Lumière Turquoise est la publication trimestrielle du SER d'Ankara.

Alors que la croissance économique turque gagne en vitalité (elle a atteint 0,9% sur l’ensemble de l’année, après une contraction de −2% sur le 1er semestre 2019 et une croissance positive de 3,5% sur le second) et se rapproche de son potentiel (4%/4,5% en 2020), les risques et les interrogations demeurent très présents.


Quand l’investissement industriel va-t-il redémarrer ? La croissance de la production et le taux d’utilisation des capacités de production laisseraient présager une relance de l’investissement (-12% en 2019). Cependant, le regain de tension entre la Syrie/Russie et la Turquie et les craintes qui pèsent sur les besoins en financement de l’économie, avec notamment la forte reprise des importations (+29% au T4 2019) et un budget de l’Etat à nouveau expansionniste en 2020, ne sont pas de nature à améliorer l’attractivité de la Turquie et à relancer les investissements étrangers (- 30% en 2019) nécessaires afin de stabiliser la situation.


Les exportations, qui représentent un moteur essentiel de l’économie turque avec une contribution positive de 2% à sa croissance en 2019, vont-elles constituer le relai de croissance attendu alors que les incertitudes sur l’évolution du commerce mondial en 2020 demeurent élevées (ralentissement de la croissance dans les principales économies avancées, tensions commerciales, Brexit, COVID-19, etc.) ? La performance en demi-teinte des exportations (+4,4% au T4), alors que les produits turcs ont gagné en compétitivité-prix, pourrait aussi révéler un manque d’adaptation de l’offre turque à la demande mondiale faute d’investissements suffisants réalisés dans l’outil productif.


Jusqu’à quel point la défense de la lire turque est-elle possible ? L’environnement géopolitique et les vulnérabilités économiques du pays maintiennent la lire turque sous pression alors que la Banque centrale a encore assoupli son taux directeur, le portant à 10,75%, plongeant le taux d’intérêt réel plus loin encore en territoire négatif (-1,4%). Les autorités turques ont renforcé leur arsenal pour défendre la monnaie locale (restrictions sur les swaps en devises, soutien via les banques publiques, etc.) qui glisse inexorablement, alimentant les inquiétudes sur les réserves de la Banque centrale, en baisse significative depuis le début de l’année.


La situation géopolitique régionale, qui se caractérise par les tensions turco-russes, pourrait-elle favoriser un rapprochement avec les pays occidentaux ? La stratégie d’alliance de la Turquie est volatile mais, d’une part, les interdépendances entre la Russie et la Turquie sont importantes (militaires, commerciales, gaz, nucléaire) et, d’autre part, les « irritants » entre l’Occident et la Turquie demeurent nombreux : sanctions européennes (forages au large de Chypre), menaces de sanctions américaines (projet de loi du sénateur Risch sur l’achat des S-400), manques de progrès de la Turquie dans la mise en oeuvre de l’échange automatique de renseignements fiscaux avec l’UE ou, dernièrement, ouverture des frontières vers l’Europe aux réfugiés présents en Turquie.


La crise du COVID-19 pourrait-elle constituer une opportunité pour la Turquie ? Face aux interruptions possibles des approvisionnements en provenance d’Asie, la Turquie cherchera, sans aucun doute, à promouvoir sa position de fournisseur compétitif et de proximité de l’UE sur certains produits (par ex. textile) et à consolider son rôle dans la chaîne de valeur européenne.