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Zoom de la semaine : Situation économique et financière de la Biélorussie 

Appartenant à la tranche supérieure des pays à revenu intermédiaire (PIB par habitant de 6 658 USD en 2019), la Biélorussie connaissait un ralentissement de son activité avant 2020 du fait en particulier d’un modèle économique fragilisé par la « manœuvre fiscale » de la Russie. La Biélorussie, qui n’a pas pris de mesures sanitaires significatives en réponse à la crise de la Covid 19, a connu un recul limité de l’activité en 2020. Néanmoins les conséquences de la crise politique toujours ouverte exposent la Biélorussie à des risques macroéconomiques très significatifs et les options de politique économique sont fortement contraintes. Selon la Banque mondiale et le FMI, la récession de 2020 se prolongera en 2021.

 1/Un modèle économique fragile et en déclin. L’économie de la Biélorussie est tendanciellement en ralentissement (voir graphique 1). La croissance du PIB a été de 7,3% en moyenne entre 2000 et 2010 mais de 0,9% en moyenne depuis lors. L’expansion de l’économie biélorusse est notamment freinée par une emprise considérable de l’Etat qui atteint, à titre d’exemple, 70% en matière de production industrielle. Le poids de l’Etat et des entreprises publiques freine la concurrence, l’investissement, l’innovation et partant la progression de la productivité et du niveau de vie. Selon une étude du FMI, la Biélorussie est, parmi les pays d’Europe centrale, orientale et du Sud-Est, celui qui compte le plus grand nombre d’entreprises d’Etat par million d’habitants. Ces dernières représentaient en 2016 environ un tiers de l’emploi total et de la valeur ajoutée produite. En 2016, leur valeur ajoutée par employé et leur rentabilité était respectivement inférieure de plus de 40% et 70% à celles des entreprises privées.

Figure 1. Évolution du PIB (ga, %)

 Figure 1

Le cycle économique biélorusse est très fortement corrélé à celui de la Russie. L’économie biélorusse est caractérisée par une très forte ouverture commerciale (taux d’ouverture de presque 70%) qui reflète un très haut degré d’intégration avec la Russie (la Biélorussie est également membre de l’Union économique eurasiatique). En 2020 la Russie absorbait 45% des exportations biélorusses et fournissait 50% des importations biélorusses. En outre, l’initiation d’une « manœuvre fiscale »[1] par la Russie à partir de 2019 réduit progressivement les bénéfices directs et indirects que la Biélorussie tirait d’un pétrole vendu à prix avantageux.     

2/Un recul limité de l’activité en 2020 mais une montée des vulnérabilités. En 2020, malgré l’environnement extérieur dégradé (interruption des livraisons de pétrole de la Russie en début d’année, pandémie de Covid 19, récession en Russie, baisse des cours pétroliers), la conjoncture biélorusse a relativement bien résisté, le recul du PIB s’établissant à -0,9%.  La demande interne est restée dynamique en l’absence de mesures sanitaires restrictives en réponse à la crise de la Covid 19, qui a pourtant touché fortement le pays et dans un contexte de forte progression des salaires, notamment publics (en 2020, les salaires réels ont progressé de 8,2% en g.a.).

Le contexte politique qui prévaut en Biélorussie depuis le second semestre 2020 et particulièrement après la tenue des élections présidentielles d’août 2020 a conduit à une forte dépréciation du rouble biélorusse (qui est en flottement contrôlé), qui s’est ajoutée à celle occasionnée par la crise du Covid, essentiellement au premier trimestre 2020. Depuis début 2020, le rouble biélorusse a perdu 32% de sa valeur par rapport à l’euro et 24% par rapport au dollar. Cette pression sur le change pose un triple défi : (i) Le pays (gouvernement, entreprises, banques) est lourdement endetté en devises. La dette externe totale du pays (quasi exclusivement libellée en devises) atteint 70,2% du PIB début 2021 (+ 7 point sur un an) ce qui expose le pays à un risque de change significatif ; (ii) le système bancaire est fortement « dollarisé ». Fin 2020, 49% des prêts et 64% du passif des banques étaient libellés en devises. Depuis le mois d’août 2020, les dépôts en devises des particuliers au sein des banques ont baissé d’environ 1,4 Md USD ; (iii) L’inflation est repartie à la hausse. Sur la période récente, on a noté une très nette accélération de l’inflation qui a atteint 8,5% en mars 2021 alors qu’elle était encore de 5,2% en juin et juillet 2020.    

