Le virage "vert" de la politique agricole canadienne
Confronté davantage que d’autres pays aux effets du changement climatique, le Canada met les considérations environnementales au cœur de sa stratégie agricole. Cette inflexion a été formalisée lors du sommet agricole annuel de Guelph en novembre dernier, sous la forme de « l’énoncé de Guelph » qui regroupe les nouvelles lignes directrices pour la politique agricole canadienne à horizon 2028 : développement d’un suivi plus fin des indicateurs agro-environnementaux et alimentation durable.
1/ L'environnement s'invite de plus en plus au coeur de la stratégie agricole canadienne
La Déclaration de Guelph publiée à l’issue du sommet éponyme de novembre 2021 souligne les enjeux liés au changement climatique et à la protection de l’environnement, en favorisant notamment l’innovation, la croissance et la durabilité du secteur. Réunis en novembre 2021 à Guelph (Ontario), les ministres fédéral et provinciaux de l’agriculture[1] ont convenu de le l’importance de l’approche durable en agriculture comme ligne directrice du prochain cadre stratégique de l’agriculture, en tenant compte des considérations à la fois environnementales, sociales et économiques. Les ministres ont ainsi fait de l’enjeu des changements climatiques et environnementaux l’un des cinq domaines prioritaires pour le prochain cadre stratégique. Au cours de la réunion, les ministres ont également abordé la nécessité de renforcer les partenariats entre les ministères de l’Agriculture et de l’Environnement, du fait de la relation très étroite entre les deux secteurs et de la nécessité de réfléchir en commun à des approches de durabilité.
La nouvelle lettre de mandat de la Ministre de l’Agriculture et de l’Agroalimentaire, publiée en décembre dernier suite à la réélection du gouvernement libéral, confirme l’importance donnée à l’environnement, au changement climatique et à l’agriculture durable. La lettre de mandat intègre notamment la mise en place de programmes de gestion des risques commerciaux, y compris la gestion des risques climatiques, les pratiques environnementales et la préparation aux changements climatiques. Dans le cadre du nouveau Plan d’agriculture durable, la lettre souligne également (i) l’objectif d’augmenter le soutien aux agriculteurs pour que ces derniers développent et adoptent des pratiques de gestion agricole qui réduisent les émissions, stockent le carbone dans un sol sain et renforcent la résilience; (ii) le triplement du financement des technologies propres dans les exploitations agricoles, notamment en matière d’énergie renouvelable, d’agriculture de précision et d’efficacité énergétique; (iii) la nécessité d’une collaboration accrue entre les agriculteurs et l’ensemble des parties prenantes du secteur afin de réduire les émissions de méthane et d’engrais dans le secteur agricole.
La fédération nationale de l’agriculture, porte-parole du secteur agricole et représentant essentiellement les producteurs traditionnels, s’est dite satisfaite des débats ainsi que des axes stratégiques de cette nouvelle politique agricole canadienne. Tous les représentants du secteur présents lors du sommet se sont accordés sur l’importance des futurs programmes de biens et services écologiques, sur la collaboration et l’application de principes scientifiques étayés à l’appui des objectifs environnementaux, ainsi que sur la nécessité d’un programme renforcé de gestion des risques pour soutenir le secteur. La fédération a toutefois insisté sur le nécessaire accompagnement financier de ces évolutions, afin d’aider les agriculteurs à faire face aux changements de pratiques agricoles dans la mise en œuvre du prochain Cadre stratégique pour l’agriculture (2023-2028). Ce dernier constitue un accord entre les différents niveaux administratifs (fédéral-provincial-territorial). Il remplacera l’actuel Partenariat canadien pour l’agriculture, doté d’un budget de 3 Mds CAD sur cinq ans, qui prendra fin le 31 mars 2023. Les financements qui seront inscrits dans le prochain budget fédéral, attendu en avril 2022, seront à cet égard scrutés par le secteur.
