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Zoom de la semaine : Situation économique et financière du Tadjikistan

Avec un PIB par habitant de 844 USD en 2020 (PIB nominal de 8 Md USD pour 9,5 M d’habitants), le Tadjikistan appartient à la tranche inférieure des pays à revenu intermédiaire et est le pays le plus pauvre d’Asie centrale et de la zone CEI. Malgré une très forte croissance depuis le début des années 2000, l’économie tadjike est structurellement défavorisée par le poids excessif de l’Etat, un climat des affaires dégradé et une vulnérabilité externe accrue par la dépendance aux transferts financiers des travailleurs émigrés en Russie et le manque de diversification économique. La pandémie de Covid-19 a entraîné un ralentissement notable de la croissance et a accentué les fragilités socio-économiques du pays, sans toutefois provoquer de récession. La soutenabilité des finances publiques du pays, mises sous tension par la construction du barrage de Rogoun, demeure un sujet de préoccupation majeur à moyen terme.

1/ La pandémie a provoqué un ralentissement de la croissance économique et une précarisation des ménages en 2020.

Depuis la fin de la guerre civile (1992-1997), le Tadjikistan a enregistré une forte croissance annuelle s’élevant en moyenne à 7,5% sur la période 2000-2020. Cette croissance a permis une diminution significative du taux de pauvreté, passé de 83% en 2000 à 26,3% en 2019. Le Tadjikistan demeure néanmoins le pays le plus pauvre d’Asie centrale et de la zone CEI. Cette situation économique difficile est exacerbée par la forte pression démographique, la population tadjike ayant augmenté de 6,1 millions à 9,5 millions d’individus entre 1999 et 2020 : le manque d’opportunités économiques conduit une partie importante de la main d’œuvre à émigrer en Russie. Ce mouvement migratoire, couplé à la faible féminisation du marché du travail, explique le taux d’emploi particulièrement bas de la population de plus de 15 ans, qui s’élève à 42,2%.

 Figure 1. Évolution de l’activité

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L’économie du Tadjikistan est peu diversifiée. Les transferts de revenus des travailleurs tadjiks à l’étranger représentent traditionnellement une source de revenus très importante (2,6 Md USD en 2019, soit 32% du PIB). Les matières premières minières (or, argent), agricoles (coton), les métaux (aluminium) et l’électricité constituent les principaux produits exportés par le pays et l’exposent à la volatilité des prix sur les marchés mondiaux. L’économie nationale est dominée par des entreprises publiques (Talco, Barqi Todjik) globalement non-profitables : les pertes des 12 entreprises publiques les plus importantes équivalaient à 8,2% du PIB en 2020. Le corollaire de cette emprise du secteur public, ainsi que d’une fiscalité désincitative, est l’éviction du secteur privé formel, qui ne représente que 13% de l’emploi et 15% de l’investissement total.

La croissance a ralenti à 4,5% en 2020, en baisse de 3 points de pourcentage par rapport à 2019. Les principaux moteurs de la croissance ont été les secteurs agricole et industriel, qui ont progressé en volume de respectivement 8,8% et 9,7% et contribué à la croissance à hauteur de 4,1 et 2 p.p., tandis que la contribution des services a été négative (-1,6 p.p.). Si les conséquences de la pandémie peuvent apparaître contenues au plan économique, son impact sur l’investissement et le niveau de vie des ménages a toutefois été significatif : l’investissement brut en capital fixe a diminué de 6,6% sur l’année, la consommation privé a reculé de 4,4%. Par ailleurs, une étude de la Banque mondiale faisait état d’une proportion inhabituellement élevée de ménages déclarant avoir réduit leur consommation alimentaire en mai 2020 (42%). Le niveau de pauvreté mesuré à l’échelle nationale a également stagné à 26,3% en 2020, alors qu’il avait reculé de manière continue depuis le début des années 2000. Enfin, les transferts de fonds transfrontaliers des travailleurs émigrés, qui constituent une ressource financière essentielle pour près de 70% des foyers tadjiks, ont considérablement diminué à 1,7 Md USD, soit 22,2% du PIB et une baisse de 32,4% en glissement annuel.

2/ L’économie a fait preuve de résilience grâce au soutien des IFI et aux exportations d’or.

Le gouvernement tadjik a adopté des mesures de soutien aux ménages et à l’économie grâce au soutien des institutions financières internationales (IFI). Un montant total de 300,5 M USD a été accordé au Tadjikistan sous forme de prêts concessionnels et dons au 1er semestre 2020, dont 189,5 Md USD au titre de la Facilité de crédit rapide du FMI. Le Tadjikistan a aussi bénéficié de l’initiative de suspension du service de la dette du G20, qui, selon la Banque mondiale, aura permis au pays de reporter le remboursement de 42,8 M USD de dettes en 2020. Les principales mesures d’aide décrétées par le gouvernement tadjik ont pris la forme d’exemption d’impôts pour le secteur privé, de versement d’aides ponctuelles d’un montant de 500 TJS (48 USD) aux foyers en difficulté, d’une revalorisation du programme d’aide sociale ciblée, des salaires dans le secteur public et des retraites. Le coût de l’ensemble de ces mesures d’aide est évalué à 4,5% du PIB par la Banque asiatique de développement. 

