Publications des Services économiques

Zoom de la semaine : Russie, point de situation économique et financière

1. Les premières prévisions disponibles en matière d’évolution de l’activité en 2022 sont autour de -6/-8% ; elles sont sujettes à caution tant leur dispersion est forte à ce stade. Les experts sondés régulièrement par la Banque de Russie anticipent un recul du PIB de 8% en 2022, les prévisions s’étalant de -3,5% à -23%. Les mesures adoptées par les autorités russes, en particulier s’agissant des activités des groupes étrangers en Russie auront un effet protecteur du point de vue du marché de l’emploi, des revenus distribués et du stock de capital physique. En revanche, l’inflation considérable du cadre des mesures restrictives occidentales affaiblirait son économie sur le long terme, en limitant les transferts de technologies.

2. Très peu d’indicateurs avancés d’activité sont disponibles pour le moment. Une première indication de l’ampleur du choc sera fournie par les indices PMI pour le mois de mars qui ne seront rendus publics que début avril prochain. A noter que les données hebdomadaires de la Banque de Russie portant sur les flux financiers entrants dans le système de paiement – dernières données couvrant la semaine du 28 février au 5 mars – ne montraient pas de rupture notable. La Banque de Russie (BdR) indique que ses enquêtes de conjoncture les plus récentes témoignent que de nombreuses industries rencontrent des difficultés de production, de logistique et également en matière de transactions financières internationales. Elle anticipe une récession, sans pour le moment la quantifier[1], qui serait essentiellement provoquée par un choc d’offre.

3. L’impact sur les prix à la consommation est d’ores et déjà très net. L’inflation, qui atteignait 9,2% en glissement annuel fin février 2022 (pour une cible de la BdR à 4%), a nettement accéléré depuis le début de la crise.  Lors des deux dernières semaines, la hausse de l’indice des prix à la consommation a dépassé 2% en glissement hebdomadaire. Sur la période 5-11 mars, elle a atteint 12,5% en glissement annuel. Il est encore trop tôt pour faire la part des choses entre l’effet de pass through de la dépréciation du rouble, les effets logistiques et les comportements de stockage, ce dernier facteur ayant probablement un impact dominant à très court terme. A l’instar des prévisions d’activité, les prévisions en matière d’inflation pour 2022 sont extrêmement dispersées. Selon le consensus local, elle atteindrait 20% (prévision médiane), les prévisions variant de 9,8% à 40%.

4. Au sein de la sphère financière, on observe une certaine stabilisation. Le rouble[2], après avoir dépassé la barre de 130 pour un euro et de 120 pour un dollar le 11 mars, s’est apprécié depuis lors de 13% face à ces deux devises (figure 1). La dépréciation du rouble face à l’euro et au dollar atteint néanmoins respectivement 35% et 38% depuis le 18 février, 41% et 48% depuis début novembre 2021.

Figure 1. Taux de change du rouble

Graphique

Les tensions sur la liquidité bancaire se sont également partiellement résorbées. Si la position de liquidité des banques vis-à-vis de la Banque de Russie s’est violemment dégradée depuis le début de la crise, on a observé depuis la semaine dernière un mouvement très net de normalisation (figure 2), lui-même principalement lié à la circulation fiduciaire.

Figure 2. Déficit de liquidité du système bancaire (Md RUB)

Graphique

Après d’importantes sorties enregistrées entre le 24 février et le 5 mars, on observe depuis lors des entrées nettes de billets dans les caisses de la Banque de Russie, ce qui témoigne d’une confiance maintenue des déposants vis-à-vis des banques (figure 3).

Figure 3. Billets en circulation (flux en Md RUB ; signe positif = entrées nettes de billets dans les caisses de la BdR)

Graphique

Les mouvements de stabilisation sur le front financier sont directement imputables aux mesures décidées par les autorités : hausse de taux directeur de 9,5% à 20% le 28 février, couplée à un ensemble de mesures de contrôles des changes et des capitaux, notamment l’obligation pour les exportateurs de convertir 80% de leurs recettes en devises. Lors de la réunion de son Conseil d’administration du 18 mars, la Banque de Russie a maintenu son taux directeur principal inchangé.

5. Le système bancaire devrait bénéficier en outre de plusieurs mesures d’assouplissement réglementaire d’ordre micro et macro-prudentiel décidées par la Banque de Russie, ainsi que de la relance des dispositifs publics de prêts subventionnés. Si un fort ralentissement des crédits octroyés à l’économie est à attendre, l’évolution de ceux-ci pourrait rester en territoire positif[3] et contribuer à atténuer le choc. On notera enfin que le suivi régulier de la solidité financière du système bancaire russe sera rendu plus difficile par l’autorisation donnée aux banques de ne plus publier d’informations financières (les reportings destinés au superviseur restant obligatoires).  

6. La question du défaut souverain de la Russie a été provisoirement tranchée cette semaine. Le paiement d’intérêt de deux euro-obligations en dollar (117,2 MUSD en tout) a pu être exécuté, en cohérence avec la licence dédiée accordée par l’OFAC jusqu’au 25 mai prochain. Néanmoins, la perspective d’un défaut technique de la Russie est loin d’être écartée. La Russie doit rembourser 615 M USD d’ici la fin du mois et 4,5 Md USD entre avril et la fin d’année. Doivent également être remboursés, entre avril et décembre 2022, environ 16 Md USD de dette corporate en devises.

7. Dans ce contexte, la réaction des autorités russes en matière de soutien budgétaire à l’économie est pour le moment prudente. A date, le gouvernement a annoncé une enveloppe de soutien à l’économie russe de 1 000 Md RUB environ (soit 8,6 Md EUR) ce qui représente moins de 1% du PIB de 2021. La moitié de cette somme (496 Md RUB) serait consacrée à des mesures sociales ou destinées à atténuer l’impact de la crise sur le marché du travail et les entreprises ; 275 Md RUB serait consacrés au secteur des transports. Le reste de l’enveloppe serait orientée vers le secteur de la construction et du logement (99,8 Md RUB), les entreprises d’importance systémique (84,8 Md RUB) et les PME (23,3 Md RUB). On notera en outre l’annonce du 18 mars de la BdR qu’elle allait accompagner la réouverture (prévue le 21 mars) du marché de la dette souveraine russe en rouble (OFZ) par des interventions directes (achats de titres).


[1] La BdR publiera des prévisions macro-économiques actualisées le 29 avril.

[2] Nous utilisons les cours officiels publiés par la Banque de Russie.

[3]  Au 1er février, les crédits bancaires au secteur réel étaient en hausse de 18,1% en glissement annuel.