La Banque du Canada a publié le 14 juillet son nouveau Rapport trimestriel de politique monétaire dans lequel elle repousse légèrement la reprise économique canadienne, avec une baisse de la prévision de croissance pour 2021 (6% contre 6,5% dans le Rapport précédent). La Banque a également confirmé la réduction progressive des programmes d’assouplissement quantitatif engagée depuis la fin d’année 2020, et pourrait envisager une hausse de son taux directeur dès le 2nd semestre 2022.

1/ Une reprise économique légèrement repoussée vers 2022 qui ne modifie pas la politique monétaire

Dans son nouveau rapport de politique monétaire, publié le 14 juillet, la Banque du Canada confirme une forte reprise de l’économie canadienne dès l’année 2021, mais dans une moindre mesure qu’estimé dans son précédent rapport. Malgré l’intense campagne de vaccination au Canada[1], l’économie canadienne est restée particulièrement limitée par les mesures visant à contrôler la propagation du virus au cours du 1er semestre : la prévision de croissance pour le T2 2021 a ainsi été revue à la baisse de 3,5% à 2% en rythme annualisé par rapport au précédent rapport publié en avril, tandis que la croissance du T1 2021 a atteint 5,6%, un niveau inférieur aux 7% escomptés. Malgré un rebond attendu au 2e semestre, notamment avec un pic de croissance au T3, la Banque a revu sa croissance pour l’année 2021 à la baisse, à 6,0%, contre 6,5% estimée précédemment (voir Annexe 1), soit un niveau tout juste supérieur aux 5,8% de croissance indiqué dans le budget 2021 du gouvernement fédéral, dont le projet de loi a finalement été validé au Parlement canadien à la fin juin. La Banque a également revu ses prévisions de croissance à la baisse en 2021 pour les Etats-Unis (6,6%), le Japon (2,7%) ou la Chine (8,9%), mais à la hausse pour la zone Euro (4,8%) et les pays émergents (8%), tirant la croissance mondiale à 6,9%.

La Banque du Canada n’anticipe toutefois qu’un décalage de la reprise canadienne vers l’année 2022. Entrainée par la consommation intérieure (voir Annexe 2), en raison notamment de la dépense de l’épargne accumulée par les ménages canadiens (atteignant 210 Md CAD/139 Md€, soit 10% du PIB canadien, dont 20% pourraient être dépensés par les ménages) dans les secteurs « à contact » comme le tourisme, mais aussi par les exportations, sous l’effet conjugué de la reprise de la demande extérieure, notamment américaine (destination de 70% des exportations canadiennes), et de la hausse des prix des matières premières, la Banque anticipe une croissance du PIB de 4,6% en 2022, bien meilleure que les 3,7% estimés en avril. Cette reprise de l’activité semble se confirmer avec  un rebond significatif des ventes de détail en juin, consécutif à une baisse au cours des mois d’avril et mai en lien avec les mesures restrictives mises en place dans le pays pour lutter contre la 3ème vague de Covid-19, estimée à plus de 5% en variation mensuelle[2].  Les dépenses de consommation des ménages canadiens sont également en progression constante depuis le début d’année et sont, début juillet, supérieures d’environ 25% à ce qu’elles étaient avant la pandémie (février 2020)[3]. Enfin, si le retour du PIB à son niveau de 2019 devrait intervenir dès 2022, les effets du budget du gouvernement fédéral pourraient se faire ressentir jusqu’en 2023, avec une croissance également légèrement revue à la hausse, à 3,3% (3,2% auparavant).

Ce léger décalage de la reprise ne modifie toutefois pas la direction prise par la Banque pour sa politique monétaire. Avec le rebond attendu de l’économie, la Banque a annoncé une nouvelle réduction  de l’ampleur de son programme d’assouplissement quantitatif, avec un rythme d’achat passant de 3 Md CAD à 2 Md CAD par semaine, après l’avoir déjà diminué en avril (voir Annexe 4). Le bilan de la Banque a ainsi déjà vu sa taille diminuer suite à l’arrivée à maturité des titres acquis depuis le début du programme. Le taux directeur, abaissé à 0,25% au printemps 2020, est maintenu et ne devrait pas être relevé, selon la Banque, avant le S2 2022.

