L’année 2021 a été compliquée pour l’agriculture canadienne : gelée tardive, sécheresse, manque de nourriture pour le bétail et invasion d’insectes. Ces évènements sont favorisés par le changement climatique. Si l’augmentation globale des températures devrait à priori profiter au secteur agricole (augmentation de la période hors gel, conditions plus favorables à l’élevage), l’intensité et l’aléa des évènements climatiques entrainent des difficultés importantes pour les agriculteurs.

1/ Une année 2021 particulièrement compliquée pour les producteurs canadiens

En 2021, les producteurs avaient profité d’un printemps hâtif et de belles conditions pour semer assez tôt[i]. La croissance et la floraison ont été favorisées par un temps chaud et sec. Cependant, des gels tardifs de mai ont contrecarré les bénéfices tirés de cette météo et les techniques pour limiter l’impact du gel (utilisation de bâches ou de l’irrigation) n’ont pas été suffisantes pour sauver les récoltes[ii]. Les plans ont été d’autant plus impactés qu’ils étaient trop développés pour repartir après un épisode de gel. Les fruits rouges (fraises et bleuets) ont été particulièrement touchés par ces gelées du mois de mai. Les céréales et légumineuses comme le maïs, le canola et le soja ont aussi subis le gel[iii]. Les vignerons déplorent eux aussi entre 20 et 100% de pertes attribuable au gel advenu après un printemps hâtif, malgré l’utilisation d’hélicoptères pour brasser l’air[iv].

Le printemps 2021 a été l’un des plus secs de ces dernières décennies[v], et l’outil de surveillance des sécheresses a déclaré une partie du Manitoba et de la Saskatchewan sous le coup d’une sécheresse extrême dès le 15 mai. Ce manque de pluie a un impact direct sur les récoltes des céréales et légumineuses, mais aussi par ricochet sur les éleveurs qui dépendent des céréales pour alimenter leur bétail. Le manque d’eau, qui a touché les prairies[vi] mais aussi le Québec[vii], a pu entraîner des pertes de la quasi-totalité de la production de certains agriculteurs. Les surfaces de cultures de céréales sont souvent trop importantes pour être irriguées[viii], les agriculteurs sont donc dépendant des réserves en eau des sols, qui avaient déjà été affaiblies par un automne sec[ix]. Les fortes chaleurs du printemps et du début de l’été ont aussi favorisé les invasions d’insectes dès la fin du mois de juin[x] (les œufs de sauterelles ont plus de chances de survie avec la chaleur), qui ont notamment aggravé le manque de foin pour le bétail.

Ces aléas climatiques ont des répercussions financières très importantes pour les agriculteurs et éleveurs. Les rendements et la qualité de récoltes sont très mauvais[xi], et un manque important de fourrage pour le bétail se fait ressentir. Les difficultés sont telles pour l’élevage que certains fermiers sont forcés de vendre des animaux[xii], voir leur troupeau, en raison de prix trop élevés de la nourriture et de l’eau. De plus, une partie des agriculteurs ne sont pas, ou pas bien, assurés à cause des prix élevés des assurances[xiii]. Les gouvernements provinciaux et fédéraux prennent depuis les printemps des mesures pour atténuer les impacts sur les producteurs (annexe 1 et 2). Le ministre de l’agriculture de la Saskatchewan a annoncé une bonification pour le remboursement maximal destiné aux éleveurs de bétail de la province qui passera à 150 000 CAD[xiv]. Les gouvernements fédéraux et Manitobains ont annoncé le soutien aux producteurs d’aliments de bétail qui pourront recevoir une bonification de 44 CAD supplémentaire par tonne[xv]. Des changements au programme d’assurance de récoltes sont aussi effectués pour permettre aux agriculteurs de vendre certaines cultures endommagées comme aliments pour bétail et les agriculteurs peuvent réclamer des indemnités pour une plus grande partie de leur récolte[xvi].

2/ Un phénomène qui va s'accentuer dans les prochaines années ?

