Ce texte est paru dans le journal Le Monde le 5 novembre >>

Le 29 octobre, l’Insee a publié sa première estimation de la hausse des prix à la consommation entre octobre 2020 et octobre 2021 : + 2,6 %. Ce chiffre contraste singulièrement avec celui d’il y a un an : les prix à la consommation étaient restés stables en France entre octobre 2019 et octobre 2020.

Alors que l’inflation en glissement annuel augmente de manière continue depuis le point bas d’octobre 2020, ni l’Insee ni la Banque de France ne semblent s’en émouvoir : la dernière prévision de l’Insee, début octobre, est une hausse moyenne des prix de 1,5 % en 2021 par rapport à 2020, tandis que la Banque de France comme le Fonds monétaire international anticipent un reflux de l’inflation en 2022.

Il faut dire que, depuis le printemps, on calcule les glissements annuels des prix par rapport à des périodes de 2020 particulièrement déprimées. Cette situation ne durera pas : en mars 2022, on comparera les prix à ceux de mars 2021 et non à ceux du premier confinement (mars 2020). Surtout, la hausse récente des prix a été portée par celle des tarifs de l’énergie, qui ont été affectés par de nombreux facteurs temporaires : manque de vent réduisant la production électrique éolienne, bas niveau des stocks, reprise économique plus rapide qu’anticipé, réductions des livraisons de gaz, etc.

Inflations ressenties contre indicateurs officiels

De manière plus générale, l’offre de biens et services se trouve aujourd’hui confrontée à un problème classique d’allocation des ressources : énergie, matières premières, main-d’œuvre doivent se remobiliser et s’orienter pour servir une demande qui s’est rapidement redressée, car à l’inverse de la précédente crise, le ménage français moyen a vu son revenu augmenter pendant la crise. Le système d’allocation des ressources aux besoins n’est pas dimensionné pour une reprise aussi rapide. En témoignent les difficultés de recrutement qui sont vite apparues, y compris dans des secteurs, comme l’hôtellerie-restauration, qui ne sont pas encore revenus à leur niveau d’activité précrise.

Ces problèmes sont pour partie temporaires, tout comme l’engorgement du fret international. Certains prix, comme ceux des matières premières industrielles, ont déjà commencé à refluer. Cela explique une certaine sérénité des banques centrales, même si elles surveillent de près l’évolution des salaires et le risque, pour l’instant non avéré, de démarrage d’une spirale de hausse des prix et des salaires.

L’inflation est souvent un sujet d’incompréhension entre les économistes et le grand public. D’abord, le ménage « moyen » n’existe pas : chacun fait sa propre expérience des prix en fonction de sa consommation, et les inflations ressenties ne coïncident pas nécessairement avec les indicateurs agrégés officiels. On se souvient de 2002, lorsque les commerçants avaient été accusés d’avoir arrondi les prix à la hausse lors du ré-étiquetage en euros, tandis que l’inflation de l’année n’avait été que de 2 %, selon l’Insee. A l’époque, il semble que la perception des hausses de prix ait été plus aiguë pour les petits achats répétés (pain, café au comptoir, fruits et légumes, en hausse) que pour les gros achats occasionnels (appareils ménagers, en baisse).

Les ménages ruraux davantage affectés

Aujourd’hui, la hausse des prix est concentrée sur l’énergie qui, selon l’Insee, s’est renchérie en moyenne de 20 % sur un an. Les ménages ruraux semblent être davantage affectés par ces hausses, comme le suggèrent les enquêtes de l’Insee sur l’inflation ressentie. La hausse des prix de l’immobilier contribue aussi à une impression de renchérissement de la vie, même s’il ne s’agit pas en l’occurrence de consommation mais d’investissement.

Le second sujet d’incompréhension est la définition de la stabilité des prix : l’objectif pour les banques centrales des pays avancés n’est pas que l’inflation soit nulle, mais en général autour de 2 %. Un peu d’inflation permet en effet de réaliser plus facilement les ajustements de prix relatifs entre entreprises d’un secteur, entre secteurs d’un pays, et entre pays d’une union monétaire. En octobre, la hausse des prix sur un an est plus modérée en France et en Italie qu’en Allemagne ou en Espagne. Après la précédente crise, la France avait laissé augmenter ses salaires plus vite que la productivité. Il avait fallu le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE), transformé depuis en allègements pérennes de charges sociales, et de la modération salariale pour rattraper progressivement la compétitivité perdue. Cet épisode montre l’importance de bien contrôler l’évolution des coûts et donc des prix relatifs au sein d’une union monétaire.

Lorsque l’inflation reste modérée, ce sont bien les prix relatifs et non les prix eux-mêmes qui importent dans une économie. Les rémunérations finissent par être indexées sur les prix à la consommation. Si la forte hausse des prix du gaz depuis l’été nous dérange autant, c’est qu’elle remet en cause nos décisions antérieures telles que notre mode de chauffage, et nous nous sentons piégés car la hausse a été trop rapide pour nous laisser le temps de nous adapter.

La transition écologique nous réserve dans les années qui viennent bien d’autres changements de prix relatifs qui, eux aussi, vont nous bousculer. C’est bien parce qu’il est visible au quotidien, et donc qu’il nous pousse à adapter nos comportements tout en encourageant la recherche de nouvelles solutions plus propres, que le « signal prix » est une clé pour la transition qui commence. Pour être efficace et équitable, ce « signal prix » doit suivre une trajectoire prévisible et s’accompagner d’un soutien des plus modestes face à cette transition.