Les mesures de soutien mises en place par le gouvernement canadien à partir de mars 2020 ont permis de maintenir le revenu disponible des agents canadiens et d’éviter un nombre important de faillites. L’incertitude liée à la pandémie a toutefois engendré une forte hausse de l’épargne de précaution, menant à une accumulation historique (plus de 250 Md CAD depuis le début de la pandémie). La mobilisation de cette épargne apparaît alors comme un enjeu déterminant de la reprise au Canada.

I/ Les conséquences de la pandémie sur le revenu des agents ont été largement atténuées par les mesures de soutien fédérales

La brusque interruption d’une partie de l’activité économique en mars 2020 ne s’est pas traduite par une baisse de revenus des ménages. Comme en France, les mesures de soutien mises en place par le gouvernement fédéral (prestation canadienne de la relance économique, subvention salariale, subvention pour le loyer, etc.) ont limité l’effet de la pandémie à court-terme. Le revenu disponible des ménages s’est même accru de 11% entre le T1 2020 et le T2 2021. La pandémie a en effet incité les ménages canadiens à restreindre leur consommation, du moins dans le secteur des services, entraînant ainsi un surplus d’épargne qui a conduit nombre d’entre eux à réduire leur encours de crédit à la consommation : entre le T1 2020 et le T2 2020, le ratio du stock de crédit en proportion du revenu disponible est passé de 180% à 159%[1].

Les mesures de soutien ont également évité un nombre important de faillites parmi les sociétés non financières canadiennes. Alors qu’une vague d’insolvabilité menaçait l’économie canadienne au printemps 2020, celle-ci a pu être évitée par la mise en place des mesures gouvernementales. Comme l’a montré la Banque du Canada (Annexe 1), le ratio d’endettement est resté proche de celui constaté pré-pandémie, notamment en raison d’une importante baisse de l’endettement des entreprises fortement endettées (ratio ≥1). Le Bureau du surintendant des faillites a par ailleurs observé une forte baisse du nombre de dossiers de faillite dès les premiers mois de la pandémie, passant d’environ 3 600 en moyenne chaque année entre 2017 et 2019 à environ 2 500 entre mars 2020 et mars 2021 (Annexe 2). L’impact de cette baisse à moyen terme est toutefois difficile à interpréter : elle illustre à l’évidence la résilience des entreprises canadiennes au cours de la crise mais elle peut également traduire, comme le suggèrent certains économistes, un surcalibrage des programmes d’aide fédéraux (qui devraient prendre fin au printemps 2022) qui auraient contribué à maintenir en vie des entreprises fragiles. La faillite de ces dernières n’aurait ainsi qu’été repoussée à 2022 et pourrait freiner la reprise de la croissance canadienne.
 
2/ Ces mesures de soutien ont par ailleurs généré une épargne importante dont la mobilisation sera un enjeu déterminant pour la reprise
 

Comme le soulignait la Banque du Canada dès mars 2021[2], l’éclosion de la pandémie, conjuguée aux transferts fédéraux mis en place dès le printemps 2020, a entraîné une forte augmentation de l’épargne des ménages canadiens, au profit des déciles les plus élevés. L’excès d’épargne - par rapport à la tendance observée au cours des dernières années – est ainsi estimé à près de 280 Md CAD (194 Md €). Cette accumulation d’épargne est toutefois inégalement répartie entre les ménages (Annexe 3), dans la mesure où les ménages du dernier quintile (20% de la population disposant des revenus les plus élevés) représentent 37,2% de l’épargne supplémentaire, tandis que les ménages du premier quintile (20% de la population avec les revenus les plus faibles) représentent quant à eux seulement 9,2% de cette épargne.

