Le Canada est marqué par l’importance des barrières non tarifaires et la faiblesse des flux commerciaux entre ses treize provinces et territoires. Des efforts ont été réalisés par les gouvernements fédéral et provinciaux afin de libéraliser le commerce, notamment à travers l'Accord de Libre-Echange Canadien (ALEC), fortement inspiré de l’AECG-CETA. Des limites importantes demeurent toutefois, entravant le développement des entreprises, canadiennes et étrangères, sur l’ensemble du territoire.

1- De nombreuses barrières non tarifaires au commerce interprovincial

S’il n’existe pas de droits de douanes sur les échanges entre ses 13 provinces et territoires, le Canada présente quatre principaux types de barrières non tarifaires au commerce interprovincial selon le FMI : 1) le pays, le 2e plus grand au monde en termes de superficie avec près de 10 millions de km², soit deux fois l’Union Européenne, est affectée par une barrière géographique liée à la distance entre les acteurs économiques ; 2) les provinces et territoires disposent de restrictions commerciales propres, comme celle liée à la vente de boissons alcoolisées, réservée à un monopole provincial ; 3) il existe de nombreuses barrières réglementaires entre provinces, chacune disposant de standards techniques propres ; 4) les échanges sont également impactés par des barrières administratives, notamment en matière de permis et d’autorisations. A ces barrières peuvent s’ajouter les différences culturelles entre les habitants de différentes provinces. Les barrières seraient équivalentes à des droits de douane estimés entre 7% (Statistiques Canada) et 20% (FMI), et leur levée permettrait un gain de PIB de 4% et de générer 20 Mds CAD (13,5 Md€) de revenus fiscaux supplémentaires.

Ces faits sont confirmés statistiquement, puisque les provinces échangent davantage à l’international qu’entre-elles. En 2017, année des dernières données disponibles du commerce interprovincial, les provinces ont échangé entre elles des marchandises à hauteur 385 Md CAD (260 Md€), soit à peine plus de la moitié par rapport à ce qu’elles ont exporté (672 Md CAD/ 450 Md€) à l’international (cf. Annexe 1). Les exportations intra-canadiennes ne représentaient ainsi que 36% des exportations totales des provinces en 2017 : à titre de comparaison, les exportations intra-UE représentaient 59% du total des exportations des Etats Membres de l’UE en 2019. Cette tendance est même en voie d’accélération : la part du commerce interprovincial atteignait encore 54% il y a 40 ans.

 

2- Un accord de libre-échange canadien visant à libéraliser le commerce

Dans un effort de libéralisation du commerce interprovincial, les gouvernements fédéral et des 13 provinces et territoires du Canada ont entamé des négociations en décembre 2014, pour moderniser l’Accord sur le commerce intérieur (ACI) datant de 1995. Ces négociations, qui répondent à l’engagement du Conseil de la Fédération regroupant les Premiers Ministres des provinces et territoires canadiens, se fondent sur une série d’arrangements commerciaux préexistants entre plusieurs provinces, comme le « New West Partnership » entre la Colombie-Britannique, l’Alberta, le Saskatchewan et le Manitoba initié en 2010, ou l’accord de commerce et de coopération entre l’Ontario et le Québec entré en vigueur en 2009. Les négociations ont été également largement inspirées sur celles de l’AECG-CETA avec l’Union Européenne, qui se déroulaient en parallèle. Les autorités canadiennes souhaitaient en effet établir une cohérence afin que les entreprises canadiennes aient le même accès au marché canadien que celui offert aux entreprises étrangères.

Le nouvel Accord de libre-échange canadien (ALEC), entré en vigueur le 1er juillet 2017, vise à réduire les obstacles à la libre circulation, des produits, des services, des investissements et de la main d’œuvre à l’intérieur du Canada, ainsi qu’à établir un meilleur accès aux marchés publics et une plus grande coopération réglementaire. Cet accord (cf. Annexe 2) est un tournant dans le commerce entre les provinces dans la mesure où, contrairement à l’ACI précédent, il est basé sur la méthode de liste négative : l’ensemble des flux de biens, de services, d’investissement et de travailleurs ainsi que les marchés publics sont libéralisés par défaut, sauf exceptions listées en annexe de l’accord. L’ALEC permet également la création d’une table de conciliation et de coopération réglementaire (TCCR) visant à lever les barrières réglementaires au commerce intérieur : la TCCR a ainsi permis l’harmonisation d’une dizaine de réglementations provinciales depuis sa création (cf. Annexe 3). Enfin, le mécanisme de règlement des différends a également été renforcé, avec le doublement de sanctions financières envers les provinces ne respectant par l’accord pouvant aller jusqu’à 10 M CAD (6,7 M€).

 

3- Les limites encore existantes pénalisent les entreprises canadiennes et étrangères

Malgré les avancées importantes obtenues avec l’ALEC, le commerce intérieur canadien dispose encore de nombreuses limites. Ainsi, chaque province a la possibilité d’inscrire en annexe de l’accord une liste de secteurs faisant l’objet d’exceptions au regard des dispositions libéralisant le commerce, l’investissement et l’accès aux marchés publics. Si l’avantage réside dans le fait que la liste des barrières est connue, l’inconvénient est qu’elles sont particulièrement nombreuses.

Parmi les principales limites, le commerce de boissons alcoolisées est particulièrement réglementé. Chaque province dispose d’un monopole gérant l’importation et la vente des boissons alcoolisées, empêchant leur libre circulation sur le territoire canadien, et imposant ainsi des limites au développement commercial des entreprises canadiennes, mais aussi aux entreprises étrangères, notamment françaises. En effet, le vin est le premier produit français exporté au Canada, qui est par ailleurs le 5e marché mondial pour le vin français. Si l’ALEC a entrainé la création d’un groupe de travail sur le sujet et l’établissement d’un plan d’action (cf. Annexe 4), la plupart des provinces ne souhaitent pas voir ce secteur, source de revenus et vecteur de l’identité provincial, davantage libéralisé.

L’autre principale barrière concerne la mobilité professionnelle. Selon l’ALEC, les qualifications professionnelles accréditées dans une province d’origine pour l’exercice d’une profession peuvent être reconnues pour toute autre province, sans exigence supplémentaire significative de formation, ou d’évaluations, sauf exceptions – peu nombreuses dans ce cadre, hormis au Québec. Si un groupe de travail a également été créé pour assurer l’application du chapitre sur la mobilité du travail de l’ALEC, la limite concerne ici l’insuffisante reconnaissance de leur expérience professionnelle, chaque nouvelle accréditation étant octroyée par l’association professionnelle compétente au niveau provincial. Ce manque de reconnaissance limite, dans certains cas, la gestion de projets ou la signature de contrats.

 

Conclusion: le commerce intérieur canadien est un sujet politique, emblématique de la concurrence entre les gouvernements provinciaux et le gouvernement fédéral sur leurs compétences et prérogatives. Si l’ensemble des acteurs s’entendent pour dire que la situation n’est pas aussi mauvaise que par le passé grâce à l’ALEC, de nombreuses critiques sont émises dans les milieux économiques : ils appellent à une plus grande libéralisation du commerce interprovincial pour œuvrer à la diversification commerciale voulue par le Canada et réduire la dépendance américaine.