Publications des Services économiques

Malgré l’existence d’enjeux climatiques et environnementaux très importants et une prise en compte croissante des problématiques environnementales, sociales et de gouvernance (ESG) par le monde financier et l’industrie, le développement de la finance durable en Russie reste modeste, au vu notamment de l’étroitesse du marché des instruments financiers verts. Cependant le cadre institutionnel est en cours de structuration. La coopération franco-russe en matière de finance durable est un axe de travail complémentaire à la volonté de renforcer les partenariats en matière d’économie verte. Les échanges dans le cadre du CEFIC (Conseil économique, financier, industriel et commercial) se sont poursuivis en 2020 et ont débouché sur l’établissement d’une feuille de route commune.

D’importants besoins de financement associés aux défis posés par les risques climatiques et environnementaux en Russie

  • La Fédération de Russie est l’un des tous premiers producteurs mondiaux de combustibles fossiles, qui constituent 89% de son mix énergétique. La dépendance de la Russie à l’égard de ses ressources en carburants fossiles rend son économie vulnérable à la concurrence internationale, davantage investie dans les programmes contre les changements climatiques. Révélatrice à cet égard est l’attention croissante des milieux d’affaires russes vis-à-vis du projet de l’Union européenne visant à mettre en place un mécanisme d’ajustement carbone aux frontières.
  • Au plan du commerce international, la Russie est un important exportateur de CO2 ce qui la rend vulnérable aux mécanismes d’ajustement carbone aux frontières que pourraient mettre en place ses partenaires commerciaux et notamment l’Union européenne. Selon une étude de la Banque de France[1], la Russie serait le 4ème exportateur mondial de CO2, avec 5% des émissions contenues dans les exports mondiaux, derrière la Chine (24%), les Etats-Unis (7%) et l’Inde (5%)[2]. Le poids de la Russie est très nettement supérieur si l’on utilise une métrique relative : la Russie est le troisième émetteur mondial du point de vue du ratio tonnes de CO2 émises sur valeur des exportations en USD (derrière l’Afrique du Sud et le Kazakhstan mais devant la Chine et l’Inde) ; du point de vue du ratio tonnes de CO2 émises via les exportations/population, la Russie se classe 2ème, derrière l’Allemagne. L’étude précitée montre que les émissions de CO2 de la Russie seraient significativement réduites si le pays adaptait son appareil productif pour le mettre au niveau du niveau d’efficacité moyen mondial.
  • Dans le cadre du plan pluriannuel d’investissement associant public et privé (les « projets nationaux»), une enveloppe de 4 117 Md RUB (circa 45 Mds EUR) sur la période 2019-2024 est consacrée à l’écologie[3]. Les objectifs initiaux de ce projet étaient de mettre fin aux décharges illégales, de développer le recyclage (atteindre un taux de 60% pour les déchets urbains), de baisser de 20% la pollution urbaine, de rendre l’industrie du bois plus durable en replantant 100% des arbres coupés et de restaurer les écosystèmes du Lac Baikal et de la Volga. Il est prévu que ce projet national soit financé à hauteur de 80% par des fonds privés, ce qui constitue un besoin de l’ordre de 37 Mds EUR.
  • Le système financier russe est particulièrement exposé aux risques climatiques et environnementaux. Reflet de la spécialisation industrielle du pays, la structure du secteur financier russe est surpondérée en actifs fortement émetteurs. Cette exposition aux secteurs intensifs en carbone fait peser sur le secteur financier russe d’importants risques physiques et de transition. 

A ce stade, la finance durable demeure peu développée en Russie mais le cadre institutionnel est en voie de structuration

  • Une partie de l’industrie russe fait l’effort de s’adapter aux standards ESG. Des groupes ouverts sur l’international comme Gazprom, Lukoil, Tatneft, Novatek, PhosAgro ou Rusal accordent une attention croissante à leurs politiques environnementales et leur empreinte carbone, poussés par les investisseurs étrangers et le besoin de garder un accès aux marchés internationaux. Ces démarches sont purement volontaires en l’absence de jalons de court terme contraignants imposés par la puissance publique.
  • Le monde de la finance a lui aussi initié un mouvement de verdissement. La bourse de Moscou a lancé en avril 2019 deux indices boursiers de type ESG et a créé un compartiment obligataire « responsable »  en novembre 2019. Les agences de notation locales publient des notes ESG et proposent des évaluations externes aux émetteurs d’obligations vertes. La Banque centrale de Russie a rejoint en décembre 2019 le Central Bank and Supervisors Network on Greening the Financial System (NGFS), dont la Banque de France assure le secrétariat. Dans la foulée de cette adhésion, la Banque de Russie a en mai 2020 publié un document consultatif qui vise à appréhender le degré de prise en compte, par le système financier, des risques climatiques et environnementaux.
  • Le marché russe des instruments financiers verts reste de taille modeste à ce jour. La part des obligations vertes dans le total du marché est inférieure à 0,5% (0,9% du marché des seules obligations d'entreprises). Le principal acteur du marché est RZD, la compagnie ferroviaire russe, qui a émis fin septembre 2020, pour 100 Mds RUB (1,1 Md EUR) d’obligations vertes pour l'achat de locomotives électriques. RZD a également émis deux euro-obligations vertes (500 M EUR en 2019 et 250 M CHF en 2020). De même, Rusal a émis en octobre 2019 un prêt syndiqué d’environ 1 Md USD (avec le concours notamment de Natixis et CACIB), dont le taux d’intérêt est indexé sur des indicateurs de performance environnementale.
  • Le développement de la finance durable en Russie devrait être favorisé par un dispositif institutionnel en cours de structuration. Le ministère du Développement économique est appelé à jouer le rôle de « coordinateur » au plan fédéral.  La VEB (institution financière publique de développement) est en charge des aspects méthodologiques et a publié en 2020 un projet « d’orientation » sur les instruments verts incluant une taxonomie verte[4]. Dans le même temps, la Banque centrale de Russie a mis à jour au printemps 2020 son règlement en matière d’émissions de titres pour insérer des dispositions sur la finance durable. La VEB prévoie en outre de créer une entité à vocation spéciale (special purpose vehicule) permettant aux entreprises d’émettre des obligations vertes avec une garantie souveraine, si le projet est jugé stratégique du point de vue du projet national et respecte la méthodologie de la VEB.


[2] Des données de 2019 de BP confirment cette hiérarchie, avec des parts légèrement différentes : 28,8% pour la Chine, 14,5% pour les Etats-Unis, 7,3% pour l’Inde et 4,5% pour la Russie.

[3] Le plan d’investissement est en cours de reconfiguration en raison des amendements apportés aux objectifs de développement national et au décalage de l’horizon de réalisation