Dette publique : qui va payer ?
Ce texte est paru dans l'hebdomadaire Le 1 n°324 du 25 novembre 2020 >> l'article
La dette publique française pourrait approcher les 120 % du PIB en fin d’année, contre moins de 100 % l’année dernière. Certes, environ la moitié de ce nouvel endettement est liée à la chute du PIB – le dénominateur du ratio d’endettement – ce qui devrait être temporaire. Il reste que l’État a dépensé « quoiqu’il en coûte » pour contrôler l’épidémie et limiter ses effets sur l’économie.
Mais au fait, faudra-t-il rembourser la dette ? La réponse juridique et financière est oui : une dette est un contrat qui doit être honoré. L’Etat ayant la capacité de lever l’impôt, les marchés financiers lui font en général confiance pour honorer ses engagements. En retour, l’État s’appuie sur les marchés pour rembourser ses anciennes dettes en émettant de nouvelles dettes. Les États n’aiment pas faire défaut pour au moins trois raisons. Premièrement, cela rend plus difficile le financement de leurs déficits résiduels. Deuxièmement, les difficultés de financement d’un État en défaut contaminent immédiatement le financement des entreprises. Troisièmement, un défaut fait perdre de l’argent aux épargnants du pays.
Certains proposent que la Banque Centrale Européenne (BCE) « annule » les dettes publiques acquises dans le cadre de ses opérations d’assouplissement quantitatif. Cette annulation, prohibée par le traité, créerait en réalité plus de problèmes qu’elle n’en résoudrait. La BCE a acquis ces obligations souveraines auprès de banques commerciales contre de la « monnaie banque centrale », c’est-à-dire en créditant les comptes qu’elles détiennent auprès d’elle – ce qu’on appelle les réserves des banques. Ces réserves portent actuellement un taux d’intérêt négatif : la BCE est donc rémunérée pour les conserver. Si l’inflation ressurgit (ce qui est souhaitable), la BCE devra remonter ses taux et verser des intérêts sur ces réserves. La méthode normale serait d’utiliser le rendement de son portefeuille pour rémunérer les réserves. Cependant, si les obligations publiques à l’actif étaient « annulées », cette ressource disparaîtrait. Dans ce cas, la BCE devrait soit puiser dans ses fonds propres, soit créer de la « monnaie banque centrale » supplémentaire. Dans le premier cas, elle devrait être recapitalisée par les États (qui sont ses actionnaires) ou – plus probablement – cesser de leur verser des dividendes, et donc les priver d’une ressource, ce qui aboutirait in fine à reconstituer la dette que l’on cherchait à alléger. Dans le second cas, la création monétaire reviendrait à appuyer sur l’accélérateur des prix en même temps qu’elle appuierait sur le frein (en montant les taux). Le retour de l’inflation peut paraître théorique aujourd’hui. Toutefois il est difficile de prédire ce qui se passera dans les décennies à venir. Pourquoi oblitérer l’instrument monétaire pour résoudre un problème qui n’existe pas ? Aujourd’hui, l’économie mondiale souffre en effet d’un excès d’épargne privée : les États qui parviennent à conserver la confiance des investisseurs n’auront pas de mal à se financer dans les années à venir.
Finalement, la question principale qui se posera en sortie de crise sera celle du bon niveau de dette et du chemin pour y parvenir. Face à l’excès d’épargne privée au niveau mondial, l’augmentation générale des dettes publiques peut sembler une bonne nouvelle. Cependant, un niveau d'endettement élevé accroît la vulnérabilité d’un pays à un accident économique ou financier et réduit sa capacité à faire face à une nouvelle crise venue de l’extérieur. Pour se préparer à la prochaine crise, il faudra, une fois la croissance retrouvée, fixer une stratégie de réduction mesurée de l’endettement, et prioriser les mesures susceptibles d’élargir les assiettes fiscales via une élévation du niveau d’activité, tout en tenant compte des inégalités héritées de la crise.