En 2020, les économies du CCEAG ont fait face à un double choc : la crise économique provoquée par la covid-19 et un nouvel effondrement des cours du pétrole dont elles restent largement dépendantes malgré les efforts de diversification de ces dernières années. Les gouvernements de la région ont ainsi vu augmenter leurs déficits et leur endettement à des niveaux historiquement hauts. Si les solides réserves financières et les faibles coûts d’extraction dont disposent l’Arabie Saoudite, les Emirats, le Qatar et le Koweït devraient leur permettre de traverser cette nouvelle crise, la situation est plus incertaine pour le Bahreïn et Oman. Pour tous, la nécessité de préparer la fin du modèle rentier s’est fait plus pressante.

1-        La fin d’un long cycle de croissance

Les six économies qui forment le CCEAG (Arabie Saoudite, Bahreïn, Emirats arabes unis, Koweït, Oman et Qatar) ont connu une forte croissance au cours des dernières décennies (le PIB de la région a été multiplié par plus de 4 entre 2000 et 2019, à 1640 Md USD) alimentée par l’exploitation de leurs réserves d’hydrocarbures. La rente pétrolière a financé de généreux systèmes de redistribution qui ont permis à ces pays d’atteindre des niveaux de développement humain parmi les plus élevés de la région Moyen-Orient Afrique du Nord (IDH moyen à 0,84, PIB par habitant moyen de 33 000 USD en 2019). Ce modèle a été fragilisé par la chute des cours des hydrocarbures depuis 2014 (la croissance a ralenti de 4,7 % en moyenne de 2000 à 2016, à 0,7 % en 2019) et a entrainé une accélération des politiques de diversification – les « visions » – et des réformes des finances publiques.

2-        La crise Covid a entrainé un double choc

En 2020, le CCEAG devrait enregistrer la plus forte récession de son histoire (-6% sur l’année selon le FMI) et la reprise, amorcée à l’été, est pour l’instant timide. La région a fait face à un double choc : une nouvelle chute des cours du pétrole et un effondrement de la demande dans les principaux secteurs de diversification (tourisme, transport notamment).

Le prix moyen du pétrole a baissé de 34 % par rapport à l’année précédente[1]. L’accord OPEP+ d’avril (réduction de 8% de la production mondiale) a permis de limiter cette chute. Après un premier renouvellement en juin, le consensus s’est affaibli début décembre sous la pression des EAU qui ont obtenu que les quotas soient ajustés mensuellement à partir de janvier 2021. Face à un ralentissement inéluctable de la demande mondiale à moyen terme, les pays de la région cherchent tous à exploiter leurs réserves tant qu’elles sont valorisables et continuent à investir pour renforcer leurs capacités de production.

L’activité hors hydrocarbure a souffert également des mesures de restrictions strictes (fermeture des frontières, couvre-feux) et la reprise depuis l’été est timide malgré l’absence de seconde vague jusqu’à présent. La fréquentation des hôtels et des centres commerciaux a fortement chuté au T2 avant de reprendre partiellement au T3 mais reste inférieure à la normale. Hormis en Arabie saoudite qui a triplé sa TVA en juin, l’inflation est négative aux Emirats, au Qatar et à Oman ou limitée au Koweït, reflétant l’attentisme des consommateurs qui n’ont pas bénéficié de mesures publiques de soutien aussi généreuses que dans l’OCDE. Après avoir reculé significativement, les indices d’activité manufacturière (PMI) des principales économies de la région oscillent depuis juin autour de 50 témoignant d’une reprise également ténue pour le secteur. Le PIB hors hydrocarbures devrait ainsi reculer de 5,7% en 2020 à l’échelle du CCEAG.

