Le Japon a été précurseur sur la technologie blockchain et la réglementation des crypto-actifs. Pourtant, les start-up peinent à trouver leur place sur le marché local, malgré les initiatives du secteur privé pour développer les services Fintech et l’impulsion du gouvernement, qui a identifié ce domaine comme stratégique au service du projet de "société 5.0".

 

1. Un écosystème Fintech au développement inégal

1.1 Pionnier sur les crypto-actifs, le Japon abrite 21 plateformes d’échanges parmi les plus importantes au monde et rassemble, avec 3,5 millions de négociants, le deuxième plus grand nombre de crypto-traders après les Etats-Unis. Les crypto-actifs ont ainsi suscité très tôt l’intérêt des banques japonaises. Elles ont également développé, progressivement, des services utilisant l’intelligence artificielle et la robotique, dans une optique de restructuration ultérieure de leurs activités et lancé des programmes d’incubation, pour répondre aux nouveaux enjeux de la FinTech et aux attentes de leurs clients. Pour autant, elles ont pris beaucoup de retard sur les interfaces mobiles : ce sont en effet des acteurs non bancaires qui majoritairement, au Japon, proposent des services mobiles de gestion des finances personnelles (Personal Finance Management, PFM).

1.2 Les robo-advisors (plateformes en ligne délivrant des conseils financiers ou permettant la gestion automatisée d'un portefeuille d'actifs) connaissent un certain engouement depuis 2016, mais peinent à attirer de nouveaux clients et à accroître leurs actifs sous gestion. Sur la quinzaine de robo-advisors présents sur le marché japonais (comptant près de 400.000 utilisateurs), la plupart propose en fait leurs services par l’intermédiaire des banques, avec lesquelles ils ont conclu des partenariats.

1.3 Trois freins principaux ralentissent le développement de l'écosystème japonais :

1/ La population est peu encline à utiliser la FinTech pour les services d’investissement personnel ou de gestion d’actifs (taux d’adoption de 34% au Japon contre 87% en Chine et en Inde), en raison notamment d’une faible confiance des utilisateurs, échaudés par plusieurs cyber-attaques de grande envergure (notamment 600 Mi USD en 2018). Ces derniers ont également peu recours aux paiements dématérialisés : les espèces représentent encore 80% des moyens de paiements.

2/ L’entreprenariat peine à se déployer : bien qu’en hausse, les investissements en capitalrisque ainsi que les acquisitions de start-up par des grands groupes restent limités. Les star-tup FinTech, en dehors des plateformes d’échange de crypto-actifs, rencontrent donc des difficultés de financement.

3/ La législation japonaise et le processus d’obtention de licences auprès des autorités demeurent relativement complexes. Les produits et services FinTech sont, en effet, soumis à un éventail de réglementations différentes, mises en oeuvre par plusieurs acteurs (la FSA - régulateur financier-, le METI, la Banque du Japon -BoJ- et les bureaux financiers locaux). Aussi les sociétés FinTech sont-elles confrontées à des délais importants et à de lourdes charges administratives.

 

2. L’élaboration d’un cadre réglementaire au service de la stratégie de croissance économique

2.1 Dans le contexte des réformes visant à revitaliser l'économie japonaise, le gouvernement a défini, dès 2016, le statut juridique des crypto-actifs (ce qui constituait une première mondiale) et adopté un cadre juridique pour les plateformes d’échanges. Ce dispositif a permis l’essor des crypto-actifs au Japon, à un moment où de nombreux pays interdisaient ou restreignaient leur utilisation. Par la suite, la réforme du Banking Act de 2017 a contribué au développement des applicatifs non bancaires de gestion des comptes, grâce à une meilleure protection des données. Cette année, de nouvelles réformes vont entrer en vigueur afin de répondre à la diversification des transactions financières liées au développement des TIC, réglementer le « trading de marge de crypto-actifs » (transactions de crypto-actifs au moyen de fonds fournis par un tiers), mais surtout pour faciliter les Initial Coin Offering (levées de fonds grâce à l’émission d’actifs numériques) et la création de joint-venture avec des start-up.

Un programme de "bac à sable" réglementaire a également été mis en place, en 2018, pour permettre aux FinTechs japonaises et étrangères de tester leurs technologies pendant une durée déterminée, sans être soumis à l’ensemble de la règlementation en vigueur. Son impact reste néanmoins encore relativement limité : depuis son lancement, seuls 13 projets en ont bénéficié.

Enfin, fin janvier, le Premier ministre, Shinzo Abe, a annoncé un projet de crypto-devise de banque centrale, dans la lignée du projet de crypto-yuan chinois et d’initiatives d’acteurs privés comme la Libra de Facebook, annoncée pour juin.

2.2 Des mesures incitatives ont également été mises en place pour les utilisateurs (par exemple une réduction, de 2% à 5%, du montant d’un achat lorsqu’il est réglé par un moyen de paiement dématérialisé) et des initiatives sont prises pour soutenir les start-up (aides financières et logistiques à la création ou soutiens financiers à des projets de R&D innovants).

2.3 Le marché japonais de la FinTech connaît de facto un essor important : 1,8 Mds € (fondé sur le chiffre d'affaires des FinTechs) dès 2018, soit une augmentation de 42,7% par rapport à l'exercice précédent.