Les réserves internationales du pays ont connu en 2020 une diminution significative et atteignent désormais un niveau très bas. Au 1er avril 2021, les réserves de change s’élevaient à 6,9 Md USD – soit une baisse de 10,9% en g.a. –couvrant un peu plus de 2 mois d’importations. Depuis août 2020 et le déclenchement de la crise politique, les réserves internationales ont diminué d’environ 2 Md USD, dont 1,4 Md pour les réserves de devises

Le contexte politique actuel fragilise aussi l’économie réelle en détériorant le climat des affaires et la confiance des acteurs, notamment dans le secteur IT qui constituait un relais de croissance important (mais apport de 0,5 point de croissance en 2019) et qui pourrait souffrir d’une fuite des talents et d’une baisse des investissements. De la même manière, les menaces de sanctions internationales et la suspension des nouveaux programmes de prêts souverains des IFI, en particulier européennes, sont des sources de fragilité supplémentaires pour l’économie.

3/Des perspectives économiques très mitigées en raison notamment d’une politique macroéconomique sous forte contrainte. L’économie Biélorussie est caractérisée des déficits « jumeaux » (courant et public) alors même que les réserves internationales s’épuisent et que les possibilités de financement externe sont fortement réduites. La Biélorussie connait des déficits courant (- 0,4% du PIB en 2020) et budgétaire (- 1,4% du PIB en 2020) et a donc un besoin de financement externe. Si la dette publique de l’Etat biélorusse reste assez faible, à 38,4% du PIB au 1er mars 2021, la dette publique au sens large atteint 48% du PIB en 2020 selon le FMI (45% pour la seule dette externe), en hausse de 7 points en un an. La dette externe totale du pays est quant à elle de 70% du PIB début 2021 (en hausse de 7 points en un an). Par ailleurs les possibilités de financement externe sont fortement limitées : les principaux bailleurs de fonds multilatéraux ont gelé dans le contexte actuel toute possibilité de financement souverain et les marchés financiers sont une option actuellement trop coûteuse. Actuellement, seule demeure pour l’essentiel la possibilité d’obtenir des financements de la Russie, pays qui est déjà le principal créditeur de la Russie. Celle-ci a octroyé en septembre 2020 un refinancement d’1,5 Md USD à la Biélorussie, permettant une stabilisation macro-financière de court terme.  

 La demande interne (consommation et investissement), qui risque de s’essouffler en raison notamment de l’incertitude ambiante et de l’inflation, ne pourra pas être soutenue, au risque d’accroître les déséquilibres externes actuels et les pressions sur le change. Le 14 avril 2021, la Banque nationale de la République de Biélorussie a ainsi annoncé le relèvement de son taux directeur à 8,5% (+75 pdb) à compter du 21 avril. En matière budgétaire, les autorités ont récemment annoncé des mesures de consolidation budgétaire (hausses d’impôts).

Le modèle biélorusse est plus que jamais sous pression. Les chocs économiques et politiques de 2020 ont été absorbés au plan externe grâce au soutien « en dernier ressort » de la Russie et au plan interne à la fois par des hausses de salaires (notamment dans le public) et une distribution de crédits aux entreprises privées et publiques extrêmement dynamique (graphique 2). Dans une économie à croissance faible, et compte tenu de la fragilité du secteur public, cette forte augmentation de l’endettement du secteur des entreprises publiques (qui atteint 15% du PIB) peut constituer un important facteur de fragilité pour le secteur bancaire et pour les finances publiques du pays. In fine, toute faillite de grande ampleur nécessiterait un sauvetage supplémentaire de la part de la Russie, accroissant la dépendance biélorusse.

Dans ce contexte, les institutions financières internationales anticipent que la Biélorussie sera à nouveau en récession en 2021. Le FMI table sur un recul du PIB de 0,4% en 2021 suivi d’une reprise de 0,8% en 2022. La Banque mondiale anticipe une récession de 2,2% en 2021 puis une reprise de 1,9% en 2022.   

Figure 2. Evolution du crédit aux entreprises (ga, %) 

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 [1] La « manœuvre fiscale » de la Russie consiste à passer graduellement d’ici à 2024 d’un système de taxation des exportations d’hydrocarbures à un système de taxation de la production