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Zoom de la semaine : En Russie, le ministre des Finances a annoncé la dé-dollarisation du Fonds souverain du pays

A l’occasion du Forum économique de Saint-Pétersbourg et à quelques semaines d’un sommet entre Vladimir Poutine et Joe Biden, le ministre des Finances Anton Silouanov a annoncé que les actifs liquides du Fonds souverain russe, le Fonds du bien-être national, ne seraient plus investis en dollar. Cette dé-dé-dollarisation doit être mise en œuvre au cours du mois à venir.

1/Le Fond du bien-être national (FBEN) est un fond souverain alimenté par les recettes budgétaires pétro-gazières excédentaires. Dans le cadre de l’application de la règle budgétaire, les recettes fiscales pétro-gazières découlant d’un prix du baril de pétrole de marque Oural supérieur à 40 USD[1] sont transférées à la Banque de Russie qui les investit en actifs liquides extérieurs pour le compte du ministère des Finances. A échéance régulière, ces avoirs sont transférés au FBEN. Quand le prix du baril d’Oural est inférieur au prix-pivot – comme ce fut le cas, un temps, en 2020 – la règle budgétaire autorise, sous certaines conditions, des transferts du FBEN vers le budget fédéral.

2/ Ce dispositif a un intérêt certain au plan macroéconomique. Il permet en effet, « par temps de pluie », un lissage des dépenses publiques. Inversement, quand les cours du pétrole sont hauts, le placement (en devises ou, désormais, en or – Cf. Infra) des excédents conduit à une accumulation de réserves financières. Le mécanisme global permet en outre, dans une certaine mesure, de dé-corréler les évolutions du pétrole de celles du rouble (puisque que quand le cours du pétrole est haut, il est procédé à des ventes de roubles/achats de devises, et réciproquement).  

3/Le FBEN est structuré schématiquement en deux grandes parties.  Il est composé actuellement aux deux tiers d’avoirs liquides, déposés à la Banque de Russie et placés en devises. Le tiers restant est investi dans des actifs « stratégiques » (pour l’essentiel : rachat de SBER en 2020, projet Yamal, dépôts auprès de VEB.RF, participations au capital des banques VTB, GazpromBank et Rosselkhozbank). La part liquide du fonds peut être utilisée pour des investissements « stratégiques » dès lors qu’elle dépasse 7% du PIB[2]. Au 1er mai 2021, les encours totaux du FBEN s’élèvent à 186 Md USD (environ 12% du PIB) contre 168 Md USD un an plus tôt. La part liquide du FBEN ressort quant à elle à 7,5% du PIB.

Compte tenu du niveau présent des cours pétroliers, le mécanisme de la règle budgétaire induit actuellement des achats de devises par la Banque centrale, qui seront ultérieurement déversés dans le FBEN. Ainsi, la Banque centrale procèdera à l’achat de devises sur le marché des changes pour le compte du ministère des Finances à hauteur de 220,9 Md RUB (soit 3 Md USD) du 7 juin au 6 juillet 2021 (10,5 Md RUB par jour) contre 123,7 Md RUB du 11 mai au 4 juin 2021.

4/Dans le prolongement des déclarations du ministre des Finances lors du Forum économique de Saint-Pétersbourg, le ministère des Finances a publié un communiqué annonçant que le dollar américain ne serait plus utilisé en tant que devise de réserve du FBEN et que la part du Sterling serait réduite de 10% à 5%[3]. Ces changements de structure bénéficieront à l’euro et au yuan dont les parts au sein du FBEN seront augmentées respectivement à 40% et 30% (contre 35% et 15% précédemment). Par ailleurs, nouveauté, 20% des avoirs du fonds seront désormais placés en or. Le ministère des Finances a justifié cette décision en mettant en avant la nécessité de préserver le FBEN « dans le contexte des tendances macro-économiques et géopolitiques des dernières années ».

Pour mémoire, en février 2021, le ministère des Finances avait déjà modifié la structure des avoirs liquides en devises du FBEN pour y intégrer le yen japonais (à hauteur de 5%) et le yuan chinois (15%). Les parts du dollar américain et de l'euro avaient alors été réduites de 45% à 35%. Par ailleurs, fin 2020, des amendements aux Code budgétaire avaient introduit la possibilité que le FBEN investisse dans les métaux précieux.

5/ A ce stade, cette décision n’affecte a priori pas la structure globale des réserves internationales de la Russie. Les avoirs actuels du FBEN libellés en dollar américain sont de l'ordre de 40 Md USD. Ils ne forment qu’une partie des réserves internationales de la Russie, détenues par la Banque centrale et qui s’élèvent à fin avril 2021 à 590,4 Md USD. Au sein des réserves, les actifs en euro sont de l’ordre de 170 Md USD (près de 30%), les actifs en dollar et l’or représentent chacun 130 Md USD (respectivement 22 et 23%) et les actifs en yuan sont d’environ 70 Md USD (12%). Sachant que le mouvement de sortie du dollar du FBEN implique d’accroître ses actifs en or, yuan et euro de l’ordre de respectivement 23 Md, 18 Md et 5 Md USD, le rééquilibrage devrait théoriquement pouvoir s’opérer à l’intérieur du bilan de la Banque centrale. La question sera ensuite de savoir si celle-ci pourrait procéder à son tour à un ajustement aussi drastique de la structure de ses avoirs extérieurs, ce qui est loin d’être certain. En la matière, les données statistiques ne sont rendues publiques qu’avec un décalage de 6 mois.

6/La dé-dollarisation est une tendance très nette de l’économie russe. Cette démarche s’illustre notamment dans trois directions :

  • La dé-dollarisation des bilans des agents économiques : à titre d’exemple, la dette extérieure russe est de moins en moins libellée en dollar et cette tendance concerne tous les secteurs institutionnels de l’économie ; elle profite largement à l’euro. Globalement, la part de la dette externe en dollar atteint 46% fin 2020 contre 67% en mars 2015 ;
  • La diminution de la part des réserves de change de la Russie libellées en dollars et plus globalement libellées en devises occidentales : celles-ci ne représentent plus que 57% du total fin septembre 2020 contre plus de 80% fin 2015 ;
  • La baisse de la part du dollar dans les échanges commerciaux avec les pays tiers : alors que les exportations russes de biens et services étaient à plus de 80% réglées en dollar au premier trimestre 2013, cette proportion n’était plus que de 48% au dernier trimestre 2020. S’agissant des importations russes de biens et services, initialement moins dollarisées que les exportations, la baisse de la part du dollar dans les règlements apparaît moins marquée, passant de 41% au premier trimestre 2013 à 35% au dernier trimestre 2020.    

[1] Ajusté de +2% par an à partir de 2018.

[2] Précisément, les investissements sont autorisés à hauteur du delta entre le volume des liquidités du fonds et 7% du PIB.

[3] Entendu bien sûr comme la part dans la fraction liquide du FBEN.