2/ De fortes incertitudes demeurent autour de l'inflation, que la Banque estime toujours passagère

La Banque du Canada estime que la reprise de l’activité devrait s’accompagner d’une inflation importante, mais issue de facteurs temporaires. L’inflation devrait poursuivre son augmentation constatée depuis le début de l’année 2021, avec une hausse des prix sur un an de 3,6% en mai, pour atteindre un pic de 3,9% au T3 et 3,5% au T4 (voir Annexe 3). Cette inflation est notamment alimentée par des facteurs que la Banque estime temporaires : i) les contraintes d’offre dans certains secteurs manufacturiers, comme l’automobile, dues à la pénurie de certains composants entrainent des frais de livraisons renchéris et des temps de livraisons allongés ; ii) la hausse des prix de l’énergie, notamment le pétrole (les indices pétroliers sont supérieurs de 10 USD à ce qui était anticipé dans le rapport d’avril), en raison d’une hausse supérieure de la consommation à celle de la production, impactant directement le prix de l’essence, dépassant désormais son niveau d’avant crise ; iii) une hausse similaire est identifiée dans d’autres matières premières produites au Canada, comme le bois d’œuvre, cible de la demande pour la rénovation/construction immobilière ; iv) un effet de base notable par rapport à l’inflation connue il y a un an. La Banque anticipe ainsi une baisse de l’inflation vers la cible de 2% d’ici fin 2022. Les six grandes banques canadiennes prévoient une inflation moyenne de 2,8% en 2021, et de 2,5% en 2022.

La Banque ne cache toutefois pas ses grandes incertitudes sur l’évolution de l’inflation, à la hausse comme à la baisse, en raison de nombreux risques. L’évolution du marché immobilier est ainsi particulièrement inquiétante : malgré une baisse continue depuis mars, les prix immobiliers étaient toujours 25% plus élevés qu’un an auparavant en juin 2021. Selon la Canadian Real Estate Association, cette hausse des prix s’explique par la hausse de la demande face à une offre relativement restreinte : le ratio des ventes totales sur les nouvelles mises en vente est ainsi passé de 65% début 2020 à plus de 75% en 2021. La hausse de l’offre de logement annoncée par le gouvernement pourrait apaiser les tensions. Les contraintes sur les chaines d’approvisionnement pourraient continuer à peser sur l’inflation, tout comme une consommation des ménages plus importante qu’anticipée, en lien avec leur épargne massive. Dans le sens inverse, un resserrement plus rapide que prévu des conditions financières ou une nouvelle vague de crise sanitaire pourraient faire refluer les tensions inflationnistes.

Le marché du travail demeure le facteur clé des décisions de la Banque, davantage que l’inflation. Alors que l’inflation a déjà dépassé la borne supérieure de la cible élargie de la Banque, fixée à 3%, la Banque insiste que l’inflation sous-jacente demeure sous contrôle, ses différentes mesures tournant autour de 2%. L’institution analyse également d’autres indicateurs pour évaluer son risque d’inflation, ainsi que ses perspectives de politiques monétaires : l’évolution des salaires, le coût du travail, et l’excédent de chercheurs d’emplois. Malgré 230 000 nouveaux emplois en juin, il reste un déficit de 550 000 par rapport au niveau d’avant-crise, dont près de la moitié dans le secteur de l’hôtellerie-restauration. Si les perspectives à court terme sont prometteuses, avec 550 000 postes vacants selon Statistiques Canada et les meilleures intentions d’embauches depuis le début de l’enquête de la Banque du Canada il y a 15 ans, les inégalités grandissent, notamment entre diplômés et non-diplômés.  La Banque a ainsi annoncé que l’évolution du marché de l’emploi demeurera un facteur important dans ses décisions à venir.*

La Banque confirme que les prévisions d’inflation, bien que supérieures à la cible définie dans son mandat, restent principalement alimentées par des phénomènes transitoires (prix des matières premières, contraintes sur l’offre). La Banque du Canada semble ainsi, à l’instar de la FED, privilégier la reprise de l’activité à court-terme et l’amélioration des conditions sur le marché du travail. Les annonces de la Banque centrale ont toutefois été plutôt bien accueillies au sein de la communauté économique et financière canadienne : les observateurs soulignent notamment sa réactivité et sa capacité d’anticipation face aux conséquences économiques de la pandémie. Plusieurs incertitudes sont cependant mises en exergue : les prévisions de croissance pour 2021 et 2022 restent en effet élevées et s’appuient sur des facteurs conjoncturels (notamment des prix des matières premières et des biens immobiliers très élevés) dont la durabilité reste incertaine et dont l’évolution négative pourrait conduire à une croissance plus faible que prévue. Par ailleurs, concernant l’inflation, certains observateurs estiment que la persistance d’un niveau d’inflation trop élevé pourrait conduire à une modification des anticipations de la part des acteurs économiques, et ainsi venir perturber la dynamique de reprise engagée depuis le début de l’année, invitant par conséquent la Banque à agir plus fermement pour garantir un ancrage des anticipations proche de la cible (entre 1 et 3%) et, par là même, sa crédibilité future.


[1] Au 19 juillet, 69,5% de la population avait reçu au moins une dose et 49,2% est totalement vaccinée