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Kazakhstan : réponse économique aux événements de janvier 2022 

En réponse aux événements du mois de janvier 2022, le président Tokaïev a annoncé plusieurs réformes économiques visant notamment à l’amélioration de la situation socio-économique de la population. Ces réformes vont de pair avec une éviction partielle de l’ancienne élite et devraient amener à une augmentation des besoins financiers de l’Etat. Elles comportent certains risques, notamment en matière de fiscalité et de stabilité du secteur bancaire.

1. Une politique économique plus sociale et une éviction partielle de l’ancienne élite.

Dans leur analyse des événements de janvier, les autorités kazakhstanaises attribuent principalement des fondements socio-économiques au mécontentement de la population. Le président Tokaïev a ainsi rappelé le 21 janvier devant les représentants des milieux d’affaires l’ampleur des disparités de revenus et de patrimoine dans le pays. Pour illustrer ses propos, il a souligné que, selon une étude KPMG, 162 personnes contrôlaient la moitié de la richesse nationale pendant que la moitié de la population vivait avec en moyenne environ 1 300 dollars par an. Les autorités ont apporté dès le 6 janvier une première réponse sociale aux revendications des manifestants en instaurant notamment la baisse et le contrôle des prix des carburants pour six mois. Le président Tokaïev a ensuite, dans son adresse au nouveau gouvernement du 11 janvier et son discours du 21 janvier, annoncé un programme de réformes pour une politique économique plus sociale mettant à contribution les milieux d’affaires.

La lutte contre l’inflation, qui atteignait +8,5% en janvier 2022 en g.a. (+9,9% pour les produits alimentaires), semble demeurer l’une des principales cibles des autorités. Le président a, dans ce cadre, demandé le développement d’un plan conjoint entre la Banque nationale, le gouvernement et Atameken (chambres des entrepreneurs) afin d’endiguer la hausse des prix et revenir à une inflation de 3-4% en 2025. Les pistes évoquées sont notamment une baisse de la dépendance aux importations, la suppression de certains intermédiaires[1] et un durcissement de la politique monétaire (hausse du taux directeur). Cependant, la réduction des importations pour lutter contre l’inflation pourrait ne pas apporter les résultats escomptés dans un pays au niveau de vie et aux coûts salariaux comparable à, voire plus élevés que, certains de ses fournisseurs, notamment la Russie, la Chine et l'Ouzbékistan. De plus, l’orientation plus sociale de la politique économique (voir infra) et l’augmentation des coûts pour les entreprises en découlant pourrait impacter les prix à la hausse. La lutte contre l’inflation devrait donc se poursuivre essentiellement par le biais du durcissement de la politique monétaire, qui est déjà à l’œuvre avec plusieurs hausses de taux en 2021 et une hausse de 100 points de base le 24 janvier 2022 à 10,25%.

Alors qu’une approche plus sociale que son prédécesseur transparaissait déjà dans le soutien apporté pendant la crise pandémique et son adresse du 1er septembre 2021, le président Tokaïev a désormais, suite aux événements de janvier 2022, les mains libres pour mettre en œuvre sa volonté de doter le Kazakhstan d’une économie de marché à caractère social. Dans son discours du 11 janvier 2022, il a ainsi notamment évoqué l’adoption d’un code social et la création d’un fonds public social (Fonds populaire) destiné au règlement des problèmes sociaux, notamment dans le domaine de la santé, de l’aide sociale et de l’éducation. Ce dernier devrait être abondé par l’Etat et le secteur privé avec une contribution des plus riches sur une base régulière et des entreprises du secteur des jeux d’argent. Au 2 février 2022, plus de 113 Md KZT (230 M EUR) auraient déjà été versés dans ce Fonds populaire par les représentants du secteur privé, dont la responsabilité sociale a été plusieurs fois rappelée dans les discours présidentiels récents. Les entreprises se plaignant du manque de qualification de la main d’œuvre ont en outre été appelées à investir davantage dans l’éducation. Le président a également demandé le développement d’un programme pour la hausse des revenus de la population par le gouvernent et Atameken, mettant donc également les milieux d’affaires à contribution. Enfin, il a annoncé une réforme des mécanismes de redistribution entre les différents budgets étatiques et régionaux afin de lutter contre les disparités interrégionales. 

Dans ce contexte, le nouveau gouvernement devrait proposer un budget amendé en mars-avril 2022 avec une forte augmentation des dépenses publiques à attendre. Afin de financer les nouvelles mesures, le président a évoqué une hausse des prélèvements pour le secteur minier et des droits d’accises sur le carburant, cette dernière devant être mise en œuvre sans répercussion sur les prix pour les consommateurs (équation complexe). Le renforcement des contrôles douaniers à la frontière chinoise a également été évoqué (lutte contre la corruption et la contrebande). K-J. Tokaïev a en outre appelé les entrepreneurs kazakhstanais à réinvestir leurs bénéfices au Kazakhstan. Il propose d’y parvenir par l’incitation aux retours de capitaux et la mise en place de barrières pour les flux sortants. Notons que la Banque nationale du Kazakhstan a d’ores et déjà renforcé le contrôle des flux de capitaux afin de bloquer les flux sortants jugés illicites. Les grands groupes pratiquant l’évasion fiscale ont par ailleurs été plusieurs fois critiqués, le président appelant l’administration à plus de sévérité à leur égard.  Néanmoins, il propose également de diminuer l’empreinte de l’Etat dans l’économie, notamment via des privatisations d’entreprises publiques. 

