La chute brutale du prix du baril et les mesures pour endiguer l’épidémie du covid-19 affectent l'activité économique alors qu'elle était déjà fragilisée par les erreurs de politique économique et les sanctions américaines. Ces chocs négatifs pourraient conduire à une contraction du PIB de 15 % en 2020, une augmentation des pressions inflationnistes (15.000 % en 2020) et une hausse du chômage. La crise économique et sanitaire pourrait également nourrir les tensions politique et sociale.

1. La production pétrolière pâtit des sanctions américaines et du covid-19.

Les sanctions américaines, la guerre des prix russo-saoudienne et les mesures pour endiguer la propagation du covid-19 entrainent une contraction de la production pétrolière de 13 % sur un mois en mars, selon les données publiées par l’OPEP (-25 % selon Reuters). Étouffée par l’abondance des stocks (35 millions de barils) et la chute de la rentabilité des puits (prix de référence du baril qui atteindrait 5 USD à la fin mars), la production s’élèverait à seulement 660.000 b/j en moyenne en mars, avec un point bas à 464.000 b/j à la fin mars selon Reuters. La production de la co-entreprise de Chevron (Petropiar) serait tombée à seulement 50.000 b/j, contre 120.000 b/j en février 2020. De son côté, la co-entreprise de Rosneft (Petromonagas) n’aurait produit que 20.000 b/j à la mi-mars, contre 70.000 b/j le mois précédent.

Dès lors, la chute de la production pourrait peser sur les remboursements des engagements envers la Chine et les importations publiques des produits alimentaires et pétroliers. Les impayés continueront de s’accumuler alors que le Venezuela est déjà en défaut sélectif sur sa dette (près de 20 Mds USD d’arriérés sur la dette obligataire). 

Face aux perturbations dans la production pétrolière et aux sanctions américaines, Rosneft a annoncé son retrait du Venezuela. Le Groupe énergétique russe a remis l’ensemble de ses actifs à une entreprise publique russe contre la cession de 9,6 % du capital (valeur de la transaction estimée à 3,7 Mds USD). 

Concernant la production de produits pétroliers, les raffineries ne produiraient que 70.000 b/j, soit 5 % des capacités installées. Ces insuffisances accroissent la dépendance aux importations de carburant. Les sanctions américaines imposées en février dernier à l’encontre de deux filiales de courtage de Rosneft basées en Suisse (Rosneft Trading et TNK Trading International) perturbent également les importations de produits pétroliers. Pour remplacer les entreprises de courtage russes, PDVSA a passé un accord d’échange de pétrole contre de la nourriture, avec les entreprises mexicaines Libre Abordo S.A et sa filiale Schlager Business Group. Les deux entreprises auraient reçu 14,3 millions de barils durant les deux premiers mois de 2020, contre la livraison de 210 000 tonnes de maïs et un millier de camions citernes pour le transport de l’eau. Dès lors, selon l’agence Refinitiv-Reuters, les achats pétroliers sont passés de 170.000 b/j en 2019 à seulement 89.000 b/j en mars.   

Mais la fragilité énergétique accroit les incertitudes sur le niveau des stocks pétroliers. Le Venezuela n’aurait reçu aucune cargaison pétrolière pendant près d’un mois ce qui intensifie les pénuries de carburant. Les dernières livraisons dateraient de début mars et seraient essentiellement constituées de diesel à faible teneur en soufre (ULSD). Face à la détresse énergétique, le vice-président en charge des questions économiques, Tareck El-Aissami, a annoncé le 3 avril dernier, un plan spécial d’approvisionnement en carburant sans toutefois préciser les modalités. L’entreprise nationale pétrolière tente également de réactiver la raffinerie d'El Palito (140.000 b/j) dans le but de produite du carburant RON-91.

 2. Le Venezuela face à une triple crise : sociale, sanitaire et politique

La mise à l’arrêt des activités n’empêche pas l’intensification des pénuries sur l’ensemble du territoire, alors que Caracas était jusqu’à présent relativement épargnée. Le confinement de la population n’offre qu’un répit temporaire pour le gouvernement et soulève la question de la capacité de l’économie à redémarrer à la sortie de la quarantaine. A plus court terme, la distribution alimentaire sera sensiblement impactée par le manque de carburant. Face à ces difficultés, plusieurs initiatives ont été prises par les entreprises de l’agro-industrie, notamment l’usage de véhicules diesel pour distribuer les produits frais. Malgré ces initiatives, la fédération des agriculteurs (Fedeagro) prévoit d’importantes pertes dans les récoltes et la raréfaction des produits frais (viandes, fruits et légumes) dans les centres urbains. 

Cette situation augmente le mécontentement social et dégrade les prévisions économiques. La crise sanitaire pourrait être amplifiée par le mauvais état des établissements de santé, le départ du personnel médical (15.000 médecins auraient quitté le pays) et les pénuries de carburant. Alors que 90 % de la population disposerait de revenus insuffisants pour couvrir les besoins alimentaires selon les enquêtes d’ENCOVI, le confinement n’est que partiellement respecté dans les quartiers populaires. La paupérisation de la population augmente la dépendance aux aides publiques (primes sociales, paniers alimentaires) mais ces dernières pourraient être insuffisantes pour calmer durablement le mécontentement social d’autant plus que les transferts monétaires alimentent les pressions inflationnistes et la dépréciation du bolivar (68 % sur un mois à la mi-avril). En absence de mesures pour soutenir la trésorerie des entreprises, les faillites pourraient se multiplier, intensifiant d’autant la crise économique. Dans ces conditions, les services du FMI prévoient une contraction du PIB de 15 % en 2020, contre -10 % initialement envisagés. 

Sur le plan politique, les États-Unis augmentent la pression sur le régime chaviste à travers des initiatives judiciaire, diplomatique et militaire dans l’espoir d’accélérer la transition politique. Le 26 mars dernier, le procureur général américain, William Barr, a inculpé 14 dirigeants chavistes, dont Nicolas Maduro, pour blanchiment d’argent et narco-terrorisme. Une récompense de 55 MUSD a été offerte pour la capture des personnalités inculpées. L’initiative judicaire a été suivie par la présentation le 31 mars, du plan du département d’État pour une transition démocratique au Venezuela. Le projet américain prévoit la formation d’un gouvernement de transition et d’un Conseil d’État inclusif (chavistes, opposition, société civile). Après l’offensive diplomatique, l’option militaire a été mise en avant avec l’annonce, le 1er avril, du doublement des capacités militaires du commandement Sud « US Southern Command » et son déploiement dans la mer des Caraïbes afin de lutter contre le narcotrafic.