Vers une stratégie canadienne pour les semi-conducteurs
La pénurie mondiale de semi-conducteurs observée en 2021 a pénalisé le Canada, comme la plupart des autres économies développées, et conduit à une prise de conscience de la nécessité d’une sécurisation des approvisionnements. Les acteurs du secteur invitent le Canada à tirer parti de ses nombreux atouts (présence de minéraux critiques, intégration régionale nord-américaine, etc.) et à développer une véritable stratégie.
I/ Dépendante des importations de semi-conducteurs, l'économie canadienne a été très affectée par la pénurie mondiale, notamment dans sa filière automobile
Malgré une production nationale forte d’un demi-millier d’entreprises, le Canada demeure très dépendant des importations de semi-conducteurs. Quelques usines spécialisées dans la production de semi-conducteurs existent au Canada, concentrées dans le Sud de l’Ontario et au Québec (cf. annexe 1). On y trouve des entreprises canadiennes, comme GN Plus, Celestia, Teledyne Dalsa ou Teledyne Micralyne, mais également quelques grands noms du secteur, comme le géant américain IBM, dont les semi-conducteurs produits dans son usine de Bromont (Québec) approvisionnent l’ensemble des serveurs qu’il développe. Quelques 500 établissements représentent ainsi la filière de fabrication de semi-conducteurs et d’autres composants électroniques au Canada, pour un total de 1,9 Md CAD (1,3 Md €) d’exportations contre 5,4 Md CAD (3,7 Md €) d’importations en 2021 – un niveau proche de celui d’avant la crise. Avec une balance commerciale aussi déficitaire (-3,5 Md CAD / -2,4 M€), l’industrie canadienne est ainsi très dépendante des fournisseurs étrangers : la Chine (qui a profité de la crise pour devenir le premier fournisseur du Canada avec 19 % des importations), les Etats-Unis (16 % contre 25% en 2019), ou encore Taïwan (13% contre 11% en 2019) (cf. annexe 2).
Conséquence du rebond exceptionnel de la demande mondiale observée en 2021, la pénurie mondiale a affectée de nombreux pans de l’économie industrielle canadienne, à commencer par la filière automobile. Dispositifs médicaux, produits électroniques grand public, outils agricoles de précision, mais aussi plus en amont de la chaîne les infrastructures de recherche ont ainsi été particulièrement touchés par la rupture des chaînes d’approvisionnement. C’est toutefois la filière automobile qui a été la plus affectée, du fait de la place croissante de des technologies dans ce secteur (véhicules électriques, connectés ou autonomes) : selon une récente étude de Deloitte, l’électronique représente ainsi aujourd’hui 35 % du coût d’un véhicule (avec une projection de 50% en 2030). La pénurie de semi-conducteurs observée à partir du second semestre 2021 a ainsi forcé plusieurs constructeurs à fermer par intermittence les chaînes de production – comme celle de Stellantis à Windsor entre avril et mai 2021 - entraînant une chute de la production de véhicules, qui a atteint 1,1 million de véhicules en 2021, contre 1.4 million en 2020 et 2 millions en 2019. La production 2021 est ainsi le niveau le plus bas enregistré depuis 1967 alors même que la vente de véhicules d’occasion a augmenté de 5 % sur la même période.
II/ Le gouvernement canadien a initié des premières mesures, entre diversification de l'approvisionnement et renforcement de la R&D
A défaut d’une stratégie globale, le gouvernement fédéral s’est surtout attaché à diversifier ses partenaires internationaux. Dans le cadre de la stratégie indopacifique en gestation, la ministre du Commerce international s’est ainsi entretenue avec son homologue taïwanais début 2022 : les ministres ont notamment souligné la nécessité pour les deux pays de travailler ensemble sur les sujets de résilience de leur chaîne d’approvisionnement. Taïwan, plus important producteur mondial de semi-conducteurs grâce au géant du géant Taiwan Semiconductor Manufacturing Company (TSMC), n’était en 2021 que le 3e fournisseur de semi-conducteurs du Canada (derrière la Chine et les Etats-Unis – cf. annexe 2).
