Publications des Services économiques

Zoom de la semaine : Situation économique et financière de la Biélorussie

Appartenant à la tranche supérieure des pays à revenu intermédiaire (PIB par habitant de 6 411 USD en 2020 selon la Banque mondiale), la Biélorussie connaissait un ralentissement de son activité avant 2020 du fait en particulier d’un modèle économique fragilisé par la « manœuvre fiscale » de la Russie. Alors que la Biélorussie a connu un recul limité de l’activité en 2020, on observe en 2021 un rebond tiré par le commerce extérieur. Les perspectives demeurent toutefois extrêmement mitigées en raison d’un isolement international accru par les sanctions de juin 2021 et de l’existence de profondes vulnérabilités macroéconomiques.

1. L’économie de la Biélorussie est tendanciellement en ralentissement. La croissance du PIB a été de 7,3% en moyenne entre 2000 et 2010 mais de 0,9% en moyenne depuis lors. L’expansion de l’économie biélorusse est notamment freinée par une emprise considérable de l’Etat qui atteint, à titre d’exemple, 70% en matière de production industrielle. Le poids de l’Etat et des entreprises publiques freine la concurrence, l’investissement, l’innovation et, partant, la progression de la productivité et du niveau de vie.

2. Après une récession contenue en 2020, l’économie biélorusse connaît en 2021 un net rebond de son activité. Après une année 2020 marquée par une récession modérée (PIB en recul de 0,9%), le PIB a augmenté de 3% en glissement annuel (g.a.) sur la période janvier-août 2021. La reprise est massivement tirée par la production industrielle qui a augmenté de 8,6% sur janvier-août 2021 en g.a. La bonne tenue de l’économie biélorusse – très ouverte - est liée à une demande externe dynamique, couplée à la remontée des cours mondiaux des matières premières. Sur la période janvier-juillet 2021, les exportations de bien en valeur ont crû de 36,4%, alors que les importations progressaient de 27%. La reprise des échanges a été très vive s’agissant des principaux partenaires commerciaux de la zone CEI (Russie, Ukraine) et de l’UE (Pologne, Lituanie, Allemagne).

3. En revanche, à rebours de la tendance observée dans les pays de la zone CEI, la demande interne biélorusse apparaît déprimée, avec des ventes de détail atones (+0,5% en janvier-août 2021 en g.a.) dans un contexte de poussée inflationniste (+9,8% en août) que la Banque nationale de la République de Biélorussie peine à contenir (sa cible d’inflation est fixée à 5%)[1]. De la même façon, sur janvier-juin 2021, l’investissement en capital fixe a diminué de 7,2% en g.a.

4. Les réserves internationales ont été renforcées par la nouvelle allocation de droits de tirage spéciaux du FMI mais se situent toujours à un bas niveau.  Dans le sillage de la crise politique d’août 2020, les réserves de la Biélorussie avaient été fortement entamées. La récente (août 2021) allocation de DTS attribuée par le FMI a constitué pour la Biélorussie une manne d’environ 900 M USD, intégrée à ses réserves internationales. Celles-ci demeurent cependant à un bas niveau : 8,5 Md USD au 1er septembre 2021, soit un peu moins de 3 mois d’importations.

5. Le rouble biélorusse s’est fortement déprécié depuis 2020 mais regagne du terrain depuis avril 2021. Depuis début 2020, le rouble biélorusse a perdu 24% de sa valeur par rapport à l’euro et 19% par rapport au dollar, même si l’on note une tendance à l’appréciation depuis la mi-avril 2021 (figure 1). Cette pression sur le change pose un triple défi : (i) le pays est lourdement endetté au plan externe (69,6% du PIB mi-2021 ; + 3 points sur un an); (ii) le système bancaire est fortement « dollarisé » : fin mars 2021, 48% des prêts et 66% du passif des banques biélorusses étaient libellés en devises ; (iii) la dépréciation s’est transmise au prix à la consommation (cf. supra).

