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Zoom de la semaine : Situation économique et financière de l’Arménie

Appartenant à la tranche supérieure des pays à revenu intermédiaire (PIB par habitant attenu à 4 595 USD courants en 2021 par le FMI), l’Arménie connaissait avant la crise de 2020 une dynamique économique soutenue. Après avoir enregistré une lourde récession en 2020, l’économie arménienne se rétablit plus vite que prévu et devrait pratiquement retrouver son niveau d’activité pré-crise d’ici la fin de l’année 2021. Très vulnérable au plan externe, l’Arménie devra veiller à consolider ses finances publiques sur le moyen terme et à poursuivre les réformes de structures nécessaires notamment à l’amélioration du climat des affaires et à la poursuite de la dynamique de rattrapage économique.

1/ Un rétablissement rapide de l’activité économique après la récession de 2020. Sur la période 2010-2019, l’Arménie a connu une croissance moyenne relativement soutenue s’élevant à 4,5%. En 2019, le PIB arménien a crû de 7,6% pour atteindre 13,6 Md USD. Cette tendance a été brutalement interrompue en 2020 par la pandémie et la guerre du Haut-Karabagh, qui ont provoqué un recul du PIB de 7,4%. La reprise de l’activité a toutefois été plus rapide que prévue en 2021 et a été mesurée à 4,9% au premier semestre 2021. La loi de finances pour 2021 avait été adoptée sur le fondement d’une estimation plus basse de la croissance à 3,2%.

La bonne performance de l’économie arménienne sur la première moitié de l’année a conduit les institutions financières internationales (IFI) à revoir à la hausse leurs prévisions de croissance pour 2021. Ainsi, le FMI a revu sa prévision de croissance pour 2021 de 1% à 6,5%, et la Banque mondiale de 3,4% à 6,1%. A moyen terme, la croissance devrait rester proche de la trajectoire ayant prévalu au cours de la dernière décennie : elle atteindrait 4,5% en 2022 et 4,2% en moyenne sur 2022-2026 selon le FMI. La Banque mondiale prévoit pour sa part une croissance à 4,8% en 2022 et à 5,4% en 2023.

Figure 1. Croissance économique (jaune : prévisions FMI 2021-26)

 Graphique

Sur janvier-septembre 2021, l’indicateur d’activité économique mesuré par le Comité national de statistiques arménien était en hausse de 4,4% en glissement annuel. Du côté de l’offre, la reprise économique a été principalement portée par le secteur du commerce et des services, respectivement en hausse de 6,4% et 5,4% en g.a. La reprise demeure limitée pour l’industrie (+0,7%), tandis que le secteur agricole a enregistré un recul de 1,5% sur cette période. Du côté de la demande, une reprise modérée de la consommation privée a été enregistré sur janvier-août 2021, avec une hausse des ventes en détail de 1,8% en g.a. La consommation a notamment été stimulée par les transferts de fonds en provenance de l’étranger, en hausse de 23,2% en g.a. à 1,3 Md USD. Cette reprise a toutefois été contenue, d’une part, par une distribution de crédit à la consommation en baisse de 13,3% en g.a. fin septembre 2021 à 833,2 Md AMD (1,7 Md USD), d’autre part, par le niveau élevé de l’inflation annuelle, qui atteignait 8,8% en août 2021 et croît ainsi à un rythme plus élevé que les salaires nominaux (+7,9% en g.a. en août).

Les résultats du commerce extérieur ont contribué au dynamisme de l’activité : les exportations ont atteint 2,1 Md USD sur janvier-septembre 2021, en hausse de 17,2% en g.a., tandis que les importations ont augmenté de 9,4% à 3,6 Md USD, conduisant à une réduction du déficit commercial de 0,5% à 1,4 Md USD. Les exportations représentaient ainsi 21% du PIB arménien sur cette période, contre 19,3% l’année précédente. Le principal produit d’exportation, le cuivre, a vu ses exportations diminuer de 38,4% en volume sur cette période, mais de seulement de 8,1% en valeur en raison de la forte appréciation du cours de ce métal (+61% en g.a. sur janvier-août 2021).

