Le ministre des Finances du Québec, Eric Girard a présenté le jeudi 25 mars les grandes orientations du budget de la province pour l’exercice 2021-2022 (1er avril – 31 mars) avec un plan intitulé « Un Québec résilient et confiant ». La province devrait terminer l’année financière 2020-2021 avec un déficit de 15 Mds CAD (10,1 Mds € [1]) alors que le budget 2021-2022, le premier qui prend en compte pleinement les effets de la pandémie, présente un déficit de 12,3 Mds CAD (8,3 Mds €). La province avait connu des surplus budgétaires durant les 5 exercices précédents. La priorité du gouvernement reste la gestion de la crise sanitaire et la relance de l’économie. Ce budget de transition se concentre tout de même surtout sur les missions principales de la province : l’éducation et la santé.

 Perspectives économiques

En 2020, le Québec n’a pas été épargné par la crise sanitaire. Dans les documents budgétaires, la contraction du produit intérieur brut (PIB) réel est estimée 5,2 % pour l’ensemble de l’année 2020. Après d’importants reculs de l’activité économique en mars et avril 2020, l’économie du Québec semble avoir retrouvé le chemin de la croissance : le PIB réel devrait progresser de 4,2 % en 2021 et de 4,0 % en 2022 selon les prévisions du ministère des Finances. La croissance réelle de moyen terme tendra ensuite vers 1,5 % annuellement.

Selon le ministre des Finances, le Québec ressentira encore plusieurs années les effets de la crise et aura un écart de production à combler. Ainsi, en 2025, le PIB réel du Québec sera inférieur de 1,3 % au niveau prévu à la même période lors du budget 2020-2021. En 2019, le taux d’emploi avait atteint un sommet à 61,5 %. La crise ensuite sanitaire a fait reculer le taux d’emploi à 50,1 % en avril 2020. Malgré une remontée, le taux d’emploi se situe à 59,5 % en février 2021. La crise sanitaire a aussi fait reculer la productivité de 0,4 % en 2020. Elle devrait augmenter en moyenne de 1,3 % par année de 2021 à 2023. À moyen terme, de 2024 à 2025, l’amélioration de la productivité serait le principal levier de la hausse du PIB réel.

 Cadre budgétaire

Le cadre budgétaire pour les 7 exercices financiers à venir reflète bien l’ordre de priorité des prochaines années mis en avant par le ministre des Finances :

  1. Vaincre la pandémie en 2021
  2. Retrouver le plein emploi en 2022
  3. Fermer l’écart de productivité pour retrouver le plein potentiel économique du Québec en 2025
  4. Retrouver l’équilibre budgétaire en 2027-2028

Pour 2021- 2022, les revenus budgétaires prévus sont de 122,6 Mds CAD (80 Mds €) alors que les dépenses totales (incluant les versements au Fonds des générations et la provision pour risques économiques) augmentent à 134,9 Mds CAD (88 Mds €). Le déficit atteindra donc 12,3 Mds CAD (8 Mds €).

Source de revenus du gouvernement du Québec

Dépenses du gouvernement du Québec

Source : Budget du Québec 2021 [2]

 

On peut noter que, fidèle à sa promesse électorale, le gouvernement a choisi de ne pas augmenter le fardeau fiscal des Québécois malgré la hausse des dépenses.

Avec l’augmentation de l’endettement, le service de la dette progresse de 12,4 % en 2021-2022. La part des revenus consacrée au service de la dette demeurera cependant à un niveau historiquement bas à moins de 7 % alors qu’elle avait pu atteindre 12,9 % en 2002-2003.

 Mesures clés

Le budget 2021-2022 annonce 15 Mds CAD (10 Mds €) de nouvelles initiatives entre 2020-2021 et 2025-2026 pour renforcer le système de santé, appuyer la réussite scolaire, accélérer la croissance et la transition vers la nouvelle économie. De ces initiatives, 69 % visent à renforcer le système de santé dont les besoins criants ont été exacerbés par la pandémie. Plusieurs mesures peuvent intéresser les acteurs français :

