Fin 2020, le gouvernement britannique a annoncé la mise en place prochaine de deux dispositifs renforçant le cadre réglementaire pour les grandes plate-formes numériques.

Fin 2020, le gouvernement britannique a annoncé la mise en place prochaine de deux dispositifs renforçant le cadre réglementaire pour les grandes plate-formes numériques : un projet de loi sur les contenus préjudiciables en ligne et la création d’une nouvelle autorité de régulation des marchés numériques. Ce nouveau cadre, présenté peu avant les propositions de Digital Services Act et de Digital Markets Act de la Commission européenne, a été généralement bien accueilli par le secteur.

Le RU a mis en place un cadre réglementaire pour les plate-formes numériques
La Digital Market Unit vise à assurer une meilleure concurrence sur les marchés numériques

Le gouvernement a annoncé le 27 novembre la création d’une unité spéciale au sein de l’Autorité de la concurrence britannique (Competition and Markets Authority - CMA) – la Digital Markets Unit (DMU), qui aura pour mission de faire appliquer un nouveau cadre de régulation des marchés numériques, dont les lignes directrices ont été publiées par la CMA le 8 décembre. Elle fait suite à l’étude de la CMA sur les plateformes numériques et la publicité en ligne publiée en juillet 2020, qui avait appelé le gouvernement à mettre en place des mesures pour favoriser la concurrence sur ces marchés. Le gouvernement s’est engagé à introduire - après consultation - le nouveau cadre au début de l’année 2021, et à mettre la DMU en place en avril.

Ce régime s’appliquera aux entreprises les plus puissantes (ayant un « statut stratégique de marché »). Des codes de conduite juridiquement contraignants, adaptés à l’activité de chaque entreprise et destinés à encadrer ses comportements ex ante vis-à-vis de ses concurrents et utilisateurs, seront supervisés par la DMU, et leur violation pourra être punie d’amendes allant jusqu’à 10 % du chiffre d’affaires des entreprises. Chaque code déterminera des objectifs (commerce équitable, choix ouverts et transparence), déclinés en principes (obligations de faire ou ne pas faire) et précisés par des lignes directrices, ayant pour but d’encadrer le pouvoir de marché de ces entreprises. Une attention particulière sera accordée au maintien de relations équitables entre les grandes plate-formes et le secteur de l’édition, ainsi qu’à la promotion d’un journalisme de qualité. La DMU pourra également mener des « interventions pro-concurrentielles », par exemple en exigeant l’interopérabilité ou l’ouverture des données à des tiers. Enfin, les entreprises ayant un « statut stratégique de marché » seront tenues de déclarer toutes leurs acquisitions à la CMA ex post et de notifier ex ante celles atteignant un certain seuil, qui ne pourront être réalisées qu’après son accord.  

L’Online Safety Bill crée un « devoir de diligence » pour les prestataires de services numériques

Dans sa réponse, le 15 décembre, à la consultation publique sur l’Online Harms White Paper (datant d’avril 2019), le gouvernement a annoncé la mise en place d’un nouveau cadre réglementaire pour les contenus préjudiciables en ligne, qui prendra effet avec l’adoption de l’Online Safety Bill, attendue pour début 2021. Ce cadre, qui vise à faire du RU « l’endroit le plus sûr au monde pour être en ligne », instaure un « duty of care » (« devoir de diligence »). Il contraint les grandes plateformes d’hébergement de contenu et les moteurs de recherche à retirer et limiter la diffusion des 1) contenus illégaux (terrorisme, pédophilie, etc.) 2) contenus légaux mais dangereux (fausses informations, automutilation, etc.) et 3) contenus dont le visionnage pourrait être préjudiciable aux enfants (violence, pornographie, etc.). Enfin, ces entreprises devront mettre à disposition des utilisateurs des mécanismes permettant de signaler les contenus préjudiciables. Les publicités financières frauduleuses n’ont pas été incluses dans le projet de loi, malgré l’appel en ce sens de l’agence de régulation du secteur financier britannique (Financial Conduct Authority).