Le fléchage de cette épargne accumulée vers la consommation des ménages constitue un enjeu immédiat pour la reprise. La reprise de l’activité économique ne s’est pas, à ce jour, accompagnée d’un mouvement de désépargne massif des ménages, les dépenses de consommation de ces derniers étant stables depuis le T3 2020. Cela tient notamment à la nature de cette épargne, dont seule environ la moitié est liquide et immédiatement mobilisable dans l’économie (Oxford Economics, juillet 2021). Toutefois, à l’approche des fêtes de fin d’année, la perspective d’une hausse significative de la consommation privée, par mobilisation d’une partie de cet excès d’épargne, est un scenario probable. Avec néanmoins le risque que cet accroissement de la consommation contribue à  alimenter une inflation qui tend à se généraliser à l’ensemble de l’économie dans un contexte de tension sur les chaînes d’approvisionnement mondiales (4,4% en octobre 2020).

Le fléchage de l’épargne disponible vers des investissements dans les secteurs productifs apparaît également comme l’un des enjeux majeurs pour la croissance de long-terme, afin d’éviter une fuite de l’épargne vers des marchés réputés peu productifs (immobilier) ou fortement affectés par les comportements spéculatifs (cryptomonnaies). Concernant l’investissement, la reprise de l’activité économique début 2021 a coïncidé avec un retour de l’investissement à un niveau proche de 2019[3], après une baisse d’environ 10% au cours de l’année 2020, avec toutefois des évolutions contrastées selon les secteurs : les investissements dans le secteur des transports ont connu une hausse de 12,5% par rapport à 2019, tandis que le secteur énergétique a connu une chute substantielle (-28,5% par rapport à 2019). Le dernier rapport trimestriel publié par la Banque du Canada sur l’environnement des affaires (Business Outlook Survey, octobre 2021) confirme un haut niveau de confiance des acteurs économiques (Annexe 4).

3/ L'épargne accumulée au cours de la pandémie pourrait également contribuer à réduire le lourd endettement des Canadiens

Souvent présenté comme vertueux sur le plan des finances publiques - la dette du gouvernement fédéral était inférieure à 50% du PIB avant la pandémie – le Canada connaît toutefois un fort taux d’endettement de ses agents privés. Au 1er trimestre 2021, Statistiques Canada estimait que l’endettement des ménages canadiens représentait en moyenne 172% de leur revenu disponible (contre 100% en France). Si la pandémie et la mise en place des mesures de soutien fédérales ont entraîné dans les premiers mois une baisse de l’encours de crédit à la consommation des ménages (cf supra), cette dynamique, comme l’a souligné la Banque du Canada, été surcompensée par la hausse du crédit hypothécaire, qui a atteint un niveau historique au 2ème trimestre 2021 (57,2 Md CAD/39,8 Md €). Ce dernier traduit notamment les tensions importantes constatées sur le marché immobilier - hausse de prix estimée à 20% en moyenne sur l’année 2021 selon la Canadian Real Estate Association -, qui ont conduit en retour le gouvernement à mettre en place plusieurs mesures de régulation : mise en place d’une taxe sur les logements vacants détenus par les non-résidents, hausse des taux d’intérêt appliqués aux tests de résistance sur les prêts non-assurés (le taux plancher est passé de 4,75% à 5,25%).                                                                                              

L’importance de cet endettement privé pourrait également conduire les sociétés non financières à privilégier des stratégies de désendettement. Les entreprises non financières ont connu une accélération de leur endettement depuis la crise de 2008 (Annexe 5), avec un encours qui a atteint près de 170% du PIB en 2019[4], plaçant le Canada 2ème parmi les pays de l’OCDE – derrière la France. En août 2021, Statistiques Canada soulignait que si l’investissement des entreprises (FBCF) avait progressé depuis la fin de l’année, retrouvant un niveau proche de celui pré-pandémie, la dette des entreprises s’était, en même temps, substantiellement réduite (Annexe 6). Une évolution qui suggérerait une préférence des entreprises canadiennes pour une stratégie de désendettement plutôt que d’investissement, dans un contexte d’incertitude lié à une inflation croissante et à des tensions sur les chaînes d’approvisionnement.