Beaucoup d’agriculteurs s’accordent à dire que les événements climatiques de l’année 2021 (gel tardif, sécheresse, chaleur) sont d’une intensité exceptionnelle mais qu’ils tendent à s’amplifier depuis quelques années[xvii]. Le changement climatique devrait effectivement augmenter la fréquence d’évènements climatiques exceptionnels, et le Canada ne sera pas épargné puisque celui-ci se réchauffe en moyenne deux fois plus vite que le reste du globe. Le pays pourrait se réchauffer de 6,4 °C pendant le siècle. Les effets du changement climatique se font déjà ressentir dans les prairies, qui est l’endroit au sud du Canada où le réchauffement est le plus important, en particulier en hiver[xviii].

Les agriculteurs bénéficieront théoriquement d’une saison de croissance plus longue sans gel[xix] (annexe 3), ce qui leur est favorable. Cependant, une augmentation des températures et des étés très chauds signifient une évapotranspiration des végétaux beaucoup plus importante et donc potentiellement un épuisement des ressources hydriques des sols entrainant des sécheresses beaucoup plus fréquentes[xx]. Les températures élevées peuvent aussi avoir des effets très néfastes sur le bétail. Les vagues de chaleur au Québec en 2002 avaient par exemple tué un demi-million de volailles et lors des années 2010-2012, des centaines de vaches laitières sont mortes en Ontario à cause de la chaleur extrême[xxi]. Cependant, une augmentation modérée des températures profiterait à l’élevage car les besoins en alimentation des animaux sont alors diminués, le taux de survie des jeunes est meilleur et les coûts en énergie moins importants. Le réchauffement climatique favorise le développement de parasites agricoles, d’espèces envahissantes, de mauvaises herbes et de maladies. Le changement climatique va également favoriser la migration d’insectes depuis les Etats-Unis (et des maladies qu’ils transportent). Les précipitations totales sur une année devraient assez peu varier mais il faudra s’attendre à des épisodes pluvieux plus intenses, qui amèneront trop d’eau pendant la saison d’ensemencement et trop peu pendant la saison de croissance.

3/ Comment adapter l'agriculture canadienne au changement climatique ?

Il est difficile en agriculture de s’adapter à des évènements extrêmes, puisqu’un seul de ces évènements peut éliminer tous les avantages découlant de l’amélioration des conditions moyennes de productions. Certains des outils existants utilisés par le secteur agricole pour gérer les risques climatiques (tels que l'assurance récolte ou l'irrigation par aspersion) reposent principalement sur le fait que les mauvaises conditions sont inhabituelles et intermittentes. Mais les stratégies de gestion de crise à court terme et ponctuelles ne sont pas des réponses durables aux effets durables du changement climatique.

Ressources naturelles Canada héberge la Plateforme canadienne d'adaptation aux changements climatiques, un forum national fondé en 2012, qui réunit des groupes clés au Canada pour collaborer aux priorités d'adaptation aux changements climatiques. Les groupes de travail de la plateforme comprennent un groupe sur l'agriculture, coprésidé par Agriculture et Agroalimentaire Canada et la Fédération canadienne de l'agriculture. Ce groupe « vise à créer un environnement propice à l'adaptation, dans lequel les décideurs des régions et de l'industrie disposent des outils et des informations dont ils ont besoin pour s'adapter au changement climatique[xxii] ». Le groupe recommande notamment le développement de cultures et d’animaux d’élevage plus adaptés aux nouvelles conditions, l’adoption de pratiques plus respectueuses de l’environnement, la réduction des émissions de gaz à effets de serre. Cependant, ces propositions s’attaquent davantage à réduire l’impact de l’agriculture sur le changement climatique plutôt que d’y préparer le secteur.

La menace qui pèse sur les agriculteurs est de plus en plus grande et les assurances ont un rôle à jouer pour assurer la pérennité de leur activité. Elles sont de plus en plus mises à contribution par le secteur agricole. L’Alberta s’attend par exemple à verser environ 1 Md CAD en assurance cette année en raison de la sécheresse. Cependant, des syndicats agricoles déplorent l’inadéquation ou l’inaccessibilité des programmes d’aides agricoles[xxiii].


[viii] La pire sécheresse depuis 40 ans, Radio Canada, 15 juin 2021

[ix] Une « sécheresse extrême » menace une partie des Prairies, selon Agriculture Canada, Radio Canada, 15 mai 2021