 Figure 1. Taux de change du rouble biélorusse (une hausse correspond à une dépréciation)

Graphique

6. Le pilotage macroéconomique est sous forte contrainte. D’une part, la politique budgétaire est bridée par la raréfaction des sources de financement externe, tant du point de vue des principaux bailleurs de fonds multilatéraux que des marchés financiers. Les sanctions occidentales[2], et notamment européennes, décidées en juin dernier ont renforcé cette contrainte. Actuellement, alors que les tombées de dette publique sont attendues en hausse en 2022 et 2023, seule subsiste pour l’essentiel la possibilité d’obtenir des financements de la Russie[3]. D’autre part, la politique monétaire ne peut pas se faire plus accommodante alors que l’inflation est presque deux fois plus élevée que la cible de la Banque centrale.

7. Le secteur financier, qui a fortement soutenu l’économie en 2020, semble opérer un ajustement radical de sa politique d’octroi de crédits. Le secteur bancaire – en grande partie public – a fortement contribué à la résilience de l’économie en 2020 via une abondante distribution de crédit aux entreprises, notamment d’Etat. Même s’il présente des indicateurs toujours solides, on note cependant une forte tendance au ralentissement de la distribution du crédit depuis fin 2020, en particulier pour les entreprises (figure 2). Corollaire de ces développements, on observe que l’évolution de la masse monétaire est entrée depuis juin 2021 en territoire négatif (-3,7% en g.a. en août 2021 alors que la Banque centrale vise +7-10%).

 Figure 2. Crédits bancaires à l’économie (ga, en %)

Graphique

8. La Biélorussie vient de trouver un accord avec la Russie en matière d’approfondissement de l’intégration économique, commerciale et financière à horizon 2023. A l’issue d’un processus de négociations de 3 ans, les deux pays s’apprêtent à signer un programme commun portant sur 28 feuilles de routes, dont les plus concrètes concernent essentiellement les échanges financiers et commerciaux. L’accord est en revanche très prudent s’agissant de la convergence des politiques macroéconomiques et de l’unification des politiques agricoles et industrielles, de même qu’en matière de cadre concurrentiel. 

9. La mise en œuvre de cet accord renforcerait l’emprise financière et commerciale, déjà très forte, de la Russie sur la Biélorussie. 2500 entreprises russes opèrent en Biélorussie et la Russie est le premier investisseur étranger sur place avec 30% du stock d’IDE. Elle est également le premier partenaire commercial de la Biélorussie (51% des importations et 47% des exportations en 2020) et le premier créancier externe (à hauteur d’environ 50% du stock de dette). Enfin, du point de vue du système financier, la Russie occupe une position dominante avec d’importantes filiales sur place : BPS-Sberbank, Alfa-Bank, VTB Bank (Belarus) et BelGazPromBank.

10. La Russie a annoncé l’octroi de financements supplémentaires à la Biélorussie. Le 10 septembre 2021, jour où les deux pays ont rendu public le nouvel accord d’intégration, il a également été annoncé que la Russie octroierait à la Biélorussie un montant de l’ordre de 630-640 M USD de refinancement supplémentaire d’ici à fin 2022. A côté de cela, la question des tarifs énergétiques – fondamentale pour la Biélorussie, économie vieillissante dont le modèle a longtemps reposé sur l’importation d’énergie russe à prix subventionné – n’est pas tranchée par l’accord d’intégration. D’un côté, les deux pays doivent signer d’ici à fin 2023 un accord portant sur la création d’un marché unique du gaz. En 2022, le prix du gaz restera le même que celui payé en 2021 (soit 128,5 USD/1000 m3). D’un autre, l’unification du marché du pétrole et des produits pétroliers (et donc la possible compensation de la «manœuvre fiscale » russe) et du marché de l’électricité est envisagée, mais sans horizon précis.

[1] Deux hausses de taux directeur en 2021, de 75 points de base chacune, portant le principal taux directeur à 9,25%.

[2] L’isolement international de la Biélorussie a été accru par un nouveau train de sanctions occidentales (UE, Etats-Unis, Royaume-Uni, Canada), décidées en réaction à l’atterrissage forcé d’un vol Ryanair à Minsk le 23 mai 2021. Des sanctions sectorielles de l’Union européenne ciblent en particulier des biens et technologies à double usage, le commerce de produits pétroliers et de chlorure de potassium, le financement de l’Etat biélorusse et des banques publiques biélorusses.

[3] Pour mémoire, la Russie a octroyé en septembre 2020 un refinancement d’1,5 Md USD à la Biélorussie, permettant une stabilisation macro-financière de court terme (versé par différentes tranches en 2020 et 2021).