3-        Des équilibres extérieurs fragilisés

Dans ce contexte dégradé, les pays du Golfe devraient enregistrer en 2020 leur premier déficit courant à l’échelle régionale (-1,8%). Seuls les EAU devraient maintenir un excédent courant (+3,6% du PIB). En cause, la détérioration des échanges de biens et services dont le solde devrait passer de 204 Md USD en 2019 à 69 Md USD en 2020. Les nombreuses émissions obligataires souveraines et non-souveraines (123 Md USD entre janvier et octobre, en hausse de 4 % sur un an) contribuent à équilibrer les balances financières des pays de la région. Elles entraînent une forte hausse de la dette externe, qui devrait atteindre 73,5 % du PIB au niveau du CCEAG, 255 % à Bahreïn, 161 % au Qatar et 121% en Oman pour les plus endettés. L’Arabie saoudite, les Emirats, le Qatar et le Koweït continuent à emprunter à des conditions attractives en raison de leurs importantes réserves de change[2] et de l’ancrage de leurs devises au dollar. Les conditions sont toutefois plus précaires pour Oman et Bahreïn.

4-        La dépendance aux recettes pétrolières limite les marges de manœuvre des gouvernements pour relancer leurs économies

Alors que leurs finances publiques s’étaient améliorées ces deux dernières années, les Etats de la région seront tous en déficit en 2020 : -9,2 % du PIB à eux six, jusqu’à -13,1% et -18,7% pour Bahreïn et Oman respectivement. Les revenus des hydrocarbures continuent à représenter une large portion de leurs recettes budgétaires (jusqu’à 73%), et malgré les efforts, les prix d’équilibre budgétaire du pétrole (jusqu’à 104,5 USD en Oman) restent très supérieurs aux cours actuels. Au niveau régional, la dette publique devrait ainsi passer de 30% à 41% du PIB entre 2019 et 2020.

Pour financer leurs déficits, les gouvernements se sont tournés principalement vers les marchés financiers où ils ont levé 45 Md USD depuis avril. Dubaï a émis pour la première fois depuis 2014. Le reste a été financé par des prélèvements dans les fonds souverains, notamment à Oman et Bahreïn, et des efforts de consolidation budgétaire sous forme de réductions des dépenses (reports des investissements à Bahreïn ou au Qatar par exemple) et de génération de nouveaux revenus (triplement de la TVA en Arabie Saoudite, élargissement des taxes sur les boissons sucrées en Oman). En dépit de ses immenses réserves, le Koweït peine à financer son déficit en raison de l’opposition du parlement à la réforme de la loi sur la dette.

Les mesures budgétaires de soutien face à la crise ont été par conséquent moins généreuses dans le CCEAG que dans les pays développés. Elles ne dépassent pas 2% du PIB à l’échelle régionale et ont reposé pour l’essentiel sur des réductions de prélèvements. Seuls l’Arabie saoudite et le Bahreïn ont opté pour des dispositifs de prises en charge partielles des salaires du secteur privé. Faute de ressources financières, les Etats ont également accéléré les réformes structurelles prévues dans leurs « visions », notamment à l’égard des investisseurs étrangers (fin de l’obligation de partenariat local aux EAU par exemple) susceptibles de soutenir l’activité.

5-        Le secteur financier fléchit mais ne rompt pas

Après s’être consolidé ces dernières années, le secteur bancaire de la Péninsule dispose d’un profil financier relativement solide qui lui a permis, avec l’important soutien des Banques centrales, de traverser la crise sans défaut majeur. La rentabilité a toutefois chuté et la croissance du crédit devrait rester limitée à court terme compte tenu de la faiblesse de la reprise. L’exposition au secteur immobilier et la hausse des prêts non-performants, aux EAU notamment, sont des points de vigilance.

 
Data CCEAG
 
Note financière CCEAG
 
 


[1] Le prix du pétrole brut Dubaï Fateh était de 41,4 USD par baril en moyenne sur les dix premiers mois de l’année, contre 63,1 USD en 2019.

[2] Respectivement 443 Md USD, 97,1 Md USD, 40,4 Md USD et 45,4 Md USD.