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Zoom de la semaine : Hausse des droits de tirage spéciaux du FMI : quelles implications pour la zone eurasiatique ?

1/ Le 2 août 2021, le Conseil d’administration du FMI a décidé d’une allocation de droits de tirage spéciaux (DTS) de 650 Md USD (environ 456 Md de DTS). Celle-ci est entrée en vigueur le 23 août. Les pays émergents et en développement recevront l’équivalent de 275 Md USD (dont 21 Md USD pour les pays à bas revenus). Cette décision est motivée par la volonté du Fonds, notamment, de « renforcer la position externe [de ses] membres, accroître la confiance, favoriser la résilience et la stabilité de l’économie mondiale et contribuer à sa reprise ».

2/ Pour mémoire, les DTS sont des avoirs, comptabilisés comme des réserves internationales, créés par le FMI en 1969 dans un contexte de rareté du dollar au sein du système monétaire international de l’époque. Les DTS sont alloués aux membres du FMI en proportion de leur part dans le capital de l’institution. L’augmentation décidée le 2 août porte le total des DTS alloués à 943 Md USD. La valeur du DTS fluctue et est déterminée par un panier de monnaie comprenant les principales monnaies internationales : le dollar américain, l’euro, le yuan, le yen et la livre sterling.

3/ Les DTS n’ont pas les propriétés d’une monnaie à proprement parler, ni une créance sur le FMI. En revanche, ils sont convertibles en devises par le biais d’un échange avec un pays membre du FMI. Les membres du FMI peuvent également les utiliser dans le cadre de transactions ou d’opérations avec le Fonds. Lorsque des DTS sont alloués à un pays, celui-ci reçoit simultanément un avoir (comptabilisé comme un actif) et une allocation (comptabilisée comme un passif) de montant équivalent. Sur son avoir, il perçoit des intérêts et sur son allocation il doit payer des intérêts. En cas d’égalité entre l’avoir et l’allocation, les flux d’intérêt s’annulent car ils sont calculés à partir du même taux[1]. A contrario, si un pays décide de convertir tout ou partie de ses DTS en devises, son encours devient inférieur à son allocation, ce qui implique un coût - actuellement mineur puisque le taux d’intérêt des DTS est de 0,05%.

4/Les DTS nouvellement alloués sont utilisables librement par les pays membres. Il leur est ainsi possible de simplement les conserver en tant que tels au sein de leurs réserves internationales ou de les conserver comme réserves après conversion en devises. Il est aussi possible – sous réserve que la configuration institutionnelle locale le permette – d’utiliser ces actifs une fois convertis comme des ressources budgétaires. Enfin, les DTS peuvent être utilisés pour rembourser des dettes (une fois également convertis). Les données sur les allocations et les détentions sont publiques, ce qui autorise une traçabilité dans l’utilisation des DTS. Suite à la nouvelle allocation, le FMI a en outre indiqué souhaiter accroître le niveau de transparence en la matière, eu égard aux risques existants de mauvais emplois de ces nouvelles ressources (e.g. dépenses publiques improductives).

5/ S’agissant des pays couverts par cette publication, la nouvelle allocation de DTS représente une manne d’environ 24 Md USD (Voir figure A ci-dessous), dont près de 17 Md USD pour la Russie dont la quote-part au sein du FMI est de 2,712%  

 Figure A. Allocation supplémentaire de DTS (M USD)

Tableau A

 6/ Pour ce qui concerne les pays les plus solides de la zone, l’intérêt à court terme de la nouvelle allocation de DTS est limité. Ils ne devraient pas l’utiliser et simplement la conserver en réserves. Ces pays sont globalement caractérisés par à la fois une position extérieure solide (au vu par exemple du niveau de leurs réserves internationales) et une bonne résistance à la crise de 2020. C’est le cas en particulier de la Russie, dont les réserves internationales sont de l’ordre de 600 Md USD et la position extérieure est particulièrement robuste (excédent courant, peu d’endettement externe). Le Kazakhstan, même si sa position extérieure présente certaines vulnérabilités (déficit courant, dette externe très significative), n’a pas un besoin urgent de liquidités supplémentaires en raison de réserves internationales solides (plus de 9 mois d’importations) auxquelles on peut ajouter les réserves en devises du Fonds national géré par le ministère des Finances (environ 57 Md USD soit plus de 15 mois d’importations). En outre, il bénéficie d’une situation conjoncturelle relativement favorable (recul du PIB modéré en 2020, cours pétroliers actuellement élevés). La situation de l’Ouzbékistan est comparable. Même si le pays a eu recours en 2020 à des prêts d’urgence du FMI pour affronter la crise du Covid, son économie est demeurée en expansion cette année-là. Il était en outre doté avant l’allocation supplémentaire des secondes réserves de change de la zone (supérieures à 18 mois d’importations).