Un consensus émerge pour considérer que les événements climatiques exceptionnels de l’année 2021 (gel tardif, sécheresse, chaleur) vont devenir de plus en plus fréquents[2]. Le changement climatique devrait effectivement augmenter la fréquence d’évènements climatiques exceptionnels, le Canada étant particulièrement affecté puisqu’il se réchauffe en moyenne deux fois plus vite que le reste du globe. Le pays pourrait ainsi connaître une augmentation moyenne des températures de 6,4 °C pendant le siècle. Les effets du changement climatique se font déjà ressentir dans le traditionnel « grenier » que sont les Prairies, provinces du Canada où le réchauffement est le plus important, en particulier en hiver[3].
L’augmentation des températures et des étés très chauds ont déjà de nombreux impacts sur le secteur. Le pays connaît une évapotranspiration des végétaux beaucoup plus importante, avec à la clef un épuisement des ressources hydriques des sols engendrant des sécheresses beaucoup plus fréquentes. Les températures élevées peuvent aussi avoir des effets très néfastes sur le bétail : les vagues de chaleur au Québec en 2002 avaient par exemple tué un demi-million de volailles et, lors des années 2010-2012, des centaines de vaches laitières sont mortes en Ontario à cause de la chaleur extrême[4]. Dans les filières végétales, si le réchauffement peut dans certains cas augmenter les rendements, il favorise également le développement de parasites agricoles, d’espèces envahissantes, de mauvaises herbes et de maladies. Le changement climatique affecte également les écosystèmes, à travers notamment la migration d’insectes depuis les Etats-Unis (et des maladies qu’ils transportent). Enfin, si les précipitations totales sur une année devraient assez peu varier, elles seront en revanche plus concentrées, amenant trop d’eau pendant l’ensemencement et trop peu pendant la saison de croissance.Le gouvernement semble suivre davantage l’évolution des grands paramètres agroenvironnementaux. Il s’est notamment doté d’indicateurs agroenvironnementaux (annexe 1) qui suivent l’évolution de la qualité de l’air, du sol, et l’eau et de la biodiversité pour mesurer la performance environnementale des secteurs agricoles et alimentaires. Un rapport du Ministère de l’agriculture canadien de 2016, se fondant sur ces indicateurs, montre à cet égard une intensification de la production des exploitations, accompagné d’une amélioration des indicateurs de l’air, du sol et de la biodiversité. Ces améliorations sont majoritairement attribuables à des modifications de pratiques culturales, dont une diminution du travail du sol et une meilleure couverture de ce dernier. En revanche, la capacité d’habitat faunique des terres agricoles ainsi que la qualité de l’eau, principalement sous l’effet d’apports d’éléments nutritifs trop importants, se sont dégradées.
Une attention plus marquée sur l’objectif d’alimentation durable. Alors que 2 adultes du 3 sont en surpoids ou obèses[5], que 7 % des adultes vivent dans des ménages confrontés à l’insécurité alimentaire[6] et que 60 % des aliments achetés sont transformés ou emballés[7], le Canada s’est doté en 2019 d’une première Politique alimentaire pour le Canada. Celle-ci a pour objectif de « créer un système alimentaire plus sain et plus durable », et prend en compte la part que peut jouer l’agriculture dans la production d’aliments sains pour la santé et l’environnement. Elle prévoit notamment des investissements de 134,5 M CAD (91 M €) sur 5 ans pour réduire le gaspillage alimentaire (presque la moitié des aliments produits ne sont pas consommés[8]), mais également pour favoriser l’accessibilité à une alimentation saine et locale pour tous (annexe 3).
[1] Etaient présents lors du sommet annuel de Guelph, l’ensemble des Ministres provinciaux et territoriaux de l’Agriculture, la Ministre de l’Agriculture et de l’Agroalimentaire fédérale ainsi que les représentants principaux du secteur agricole canadien (Fédérations professionnelles nationales).
[2] Pas assez de pluie pour les agriculteurs fransaskois, Radio Canada, 10 juin 2021
[3] Regional Perspectives report, Prairies Provinces, Gouvernement du Canada, 2020
[4] Agriculture: in a changing climate, Ontario Centre for Climate Impacts and Adaptation Resources, 2012
[6] https://www.canada.ca/content/dam/hc-sc/documents/services/publications/food-nutrition/infographic-lets-eat-healthy-canada/infographie-canada-mangeons-sainement.pdf