Porté par la hausse du cours de l’or, le commerce extérieur a permis de contrebalancer le recul des transferts de fonds des migrants. En valeur, les exportations ont augmenté de 19,8%, tandis que les importations ont reculé de 5,9% sur l’année, ce qui a permis de réduire le déficit commercial de 19,8% à 1,8 Md USD. Les ventes d’or ont permis d’élever le niveau des réserves internationales, passant de 1,6 Md USD fin juin 2020 à 2,2 Md USD au 1er janvier 2021, soit plus de 8 mois d’importations. Le compte courant a affiché un excédent de 4,2% du PIB sur l’année 2020.

Figure 2a. Balance commerciale du Tadjikistan

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Figure 2b. Structure des exportations en valeur (M USD)

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Après avoir assoupli sa politique monétaire en 2020, la Banque nationale du Tadjikistan (BNT) relève progressivement ses taux face aux tensions inflationnistes. Elle a abaissé le taux directeur d’un total de 200 points de base en 2020, assoupli provisoirement les contraintes réglementaires pesant sur le secteur bancaire et dévalué le somoni de 8,8% par rapport au dollar. L’inflation est provisoirement revenue dans le couloir cible défini à 6% (±2 points) avant d’accélérer à partir du mois d’octobre 2020. Dans un contexte de hausse des prix alimentaires et de l’énergie, la BNT a relevé son taux directeur de 225 points de base depuis le début de l’année 2021, à 13%. En août 2021, l’inflation s’élevait à 9,4% en glissement annuel.

Figure 3. Politique monétaire et inflation

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3/ L’accélération de la croissance après la pandémie est tributaire des réformes structurelles et de la gestion des finances publiques. 

Les IFI anticipent une croissance modérée en 2021, proche de 5%. Le FMI et la Banque asiatique de développement prévoient une croissance de 5%, contre 6% pour la Banque mondiale et 6,5% pour la BERD. Le ministère tadjik du Développement a estimé la croissance à 8,7% au 1er semestre 2021. Sur cette période, le commerce extérieur s’est montré particulièrement dynamique, tiré par les exportations de métaux précieux qui se sont établies à 563 M USD, en hausse de 85,5% en g.a. Au total, les exportations ont augmenté en valeur de 63,8% en g.a. à 1 Md USD, et les importations de 24,3% à 1,9 Md USD, conduisant à une réduction du déficit commercial de 5% à 822 M USD. A l’inverse, les transferts transfrontaliers des travailleurs migrants, tels que mesurés par la Banque de Russie, n’ont toujours pas retrouvé leur niveau d’avant-crise : ils s’élevaient à 755 M USD sur la première moitié de l’année (752 M USD en 2020), soit 32% de moins qu’en 2019 sur la même période.

Figure 4. Évolution des remises migratoires depuis la Russie vers le Tadjikistan

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Le secteur bancaire montre quelques signes d’amélioration. Fin mai 2021, la BNT a annoncé le retrait de l’agrément et la liquidation de deux établissements bancaires anciennement systémiques, Tadjiksodirotbank et Agroinvestbank, qui avaient été recapitalisés par les autorités à hauteur de 300 M USD (6,1% du PIB) à la suite de la crise bancaire de 2016 mais étaient demeurées insolvables. Le taux de prêts non performants à 30 jours du système bancaire s’est progressivement réduit pour atteindre 15,3% fin juin 2021, contre 58,7% fin septembre 2016, au plus fort de la crise. Le secteur bancaire a affiché des bénéfices nets en hausse de 76,6% au 1er semestre 2021 à 23,7 M USD. Il reste toutefois sous-dimensionné : les actifs bancaires, à 21,8 Md TJS, et les crédits, à 11 Md TJS, ne représentaient respectivement que 24,1% et 12,2% du PIB fin juin 2021.

Figure 5. Part des prêts non performants à 30 jours dans le portefeuille total de crédits

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Les fragilités demeurent très nombreuses. La dette publique a atteint 48,1% du PIB en 2020 et est assortie d’un haut niveau de risque selon le FMI. La hausse des dépenses publiques a creusé le déficit budgétaire à 4,4% du PIB (contre 2,1% en 2019), qui devrait s’établir à 4,5% en 2021 selon le FMI. Les défis structurels sont multiples : réforme du système fiscal, réduction du poids des entreprises publiques et diversification de l’économie, lutte contre la corruption et la pauvreté, désenclavement, diversification des exportations, réduction de la dépendance aux remittances, etc. Le besoin de financement du barrage de Rogoun, estimé à 5 Md USD, constitue une épée de Damoclès pour les finances publiques et freine l’investissement dans le reste de l’économie.