Le gouvernement fédéral a également renforcé les efforts sur la R&D depuis quelques années. Le Canada est ainsi parvenu à attirer les « design center » des principaux acteurs de l’industrie, à l’instar de TSMC à Ottawa, d’Intel à Vancouver, ou d’AMD à Markham. Afin de pousser à l’émergence de sociétés canadiennes, le Canada a également investi, 11,2 M CAD (7,7 M€) depuis 2019 dans la Hardware Catalyst Initiative, seul incubateur dédié aux semi-conducteurs au Canada. Cet incubateur, fondé par ventureLab en partenariat avec des géants du secteur comme Dell et AMD, soutient les start-ups et PME de la filière en mettant à disposition des infrastructures d’essai et de prototypage. Depuis deux ans, 23 projets couvrant un large panel d’activités (robotique, mobilité, intelligence artificielle, etc.) ont été développés par l’intermédiaire de ce programme. Cet effort est également visible au niveau provincial : le Québec a ainsi annoncé une zone d’innovation sur les technologies numériques à Bromont, avec un investissement de 25 M CAD (17,2 M€) promis par la province, et 73 M CAD (51 M€) par la société Teledyne Dalsa.
III/ Mais le secteur privé attend toujours une stratégie plus globale, tirant davantage parti des nombreux atouts du pays
Les acteurs privés se sont en effet saisis de la question. Fondé en mai 2021 par les leaders canadiens de l’industrie de semi-conducteurs, le Conseil canadien des semi-conducteurs a publié en novembre 2021 une proposition de plan d’action et des recommandations en vue de renforcer et sécuriser l’approvisionnement en semi-conducteurs. Ce document suggère une stratégie articulée en quatre axes, à mettre en œuvre jusqu’en 2050 (cf. annexe 3) : (i) le renforcement et la diversification de la chaîne d’approvisionnement ; (ii) le développement d’une capacité de production canadienne de semi-conducteurs ; (iii) la spécialisation du Canada autour de débouchés pour l’industrie des semi-conducteurs (le Conseil suggère les véhicules électriques et les capteurs) ; (iv) l’incitation à l’innovation et le soutien au développement du marché. Parmi les mesures de court-terme, on relève notamment la formation d’un consortium d’acheteurs de puces, géré par le Gouvernement, afin de changer le rapport de force dans les négociations avec les exportateurs de semi-conducteurs.
Cet appel à davantage structurer la stratégie du pays entend capitaliser sur les nombreux atouts dont dispose le pays en la matière. D’un point de vue géologique, le Canada possède non seulement d’importantes ressources hydriques, nécessaires au refroidissement des chaînes de production, mais également des gisements de métaux critiques et terres rares encore inexploités, éléments clés pour le développement d’une filière de production de semi-conducteurs (confer note du SER du 8 février 2022). Le Canada est également bien positionné dans les pôles technologiques nécessitant des semi-conducteurs (intelligence artificielle, quantique, cleantech). En outre, avec l’entrée en vigueur de l’Accord Canada - Etats-Unis - Mexique (ACEUM) le 1er juillet 2020, le Canada dispose d’un cadre attractif pour accueillir des investissements dans les semi-conducteurs : le nouvel accord rehausse en effet le contenu régional à 75 % de la valeur du véhicule pour bénéficier de règles préférentielles, ce qui devrait favoriser la production de semi-conducteurs en Amérique du Nord. De surcroît, entre 40 et 45% de la valeur d’un véhicule devra, à terme, être attribuable à des travailleurs rémunérés au moins 16 USD/h, ce qui devrait entraîner une perte de la compétitivité-coût du concurrent mexicain. Enfin, depuis 2015, le programme de report des droits (PRD) permet une exonération des droits de douane sur les importations d’intrants industriels, si le produit final est exporté dans les 4 ans, ce qui pourrait permettre d’attirer des investissements étrangers, même si, à ce jour, cela eut peu d’effets.