2/ Une stabilité macroéconomique et financière globalement préservée malgré la pandémie. Malgré le creusement de la dette publique en 2020, les finances publiques demeurent maîtrisées. Les dépenses occasionnées par la pandémie[1] et le recul de l’activité ont alourdi la dette souveraine de 13,5 points de PIB en 2020, à 63,5%. Attendue à 62,2% à la fin de l’année 2021 par le FMI, la dette publique devrait redescendre dès 2023 en-dessous du seuil de 60% fixé par la règle budgétaire, adoptée en 2017[2]. En septembre 2021, la dette publique arménienne s’élevait à 4,4 Md AMD, soit 62,5% du PIB. Au 1er semestre 2021, le déficit public s’est établi à 1,1% du PIB, bien en-deçà du déficit prévu par le budget à 2,6% : sur cette période, les revenus fiscaux ont dépassé de 13% les prévisions budgétaires, tandis que le niveau d’exécution des dépenses a été proche de celui inscrit au budget. Le déficit public est néanmoins attendu à 4% par le FMI sur l’ensemble de l’année 2021, après avoir atteint 5,4% en 2020.

Le déficit courant diminuerait à 2,9% en 2021 après s’être établi à 3,8% en 2020. Au 1er semestre 2021, il s’est établi à 121 M USD, soit 1,8% du PIB et une diminution de 70,2% en g.a. Cette amélioration du solde courant a été permise par la réduction du déficit commercial de 11% sur cette période, favorisée par une reprise des exportations plus dynamique que celle des importations. Les transferts de fonds des particuliers, en hausse de 32,5% en g.a. au 1er semestre, ont également contribué à cette amélioration.

Les réserves de change affichent un niveau de couverture des importations satisfaisant : au 1er septembre 2021, elles s’élevaient à 3,2 Md USD – en hausse de 20,9% en g.a. – couvrant un peu plus de 8 mois d’importations. Les réserves internationales de l’Arménie ont notamment bénéficié de l’émission d’euro-obligations pour un montant de 750 M USD en février 2021, puis de l’augmentation des droits de tirage spéciaux par le FMI début août 2021, correspondant à une allocation supplémentaire de 175 M USD pour l’Arménie.

Contenue en 2020, l’inflation connaît une accélération préoccupante en 2021. Entre janvier et novembre 2020, l’inflation annuelle a été inférieure à 2%, ce malgré un assouplissement de la politique monétaire par la Banque centrale (baisse du taux directeur de 125 pdb sur cette période à 4,25%). L’inflation a ensuite entamé une accélération quasiment ininterrompue, passant de 3,7% en décembre 2020 à 8,9% en septembre 2021. Elle est principalement entretenue par la hausse des prix des produits alimentaires et des matières premières sur les marchés mondiaux, dont l’Arménie est importatrice. Sur cette même période, la Banque centrale d’Arménie a réagi en relevant son taux directeur d’un total de 300 pdb à 7,25%. Ces mesures n’ont pour l’heure pas permis de freiner la poussée inflationniste ; le taux d’inflation actuel est plus de deux fois supérieur à l’objectif de moyen terme établi par la Banque centrale à 4%.

Figure 2. Inflation et politique monétaire

Graphique 

Le secteur bancaire arménien est peu concentré et ses indicateurs de stabilité financière sont satisfaisants. Il se compose de de 17 banques représentant 83,5% des actifs totaux du secteur financier. Le secteur bancaire est bien capitalisé : le ratio de fonds propres hors coussins supplémentaires du secteur s’élevait à 17,1% fin août 2021, pour une exigence réglementaire de 12%. La part des crédits non performants dans le portefeuille total de crédits était faible à 3,4% fin août 2021, en baisse de 1,5 point de pourcentage depuis le début de l’année. La dollarisation des banques demeure élevée mais poursuit sa diminution progressive, les crédits et dépôts en devises représentant respectivement 46,4% et 51,8% du total fin août 2021, contre 50,1% et 54% en début d’année.

Néanmoins, le secteur bancaire affiche une faible profitabilité. Les bénéfices des banques ont ainsi diminué de 40 8% en glissement annuel en janvier-septembre 2021 à 35 Md AMD (68,4 M USD), tandis que le ratio de rentabilité des actifs (ROA) s’est établi à 0,8% fin août 2021, en recul de 0,6 pdp par rapport au début de l’année. La distribution de crédit à l’économie réelle augmente lentement à 3505 Md AMD (7,2 Md USD), soit 49,9% du PIB, fin septembre 2021, en hausse de 0,5% en g.a. Les actifs du secteur bancaire se sont établis à 6 903 Md AMD (14,3 Md USD) fin septembre 2021, soit 98,2% du PIB, en hausse de 8,8% en g.a.

