L’ambitieux plan de soutien économique permettra-t-il au Salvador de sortir de la récession ?

 

Résumé : les mesures de confinement mises en place dès le début de la pandémie ont permis au Salvador de limiter la propagation du COVID-19, au détriment de la croissance économique. Ainsi, le pays devrait avoir connu une récession de l’ordre de 9% du PIB en 2020, selon le FMI. A ce stade la reprise en 2021 s’avère assez incertaine et dépendra de la réactivation des échanges commerciaux et des effets du plan de soutien de l’économie évalué à près de 8% du PIB. Ce plan, entièrement financé par la dette, est cependant susceptible de peser sur les finances publiques, que le gouvernement salvadorien essaye d’assainir depuis plusieurs années.

 

Le Salvador a rapidement mis en place des mesures fortes pour limiter la propagation du virus

Comme tous les pays d’Amérique centrale, le Salvador a été fortement impacté par la pandémie du COVID-19 : il compte 58 023 cas confirmés et 1 767 décès au 17 février 2021. Cependant, le pays a réagi très rapidement face à l’arrivée du virus : il fut notamment le premier pays du continent à fermer ses frontières dès le 11 mars, avant même le recensement du premier cas. Le gouvernement a ensuite déclaré l’état d’urgence nationale le 14 mars qui a, entre autres, limité la circulation des personnes dans le pays, suspendu les classes, les activités non-essentielles et les transports publics. Ces mesures sont restées en vigueur jusqu’en juin avec un plan de sortie du confinement progressif puis total à partir du 24 août, lorsque la Cour suprême de justice a déclaré inconstitutionnel le plan de déconfinement en quatre phases au motif qu’il violait les droits individuels de la population.

Grâce à ces mesures, le pays a réussi à limiter la propagation du virus. Alors même que le Salvador est le pays le plus densément peuplé d’Amérique centrale, très urbanisé et qu'il constitue une plaque tournante régionale du transport aérien (hub régional d’Avianca), le Salvador est l'un des pays d'Amérique centrale où le virus s'est propagé le plus lentement. Il compte notamment moins de morts par million d’habitants que ses voisins du triangle nord (244 au Salvador contre 349 au Honduras et 303 au Guatemala).

Toutefois, ces mesures ont un impact économique important : alors que le pays avait atteint une croissance moyenne de +2,4% depuis cinq ans, la Banque mondiale anticipe une récession de l’ordre de 8,7% pour 2020. Outre les effets directs du confinement, l’économie salvadorienne devrait également souffrir du ralentissement mondial et en particulier de l’économie des Etats-Unis. Le Salvador devrait ainsi être le troisième pays le plus affecté par la crise économique engendrée par le COVID-19 de la zone, après le Honduras (-9,7% du PIB en 2020, suite également aux effets dévastateurs des ouragans Eta et Iota) et le Panama (-8,1% du PIB, en conséquence du ralentissement des échanges mondiaux). Le FMI s’attend ainsi à une baisse de 30% des exportations en 2020 (face à une baisse de l’ordre de 16,9% des importations). Par ailleurs, les envois de fonds des salvadoriens résidant à l’étranger ont connu une hausse de 4,8% en 2020 (à 5,9 Mds USD, soit 23% du PIB), ce qui a permis d’atténuer partiellement la baisse de la consommation des ménages.

Après une diminution considérable de la pauvreté[1] au cours de la période 2008-2018 (réduction de 43,8% à 26,2%), le Salvador devrait connaître une augmentation de ce taux en 2020 en raison de la COVID-19. La Banque mondiale prévoit ainsi une augmentation de la pauvreté à 29,7% en 2020 et de l'extrême pauvreté[2] à 9,1 % (contre 7,9 % en 2018). Ainsi, près de 49 000 ménages supplémentaires pourraient tomber dans la pauvreté en 2020. Les inégalités devraient également augmenter (d’un coefficient Gini de 0,386 en 2018 à 0,396 à fin 2020). De mai à juin 2020, deux tiers des ménages salvadoriens ont signalé une réduction significative de leurs revenus, et 16 % des personnes âgées de 18 ans ou plus ont perdu leur emploi au cours de la même période, dans un pays où le secteur informel concerne 70% de la population active.

Le gouvernement a mis en place un plan de relance ambitieux à hauteur de 8% du PIB

Pour faire face aux conséquences économiques de la crise, le gouvernement a rapidement mis en place un plan ambitieux de soutien : l’Assemblée législative a approuvé dès la fin du mois de mars un ensemble de mesures d'aides proposées par le gouvernement et la création d'un Fonds d'urgence, de redressement et de reconstruction économique (FERRE) d'un montant maximum de 3 Mds USD (8 % du PIB), pour financer toutes les dépenses liées à la COVID-19. Les principales mesures concernent : (i) l'exonération des droits d'importation sur certaines catégories de biens ; (ii) la suspension temporaire du paiement de services tels que l'eau, l'électricité et les télécommunications[3] ; (iii) le transfert unique de 300 USD aux familles à faible revenu qui ont perdu leur source de revenu[4] ; (iv) le versement d'une prime unique de 150 dollars USD aux employés publics exerçant des missions essentielles ; et (v) la prolongation de la date limite de paiement de l'impôt sur le revenu de 2019 pour plusieurs types de contribuables. Depuis, le gouvernement a annoncé une nouvelle série de mesures : subvention aux salaires maintenus dans les entreprises de moins de 100 salariés ; crédits concessionnels aux entreprises et des paniers alimentaires pour 1,7 M de foyers.