7/ Pour une seconde catégorie de pays, l’utilisation des DTS – par exemple sous forme de dépenses publiques – présente un intérêt clair. Cette catégorie regroupe des pays à la fois plus fortement touchés par la crise (et par conséquent dont les besoins financiers en phase de reprise sont plus importants), présentant un besoin de financement externe important et attendu en hausse en 2021 (du fait du rebond économique) mais dotés d’un niveau de réserves internationales globalement confortable (voir figure B ci-dessous). Au sein de ce groupe de pays :

  • D’un côté, l’Ukraine, l’Arménie et la Moldavie ont la particularité d’être soit sous-programme FMI, soit susceptibles de le devenir dans les prochains mois. Selon les stratégies adoptées par ces pays, la nouvelle allocation de DTS sera utilisée comme un complément ou un substitut aux tranches de prêts du FMI. En Ukraine, dont le programme FMI de 5 Md USD accordé en juin 2020 est suspendu depuis (seule une première tranche de 2,1 Md USD a été décaissée à ce jour), le Premier ministre a déclaré que la nouvelle allocation de DTS servira à soutenir la stabilité macroéconomique, augmenter les dépenses sociales et soutenir la relance économique. Il a également assuré que l’Ukraine poursuivrait sa coopération avec le FMI dans le cadre du programme en cours.  De même en Moldavie, les autorités locales ont d’ores et déjà indiqué qu’elles utiliseraient leur allocation supplémentaire (233 M USD) comme soutien budgétaire à l’économie. En parallèle, les négociations avec le FMI devraient reprendre dans la perspective de mettre en place d’un nouveau programme ;
  • D’un autre, le Tadjikistan et le Kirghizstan ont des profils globalement similaires, même si le premier a mieux résisté à la crise du Covid et présente des indicateurs externes plus favorables (moindre besoin de financement externe notamment). Ces deux pays disposent de réserves de change confortables (respectivement 8,6 et 8 mois d’importations avant nouvelle allocation), ce qui pourrait les inciter à utiliser la manne pour accompagner la reprise ou, par exemple, financer l’achat de vaccins, alors que les taux de vaccination sont parmi les plus faibles de la zone selon les données disponibles (voir figure C ci-dessous). Néanmoins, pour l’heure, la Banque nationale du Kirghizstan a annoncé que les DTS supplémentaires serviraient à « compléter les réserves de change du pays […] ». 

 Figure B. Indicateurs macroéconomiques

Tableau B

 

Figure C. Part de la population totalement vaccinée contre le COVID-19 (%)

Tableau C

8/Enfin, la Biélorussie, au sein de la zone, est un cas à part. Il s’agit actuellement du pays avec les réserves internationales les plus faibles, à 2,5 mois d’importations avant la nouvelle allocation de DTS (voir figure D). Celle-ci, d’un montant de 920 M USD, lui permettrait de se rapprocher du seuil de confort de 3 mois d’importations. La Biélorussie est ainsi incitée à réduire sa vulnérabilité externe en conservant son allocation en DTS (ce qu’historiquement elle a eu tendance à faire) ou en la convertissant dans une devise internationale, tout en la conservant en réserves. A noter que cette conversion nécessiterait un arrangement avec un pays membre du FMI (cf. supra). L’utilisation des DTS est à ce stade l’option la moins probable, le pays ayant un besoin de financement prévisionnel en 2021 relativement contenu.   

Figure D. Réserves internationales en mois d’importations

Grafique D

 

[1] Ce taux  est une moyenne pondérée des taux des titres publics de court terme des pays dont la monnaie fait partie du panier de calcul du cours du DTS.