3/ Des défis structurels et conjoncturels à relever pour garantir une croissance pérenne à moyen terme.  Le secteur externe demeure le talon d’Achille de l’économie arménienne. La balance commerciale enregistre structurellement un déficit commercial important, qui s’élevait à 13,7% du PIB sur janvier-septembre 2021. Ce déficit se répercute sur la balance courante et est essentiellement financé par de l’endettement externe en devises, eu égard à la faiblesse des flux d’investissements directs étrangers. La dette extérieure totale est élevée et sur une tendance haussière : elle s’élevait à 14 Md USD fin juin 2021, soit 103% du PIB prévisionnel 2021 et une hausse de 11,9% en g.a. La diversité insuffisante des exportations arméniennes, reposant largement sur les produits miniers, ainsi que le poids des revenus de transferts dans l’économie, dont ceux en provenance de Russie, exposent l’Arménie aux aléas de la conjoncture chez son partenaire russe et sur les marchés des matières premières.

Figure 3. Compte courant de l’Arménie, % PIB

Graphique

L’amélioration du climat des affaires et la lutte contre la corruption, engagées depuis 2018, devront se poursuivre. La mise en place en 2021 d’un Comité anti-corruption disposant de prérogatives élargies en matière d’investigation et se substituant aux structures préexistantes constitue à cet égard une avancée bienvenue. Dans le cadre de la 3e revue, en décembre 2020, de son programme dédié à l’Arménie[3], le FMI a souligné les progrès du pays en matière de réformes structurelles (notamment sur la gestion budgétaire et la lutte anti-corruption).

L’Arménie fait face à des défis socio-économiques de plusieurs ordres. Le pays est engagé dans une phase de déclin démographique qui devrait causer une réduction de sa population de 2,9 millions d’habitants aujourd’hui à 2,7 millions en 2050, accompagnée d’une baisse de la population active de 19% sur cette période selon l’ONU. Les pistes explorées pour faire face à ce défi sont l’accélération de la féminisation du marché du travail et la réduction du secteur informel de l’économie. Le taux de chômage, qui s’est établi à 17% au 1er trimestre 2021, en baisse de 2,7 p.p. en g.a , est particulièrement élevé et affecte disproportionnellement les tranches d’âge les plus jeunes. Enfin, la faible productivité de la main d’œuvre arménienne constitue un frein à sa croissance.

La reprise économique en Arménie, comme dans nombre de pays émergents, pourrait être compromise à moyen terme par les difficultés d’accès aux vaccins et la lenteur de la campagne de vaccination. Au 24 octobre 2021, 7,1% de la population avait bénéficié d’un cycle vaccinal complet, et 15,8% de la population avait reçu au moins une dose de vaccin. Au 28 octobre 2021, l’Arménie a enregistré 302 450 cas de contaminations, soit 10,2% de la population (2,96 M d’habitants) et 6189 décès liés à la Covid-2019 depuis le début de la pandémie.

Le niveau de risque géopolitique demeure élevé et représente un aléa non négligeable pour le développement économique de l’Arménie. Malgré la conclusion de l’accord de cessez-le-feu entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan, parrainé par la Russie, ayant mis fin à la guerre du Haut-Karabagh, des accrochages armés se produisent régulièrement au niveau des territoires contestés. Après une période de forte incertitude sur la scène politique consécutive au conflit, la tenue en 2021 d’élections législatives anticipées ayant reconduit Nikol Pachinian au poste de premier ministre semble avoir stabilisé la situation interne.

 

[1] Selon le FMI, les mesures de soutien aux ménages, aux entreprises, au secteur bancaire et les dépenses consacrées à la lutte contre la Covid-19 en 2020 auraient coûté l’équivalent de 3 points de PIB.

[2] Règle relâchée pendant la crise en vertu d’une escape clause.

[3] Programme triennal avec conditionnalités de 443 M USD, dont 316 M USD en 2020.