  • Mesure fiscale pour l’économie numérique – taxes de vente : Le Québec harmonisera le régime de la taxe de vente du Québec (TVQ – équivalent de la TVA au Québec) aux annonces fédérales de l’automne 2020. Il sera obligatoire de percevoir la TVQ, si l’entreprise perçoit aussi la taxe sur les produits et services (TPS) fédérale. La TVQ sera appliquée aux biens corporels achetés sur des plateformes numériques étrangères mais livrés à partir d’entrepôts au Canada. De même la TVQ sera dorénavant perçue sur les logements fournis au Québec par l’entremise d’une plateforme numérique (Airbnb par exemple). Il est prévu que ces mesures rapportent des revenus supplémentaires de 811 M CAD (530 M €)  sur 5 ans.
  • Réduction du taux d’imposition des PME au même niveau que celui de l’Ontario : Depuis le 1er janvier 2021, toutes les PME admissibles à la déduction pour petite entreprise (DPE) du Québec bénéficient, sur leurs premiers 500 000 dollars (320 000 €) de revenus imposables, d’un taux d’imposition préférentiel de 4,0 %, grâce à la déduction pour petite entreprise. Dans le cadre du budget 2021-2022, le gouvernement annonce une réduction de 4,0 % à 3,2 % du taux d’imposition sur le revenu pour l’ensemble des PME admissibles à la DPE, soit le même niveau que celui de l’Ontario.
  • Bonification temporaire du crédit d’impôt à l’investissement et innovation (C3i) : Afin d’encourager les entreprises à accélérer leurs projets d’investissement dans les nouvelles technologies, le gouvernement annonce que les taux du C3i seront doublés jusqu’au 31 décembre 2022 afin de permettre l’accélération de la numérisation des processus de production et de gestion et de favoriser la modernisation des équipements manufacturiers pour accroître l’automatisation.
  • Bonification du Plan québécois des infrastructures (PQI) : Le PQI planifie les investissements du Québec sur un horizon de 10 ans. Le PQI 2021-2031 s’élève à 135 Mds CAD (88 Mds €)  (bonification de 4,5 Mds CAD (3 Mds €) par rapport à 2020-2030) et 57 % des investissements en infrastructures sont planifiés dans les cinq premières années. C’est le réseau routier qui obtient la plus grande part avec 25,4%, 21 % sont consacrés à l’éducation/enseignement supérieur (rénovation et construction d’écoles) 19,1 % au secteur de la santé et des services sociaux et 9,8 % pour des infrastructures de transport collectif.
  • Filière Hydrogène : Investissement de 20 M CAD (13 M €) pour soutenir le déploiement de la première stratégie québécoise de l’hydrogène vert et des bioénergies.  
  • Aérospatiale : le budget prévoit 95 M CAD (62 M €)  sur 3 ans pour renouveler la Stratégie québécoise de l’aérospatiale. Réalisé en collaboration avec la grappe sectorielle Aéro Montréal et les acteurs de l'écosystème, cet exercice devrait permettre d'accélérer la transformation verte de l'industrie, sa diversification vers de nouveaux produits et procédés et le renforcement des chaînes de valeur pour qu'elles deviennent plus compétitives à l'international.

  Gestion des finances publiques et de la « dette Covid »

Le Québec s’est doté depuis la fin des années 90 de lois budgétaires strictes entourant la gestion des déficits publics et du remboursement de la dette. Profitant d’une très bonne situation économique, la province a assaini ses finances publiques (surplus budgétaires annuels et dette inférieure à 45 % du PIB) et est entrée dans la crise avec une certaine marge de manœuvre pour soutenir l’économie et le secteur de la santé (la santé et l’éducation sont les deux grandes responsabilités des gouvernements provinciaux au Canada).

Solde budgétaire : Le coût total de la pandémie pour le Québec oscillera autour de 30 Mds CAD (20 Mds €), a indiqué le ministre des Finances, après une année marquée par « des pertes massives d’emplois et un énorme stress financier pour beaucoup d’entreprises et de Québécois ». L’année 2020-2021 s’achèvera avec un déficit public de 15 Mds CAD (10 Mds €) ou 12 Mds CAD (8 Mds €) avant les versements au Fonds des générations (soit 2,7 % du PIB). Les déficits avant les versements au Fonds des générations devraient atteindre 9,2 Mds CAD (6 Mds € ; 2,0 % du PIB) en 2021-2022 et 5,3 Mds CAD (3,5 Mds € ; 1,1 % du PIB) en 2022-2023, en tenant compte des provisions pour risque (1,3 Md CAD (0,8 Md €)) par an.

Dette : La dette brute devrait s’établir à près de 219 Mds CAD (143 Mds €) au 31 mars 2021, en croissance de 10,1 % par rapport à l’année précédente. Évidemment, cette progression est majoritairement attribuable au déficit de 15 Mds CAD (10 Mds €) en 2020-2021. Les versements au Fonds des générations sont appliqués à l’encontre de la dette. Le ratio de la dette brute au PIB atteindra 47 % au 31 mars 2026, ne permettant pas l’atteinte des objectifs de la Loi sur la réduction de la dette et instituant le Fonds des générations (45%). Il en va de même du ratio de la dette représentant les déficits cumulés au PIB qui atteindra 24,1 % (l’objectif étant de 17%).

Evolution de la dette brute au 31 mars

Source : Budget du Québec 2021 [2]

 

Plutôt que de prendre le risque de compromettre la reprise, le gouvernement a donc décidé de suspendre temporairement la Loi sur l’équilibre budgétaire qui l’oblige normalement à retrouver l’équilibre budgétaire en 5 ans après un exercice déficitaire. Le ministre vise ainsi maintenant un retour à l’équilibre en 7 ans avec un déficit structurel à résorber de 6,5 Mds CAD (4,4 Mds €) et continue tout de même d’alimenter le Fonds des générations destiné à réduire la dette. La Loi sur la réduction de la dette et instituant le Fonds des générations devra certainement aussi être révisée partiellement puisque les cibles prévues dans la loi pour 2025-2026 (dette brute à 45 % du PIB et dette représentant les déficits cumulés à 17 % du PIB) ne pourront probablement pas être atteintes (prévisions respectives : 47,9 % et 25,6 %).

 

 

 

[1] Taux de change utilisé : taux annuel 2020 de la Banque du Canada : 1 € = 1,5298 CAD

[2] Documentation : Documents budgétaires complets du Gouvernement du Québec : http://www.budget.finances.gouv.qc.ca/budget/2021-2022/

Analyse de la Chaire de recherche en fiscalité et finances publiques de l’Université de Sherbrooke : https://cffp.recherche.usherbrooke.ca/regard-sur-le-budget-du-quebec-2021-2022/