Cependant, le pays a dû recourir à l’endettement extérieur à hauteur de 1 Md USD (soit 3,7 points de PIB) sur les marchés internationaux pour se financer. Le FERRE devrait essentiellement être financé par l’émission de titres ou par des prêts de bailleurs internationaux. Les élections législatives du 28 février ayant apportées une majorité au parti présidentiel, certains prêts jusqu’à présent en cours de vote au Parlement pourraient voir leur procédure d’approbation accélérée, et ainsi permettre une mise en œuvre effective des projets prévus par les bailleurs.

Des perspectives incertaines pour le Salvador à ce stade.

En avril 2020, le FMI a validé une demande d'aide d'urgence pour le Salvador dans le cadre de l'instrument de financement rapide (IFR). Le FMI souligne que le Salvador devrait entreprendre la consolidation de la dette publique, en visant un excédent budgétaire primaire de 3,5% du PIB d’ici fin 2024 et une dette publique atteignant 60 % du PIB d'ici 2030. Le FMI a également suggéré qu'une combinaison de mesures visant à augmenter les recettes et réduire les dépenses publiques serait nécessaire pour atteindre ces objectifs.

En tout état de cause, après une stabilisation des niveaux de dette publique ces dernières années, le FMI anticipe une forte augmentation de la dette publique de près de 20% du PIB pour atteindre 89% du PIB en 2020 (contre 69,4% en 2019). Le solde budgétaire global pour 2020 devrait également se détériorer après trois années consécutives d’excédent primaire, à environ -8,8% du PIB, principalement en raison de l'augmentation des dépenses liées à la COVID-19 et de la perte de recettes fiscales (près de 2% du PIB soit 973 M USD). Cette situation a amené l’agence Moody’s à abaisser début février de stable à négative sa notation souveraine (B3) pour le Salvador.

Malgré la récente émission d'obligations sur les marchés, les problèmes de financement du Salvador demeurent importants. Les dernières obligations, de l’ordre de 1 Md USD à 32 ans, ont été émises à un taux de 9,5%, ce qui représente une augmentation de la charge de la dette pour les années à venir (en juillet 2019 le Salvador avait émis des obligations souveraines à 30 ans pour un taux de 7,125%). La charge croissante des intérêts de la dette et les limites en termes de financement domestique illustrent à quel point le Salvador pourrait voir sa marge de manœuvre budgétaire réduite pour les années à venir. L’arrivée à échéance de 800 MUSD d’obligations internationales en janvier 2023 constituera à cet égard une période particulièrement risquée pour les finances du pays.

En outre, du fait d’une saison des ouragans très active en 2020, le Salvador a été frappé par la tempête tropicale Eta et l’ouragan Iota en l’espace de deux semaines : selon le rapport du Bureau de la coordination des affaires humanitaires (BCAH), près de 2600 personnes ont été évacuées et deux personnes sont décédées. Cependant, le Salvador a été moins affecté par ces phénomènes climatiques que ses voisins. Ainsi, les productions agricoles ont été épargnées, bien que certaines régions du pays aient enregistré des vents violents, des glissements de terrain mineurs et l’endommagement d’infrastructures. Malgré les interventions humanitaires des ONG dans les régions touchées par les ouragans, les conséquences en termes de reconstruction et d’aides aux communautés affectées devraient légèrement alourdir le déficit budgétaire du pays pour l’année 2020. 

Toutefois, le FMI anticipe un rebond du PIB de 4% pour 2021, alimenté par la reprise économique rapide des Etats-Unis, la croissance des remesas et le soutien fiscal du gouvernement. Par ailleurs, le compte courant du Salvador devrait rester fortement déficitaire dans les années à venir (au-dessus de 4% du PIB) du fait du déficit commercial récurrent qui n’est pas comblé par l’afflux de remesas et d’IDE. De plus, bien que la dollarisation complète de l’économie ait permis de maintenir une inflation sous contrôle, elle grève la croissance du pays par une perte de compétitivité des exportations. Ainsi, en 2019 le taux d’inflation annuel a atteint 0,07 % et en 2020 celui-ci devrait être de 0,2%, avant d’atteindre 1,1% en 2021, toujours à un niveau très bas. Le gouvernement prévoit également de lancer le programme de vaccination contre la COVID-19 au premier semestre 2021 (Covax prévoit à ce stade que le Salvador devrait recevoir 375 480 doses d’ici juin 2021, ce qui permettrait de vacciner environ 5,8% de la population).


[1] Les mesures approuvées par le Président Bukele s'appliquent aux personnes physiques ou morales « directement » touchées par la pandémie de COVID-19.

[2] D’après la Banque mondiale, grâce à cette aide, l'impact sur la pauvreté pourrait être réduit de près de trois points de pourcentage, à condition que les transferts d'argent soient parfaitement ciblés.

[3] Sur la base d'un seuil de pauvreté de 5,5 USD PPP par personne et par jour.

[4] Sur la base d'un seuil d’extrême pauvreté de 3,2 USD PPP par personne et par jour.