Dans ses discours récents, K-J. Tokaïev a souligné la nécessité de renforcer la transparence, de lutter contre les oligopoles et la corruption et de réformer la procédure des appels d’offres publics. Cette volonté est notamment assortie d’une critique visant l’élite économique qui s’est développée sous l’ancien président. En parallèle, de nombreux membres de l’ex famille présidentielle ont perdu leurs postes au sein l’administration et des entreprises publiques. A commencer par l’ancien président, N. Nazarbaïev qui a perdu ses postes à la tête du Conseil de sécurité et du parti Nour-Otan et vu les prérogatives liées à son statut de premier président fortement réduites. Ses gendres (qui dirigeaient les structures Atameken, KazTransOil et QazakGaz) et neveu (premier adjoint du directeur du KNB) ont également perdu leurs postes liés à la sphère publique. Par ailleurs, plusieurs figures emblématiques de l’ère Nazarbaïev ont perdu leurs postes, notamment A. Mamine (premier ministre), K.Masimov (directeur du KNB), B. Sagintaïev (maire d’Almaty), et N. Nigmatouline (président de la chambre basse). Les membres de la famille Nazarbaïev ont néanmoins conservé leurs considérables actifs privés, comme la banque Halyk Bank, l’agence de presse Khabar, et certains marchés. 

2. Augmentation des risques en matière de fiscalité et de stabilité du secteur bancaire.

Les nouvelles mesures annoncées devraient entraîner une augmentation des dépenses budgétaires, qui pourrait être compensée par une hausse des prélèvements au cours des prochains mois, allant au-delà de ce qui a déjà été annoncé. Le président Tokaïev ayant souligné dans son discours du 21 janvier 2022 la part relativement élevée des bénéfices des entreprises privées dans le revenu national (61,5%) en comparaison avec celles des revenus fiscaux (7,3%) et des revenus de la population (31,2%), une plus forte mise à contribution des entreprises apparaît probable. Il a par ailleurs qualifié d’insuffisants les revenus budgétaires totaux, qui atteignent 20% du PIB, contre 40% à 50% du PIB dans les pays de l’OCDE, 40% en Ukraine et 35,5% en Russie. Afin d’éviter une augmentation des prélèvements ou du déficit, cette augmentation des dépenses pourrait également être compensée par une plus forte mise à contribution du Fonds national via des transferts au budget. Le président a toutefois critiqué la baisse des recettes fiscales, de 9,1% à 7,3% du PIB en 10 ans, compensée par la hausse des transferts du Fonds national. Il attribue notamment cette baisse à l’introduction de préférences et niches fiscales. 

Le risque de change apparait pour sa part plutôt faible dans un contexte de prix des hydrocarbures élevés et de capacités de productions épargnées par les évènements de début janvier.  D’autre part, la remontée du taux directeur à 10,25% devrait permettre de soutenir le tengué, tout comme d’éventuels recours au Fonds national pour abonder le budget qui entraîneraient la vente de devises. De plus, la Banque nationale du Kazakhstan dispose de réserves confortables – 34,4 Md USD ou 9 mois d’importation – lui permettant d’intervenir si nécessaire. La Banque nationale a d’ailleurs souligné sa capacité à intervenir sur le marché des changes pour garantir la stabilité financière dans un communiqué du 11 janvier. Notons enfin qu’une dépréciation de la devise nationale n’est pas dans l’intérêt des autorités kazakhstanaises dans un contexte de lutte contre l’inflation (facteur des troubles sociaux). En effet, le pays importe une large partie des biens consommés et une dépréciation deviendrait acceptable, voire souhaitable en cas de dépréciation substantielle du rouble (la Russie étant de loin le premier fournisseur du pays). Enfin, l’absence de restrictions aux mouvements de capitaux de large ampleur témoigne aussi d’une absence d’inquiétude à cet égard. 

Certaines banques, actuellement contrôlées par des proches ou des membres la famille de l’ancien président, pourraient être affectées par les changements à la tête du pouvoir. Il s’agit notamment la première banque du pays par la taille du bilan, Halyk Bank contrôlée par Timour Koulibaïev et Dinara Koulibaïeva. Jysan Bank, 7ème par la taille du bilan, est pour sa part contrôlée par le Fonds Nazarbaïev. Par ailleurs, il n’est pas certain que le neveu de N. Nazarbaïev, officiellement sorti de l’actionnariat, n’ait plus d’influence au sein de Kaspi Bank. En premier lieu, certains anciens actionnaires pourraient essayer de récupérer les banques dont ils ont été évincés, tout comme de nouvelles figures pourraient apparaître. Certaines de ces banques pourraient en outre voir leurs modèles d’affaires devenir non viables sans le soutien apporté jusqu’alors par les pouvoirs publics, notamment Jysan Bank. Notons toutefois que les banques réputées contrôlées par des proches de l’ancien président ont dans l’ensemble décidé de soutenir l’initiative du président Tokaïev de Fonds du peuple kazakhstanais : ainsi Forte Bank (B. Outemouratov), qui a déjà versé 10 Md KZT (21 M EUR) au nouveau Fonds ou encore Kaspi Bank (10 Md KZT), Halyk bank, Jusan Bank, etc.



[1] Sans plus de précisions.