Le respect de ce cadre sera contrôlé par l’OFCOM (régulateur des télécommunications), qui pourra imposer des amendes allant jusqu’à 18 M£ ou 10 % du chiffre d’affaires et bloquer l’accès aux sites depuis le RU. Les coûts liés à sa nouvelle mission seront couverts par une redevance versée par les entreprises du numérique dont le chiffre d’affaires dépasse un certain seuil. En outre, le Gouvernement pourra introduire des sanctions pénales envers les dirigeants d’entreprises qui ne répondraient pas aux injonctions de l’OFCOM.

La régulation proposée est globalement bien accueillie par les parties prenantes
Les deux dispositifs mettent en place des exigences proportionnées à la taille des entreprises

La DMU désignera des entreprises au « statut stratégique de marché », définies comme profitant d’« un pouvoir de marché substantiel et bien établi dans au moins une activité numérique ». Google et Facebook en feront vraisemblablement partie : le rapport Online Platforms and digital advertising de la CMA de juillet 2020 avait dénoncé la concentration du marché britannique de la publicité en ligne, ces deux acteurs ayant une part de marché de 80 %.

S’agissant de l’Online Safety Bill, les nouvelles mesures ne s’appliqueront qu’aux entreprises pour lesquelles le risque de préjudice est le plus élevé, soit 3 % des entreprises britanniques selon le Gouvernement, afin d’éviter des coûts disproportionnés à la charge des PME ou de services à « faible risque » (comme les services B2B). De plus, un système à deux niveaux sera introduit : les entreprises en catégorie 1 – définies en fonction de seuils fixés par le Gouvernement – devront, en plus des exigences sur les contenus illégaux et/ou préjudiciables aux mineurs, respecter celles relatives à aux contenus légaux mais dangereux.

Si la DMU est bien accueillie, des pans de l’Online Safety Bill sont critiqués par les parties prenantes

Les associations du secteur numérique comme TechUK ou Tech Nation ont accueilli favorablement l’annonce de la création de la DMU, qui permettra d’offrir un « environnement sain » aux entreprises du secteur et favorisera l’innovation. En ce qui concerne l’Online Safety Bill, elles ont en revanche exprimé leur préoccupation concernant le coût administratif du respect des nouvelles exigences. Selon la Coalition for a Digital Economy (Coadec), ces dernières risquent in fine de profiter aux grandes entreprises « qui ont les moyens de se conformer ». Enfin, si l’Online Safety Bill a reçu un accueil mitigé de la part d’associations de protection de la vie privée, telle que l’Open Rights Group, qui a critiqué le potentiel contrôle de la liberté d’expression (le “duty of care” inclut le contrôle par les entreprises des contenus sur les services de messagerie cryptée et/ou privée), les représentants du secteur de l’édition, comme la Society of Editors, se sont félicités de l’exemption des médias traditionnels de ces nouvelles obligations.

 

Commentaire : Le ministre en charge du numérique, a souligné dans son discours de présentation du nouveau cadre pour les contenus en ligne que les grandes entreprises technologiques devront désormais entrer dans une « nouvelle ère de responsabilité ». Les deux projets ambitieux de régulation des plate-formes numériques présentés en fin d’année étaient attendus par les parties prenantes

Ces initiatives se rapprochent des projets européens présentés le 15/12 : le Digital Services Act, à l’instar de la future Online Safety Bill, a pour objectif d’améliorer les mécanismes de suppression des contenus illicites, tout en adoptant une approche adaptée à la taille des plateformes, et le Digital Markets Act introduit le concept de « contrôleur d’accès » (gate keeper), semblable au concept britannique de « pouvoir stratégique de marché ». 

L’UE et le RU apparaissent ainsi adopter des voies similaires de régulation des Big Tech. Toutefois, si l’accord de commerce et de coopération signé par l’UE et le RU (article DIGIT 16) oblige les deux parties à échanger sur les questions de régulation dans le domaine du commerce numérique, il ne prévoit pas pour autant une étroite coordination dans l’élaboration des règles.