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Zoom de la semaine : Inflation en Russie

La Russie comme de nombreux pays développés ou émergents, connait depuis 2020 une remontée très forte de l’inflation. La Banque de Russie, dont l’objectif unique est de préserver la stabilité des prix (définie comme une progression de l’inflation de 4% sur le moyen terme) a dans ce contexte opté pour une politique monétaire agressive en remontant rapidement et fortement (125 points de base en l’espace de 4 mois) ses taux directeurs. Alors que la poussée inflationniste est a priori temporaire, la réaction de la Banque de Russie s’explique par sa volonté d’ancrer les anticipations des agents économiques et de préserver sa crédibilité. 

1/ L’inflation est en augmentation en Russie depuis mi 2020. L’inflation en Russie est sur une tendance haussière depuis environ un an et se situe désormais, à 6% en mai 2021, très au-dessus de la cible de la Banque de Russie (4%). La reprise de l’inflation a débuté en juin 2020, avec une accélération notable à partir du mois d’octobre 2020 (graphique 1). 

Graphique 1. Inflation totale (%) et contributions de ses composantes (points de %)

graph 1

 

2/ La Banque de Russie a été depuis le début de la résurgence de l’inflation systémiquement surprise par les développements effectifs de l’indice général des prix. En octobre 2020, elle tablait sur une inflation en fin d’année comprise entre 3,9 et 4,2% en glissement annuel ; l’inflation effective est ressortie à 4,9%. A cette époque, ses prévisions d’inflation pour 2021 (toujours pour la fin d’année) étaient de 3,5-4%. Depuis lors, la Banque de Russie a rehaussé à deux reprises ses prévisions d’inflation, légèrement en février 2021 (de +0,2 point à 3,7-4,2%) et très significativement en avril 2021 (de +1 point à 4,7-5,2%). Alors que la Banque centrale considérait en mars 2021 que l’inflation était à cette date « proche de son pic », elle a ajusté son discours en avril 2021 indiquant que le taux d’inflation resterait sur un plateau d’ici à la fin du premier semestre 2021, avant de décroître. A l’issue de sa réunion de juin 2021, elle n’a pas fourni d’indications en matière de trajectoire infra- annuelle. En revanche, elle a décalé l’horizon de retour de l’inflation à sa cible de 4%, qui est passé du premier au second semestre 2022. Il est ainsi assez probable que la Banque de Russie revoit une nouvelle fois ses prévisions d’inflation le 23 juillet prochain, à l’occasion de sa prochaine décision de politique monétaire. 

3/Le diagnostic de la Banque de Russie sur l’inflation a sensiblement évolué au fil des mois. Alors que fin 2020/début 2021, l’analyse pointait plutôt vers des facteurs d’ordre exogène, lié au taux de change et aux cours mondiaux des matières premières, notamment alimentaire, le discours de la Banque centrale est actuellement axé sur une inflation tirée par une demande interne dynamique face à une offre inélastique dans le contexte post-pandémique. 

4/La Banque de Russie a procédé à trois hausses de taux directeurs depuis le mois de mars 2021 et a annoncé explicitement que des hausses supplémentaires suivraient (graphique 2). Alors que l’année 2020 avait été marquée par un assouplissement exceptionnel de l’orientation de la politique monétaire, le taux directeur principal atteignant un plus bas historique à 4,25%, la Banque de Russie a fait le choix de remonter ses taux en mars 2021 (de 25 points de base), avril 2021 (50 points de base) et juin 2021 (50 points de base). Lors de cette dernière réunion, une hausse de 100 points de base a été discutée mais écartée par le Conseil d’administration de la Banque. La Banque de Russie a par ailleurs été inhabituellement explicite s’agissant de ses décisions à venir, indiquant qu’elle considérait comme « nécessaires » des hausses de taux lors de ses réunions à venir. Une hausse du taux directeur principal de 25 points de base a minima devrait intervenir le 23 juillet prochain.

Graphique 2. Inflation et taux directeur de la Banque de Russie (%)

Graph 2 

5/Plusieurs facteurs laissent penser que la poussée inflationniste n’est que temporaire. Premièrement, la situation de surchauffe de l’économie en phase de reprise, mise en avant par la Banque centrale, est probablement temporaire. Comme dans de nombreuses économies, un rattrapage de demande s’est opéré du fait de l’accumulation d’une épargne forcée causée par la crise du Covid ; de même, une déformation provisoire de la structure de la demande est à l’œuvre en raison par exemple du développement du télétravail ou des restrictions de mobilité internationale. Par ailleurs, la demande des ménages a été fortement alimenté par du crédit, notamment à la consommation, et le service de la dette des ménages, en proportion de leurs revenus, atteint des niveaux record depuis que cet indicateur est mesuré (2012). Cela a d’ailleurs poussé la Banque de Russie à ajuster certains paramètres de son cadre macro-prudentiel pour contrôler ce processus, qui n’est pas soutenable. Deuxièmement, le risque de déclenchement d’une spirale inflationniste prix/salaires est pour le moment limité. En effet, le rétablissement du marché du travail a été rapide mais il demeure incomplet : le taux de chômage au sens du BIT ressort à 5,2% en avril 2021 contre un pic à 6,4% en août 2020 mais un niveau pré-crise de 4,7%. Les salaires nominaux sont dynamiques (+7% en moyenne au premier trimestre 2021, en glissement annuel) mais leur rythme de progression reste en ligne avec ce qui prévalait avant la crise. Néanmoins, d’autres facteurs pourraient renforcer les risques inflationnistes. D’un côté, la situation épidémique en Russie et dans le reste du monde risque de limiter pendant l’été les possibilités de voyages de russes et donc de dépenses à l’étranger ; d’un autre, le gouvernement, dans un contexte de cours du pétrole élevé (et d’élections parlementaires en septembre 2021) dispose de marge de manœuvre pour accroitre la dépense publique.   

6/ Néanmoins, la Banque de Russie agit préventivement car elle craint un désancrage des anticipations d’inflation et veut préserver sa crédibilité. La Banque de Russie craint le déclenchement d’une spirale auto-entretenue qui viendrait d’un désencrage des anticipations des agents économiques. Les anticipations d’inflation des ménages (à horizon 12 mois), qui étaient de l’ordre de 8% avant la crise, sont actuellement proche de 12%. Dans cette économie qui a connu, y compris sur la période récente (en 2015 par exemple) des taux d’inflation à deux chiffres, la Banque centrale souhaite agir préventivement pour préserver l’ancrage nominal. L’enjeu pour la Banque de Russie est aussi de maintenir sa crédibilité auprès des marchés. Les anticipations d’inflation «implicites» extraites des obligations OFZ indexées sont pour l’instant stables. Il est important pour la Banque de Russie de maintenir ces anticipations ancrées pour prévenir une augmentation des taux d’intérêt longs, ce qui aurait des conséquences sur les conditions de financement de l’économie et notamment de l’Etat (de surcroit dans un contexte les conditions d’émission sont contraintes par les sanctions internationales). On observe que les anticipations des prévisionnistes professionnels sont pareillement stables et en ligne avec les prévisions de la Banque centrale : pour l’année 2021, le consensus Bloomberg prévoit une inflation de 4,5% (en mai dernier, stable par rapport à avril) ; de même les économistes interrogés par la Banque de Russie en mai dernier tablent sur une inflation de 4,9% (médiane).