulier que la réglementation s’applique aux plateformes proposant du contenu généré par les utilisateurs, comme YouTube, Twitch ou TikTok, affectant ainsi les créateurs canadiens ; une directive du Ministre est attendue pour clarifier ce cadre.

2/ Le gouvernement fédéral affiche également sa volonté de davantage contrôler le pouvoir des grandes plateformes numériques, notamment par le prisme du droit de la concurrence

Le Canada a annoncé vouloir réviser sa encadrant la concurrence, afin de l’adapter aux nouveaux enjeux numériques. Le gouvernement a annoncé en février 2022 que le gouvernement allait travailler à l’amélioration du Competition Act, qui n’a pas été revu depuis 2008, afin de l’adapter à l’ère numérique. Le Bureau de la concurrence canadien a ainsi publié des recommandations en vue de cette révision – dont les abus de position dominante ou encore les pratiques commerciales trompeuses sur les plateformes numériques –, plaidant pour une révision des sanctions. Actuellement, le Bureau de la concurrence peut infliger aux entreprises une amende à hauteur de 10 M CAD (7 M€) maximum pour une infraction initiale, et de 15 M CAD (17,6 M€) pour une seconde infraction; des montants toutefois peu dissuasifs en comparaison aux chiffres d’affaires des géants du secteur1. Avec la réforme, les montants des sanctions pourraient être définis proportionnellement au CA, comme cela est prévu dans le texte du DMA européen (jusqu’à 10% du CA total).

Le gouvernement fédéral souhaite aussi rééquilibrer le rapport de force entre les géants du numérique et les organes de presse canadiens, en crise alors que la publicité en ligne génère de plus en plus de revenus. Le ministre du Patrimoine a annoncé le 23 février que le gouvernement prépare une nouvelle loi, qui devrait être présentée fin mars, pour préserver les médias canadiens, dont les revenus publicitaires ont été affectés par les plateformes numériques : en 2020, les revenus liés à la publicité en ligne au Canada s’élevaient à 10 Md CAD (7 Md €), dont 80 % étaient absorbés par Google et Facebook, alors qu’en parallèle, 451 organes de presse canadiens ont fermé depuis 2008 (dont 64 depuis le début de la pandémie). Le projet de loi permettra ainsi la création d’un cadre de négociation collectif entre les organes de presse et les plateformes réutilisant leurs contenus comme Google et Facebook, à la manière de ce qu’a fait l’Australie : les parties seront incitées à conclure un accord en dehors du régime d’arbitrage, qui encadrera les cas où un accord ne pourra être signé en choisissant la proposition d’un des deux parties. Google, critique à l’égard de la loi australienne, a cependant déclaré être prêt à « faire sa part » au Canada tout en protégeant l’internet ouvert. Facebook et Google ont ainsi chacun mis en place au Canada Facebook News Innovation Test et Google News Initiative en 2021 : des accords individuels, dont les montants ne sont pas connus, ont été trouvés entre ces entreprises et plusieurs organes de presse canadiens pour l’utilisation de leur contenu.

3/ La souveraineté numérique, elle, ne semble pas être un sujet central des considérations canadiennes

Sur les sujets clés de souveraineté numérique, le gouvernement fédéral n’a pour l’instant pas défini de doctrine spécifique. Au contraire des Etats-Unis et de l’Union Européenne, les Canadiens n’ont pas encore communiqué sur une stratégie nationale sur les infrastructures du cloud (mis à part « Le nuage d’abord », qui définit l’utilisation du cloud par les ministères et organismes public). Cela leur est reproché, notamment par l’institut des études internationales de Montréal qui recommande la création de champions canadiens en la matière, dans un rapport publié en 2021. Ce rapport fait aussi état de préoccupations au sujet des infrastructures de communications et notamment des câbles sous-marins : le Canada est peu relié par des câbles sous-marins et est ainsi très dépendant des Etats-Unis (cf. annexe 4) et l’institut souligne qu’il serait important de défendre la neutralité des réseaux de télécommunication sous-marins. Cette situation peut s’expliquer par le fait que la loi fédérale exige que les navires canadiens aient la priorité pour l’installation de câbles sous-marins dans les eaux canadiennes, ce qui limite le nombre de projets privés. Enfin, alors que les autres membres des « Five Eyes » (Etats-Unis, le Royaume-Uni, l’Australie et la Nouvelle-Zélande) ont déjà interdit le déploiement des infrastructures 5G de Huawei sur leur territoire, le Canada tarde à annoncer une décision, alors même que les opérateurs canadiens Bell et Telus ont déjà choisi Nokia et Ericsson pour le déploiement des antennes 5G sur le sol.