Nicaragua : Plus d’un an après le début de la crise, le pire est-il encore à venir ?

Frappée de plein fouet par une crise politique depuis avril 2018, l’économie nicaraguayenne est entrée en récession l’année dernière. Cette récession devrait être encore plus marquée en 2019 et se poursuivre en 2020. Si le pays a évité une crise financière systémique grâce aux liquidités bancaires, à l’usage des réserves de devises et au maintien de ses exportations, les effets sociaux de cette crise se font déjà ressentir: hausse du chômage, hausse de la pauvreté et désorganisation de l’outil productif. Malgré une certaine stabilisation des indicateurs financiers ces derniers mois, la situation économique pourrait se détériorer si une sortie de crise politique ne se dessine pas.

  1. Depuis avril 20108, l’économie nicaraguayenne subit une crise sévère.

 La crise politique débutée en avril 2018 a sévèrement impacté l’économie nicaraguayenne : après une récession de 3,8% en 2018, le FMI anticipe de nouvelles contractions de 5,7% en 2019 et de 1,2% en 2020 (contre +0,5% anticipé en 2020 par le gouvernement). L’instabilité liée aux tensions sociales a provoqué une crise de confiance et un retrait massif des investissements étrangers (-50% environ, selon les estimations de la Banque centrale) ; une chute de l’investissement privé (-50%) mais aussi des dépôts (baisse de 1/3 des réserves internationales) et des crédits, paralysant brutalement l’économie. Le secteur du tourisme, de l’hôtellerie et de la restauration a été le plus impacté par cette crise, avec une baisse de 40% de l’activité cette année (-20% en 2018) selon le gouvernement et de près de 80% selon les représentants du secteur rencontrés. Le commerce et la construction ont également été fortement affectés.

Les effets sociaux de cette crise se font d’ores et déjà ressentir : le nombre d’emplois formels perdus est estimé à 800 000 et selon certains think-tank, le taux de pauvreté, de 20,1% en 2017 pourrait atteindre 29,4% cette année. A ce titre, le PIB/habitant du pays est passé de 2 170 USD en 2017 à 2 030 USD en 2018 et le FMI prévoit 1 920 USD pour 2019 (-11,5% par rapport à 2017). Face à cette dégradation de la situation sociale, plus de 70 000 Nicaraguayens auraient déjà fui dans les pays voisins (particulièrement au Costa Rica). Ces effets pourraient s’intensifier rapidement dans les mois et années à venir, notamment avec la fin des indemnités de licenciements et un risque de crise alimentaire (voir infra).

 

  1. Les finances publiques et la monnaie résistent pour le moment.

Malgré cette crise sévère, le pays a su éviter une crise financière systémique et une dévaluation de sa monnaie. Le pays a en effet pu s’appuyer sur le maintien de ses exportations en valeur (stabilisation autour de 5 Mds USD), notamment grâce à la hausse du cours de l’or, et l’augmentation constante des remesas (+10% g.a. au S1 2019, atteignant 797 M USD soit environ 11% du PIB). Sous l’effet combiné de ces entrées de devises et d’une baisse des importations (liées à la chute de la consommation de -4,8% en 2018 et prévue à - 5,9% en 2019[1]), la balance courante du pays, structurellement déficitaire depuis des années (-4,9% du PIB en 2017), a dégagé un excédent en 2018 (+0,6% du PIB) qui a permis de stabiliser la monnaie. Par ailleurs, la solvabilité des banques et l’adéquation des réserves ont évité une crise bancaire, même s’il convient de noter une baisse importante des crédits accordés (- 20,7% g.a. à octobre 2019) et une augmentation des crédits douteux (passés de 1% à 4,5% du portefeuille).

Les finances publiques sont également sous contrôle pour le moment, notamment grâce à une réforme fiscale d’envergure. Les recettes fiscales de l’Etat ont été impactées sous le  double effet de la récession économique et d’une « désobéissance civile » pour le paiement des impôts ; tandis que les sanctions internationales[2] mises en place notamment par les Etats-Unis ont provoqué un coup d’arrêt aux financements externes dont le pays est fortement dépendant (7,9% du PIB en 2018). Toutes les institutions multilatérales présentes (BID, Banque Mondiale…), à l’exception de la BCIE dont l’Etat nicaraguayen est actionnaire, ont suspendu leurs prêts souverains. Sans évolution de la situation, les déboursements de ces institutions (pour les prêts préalablement accordés) devraient prendre fin dans les trois prochaines années tandis que des changements prévus dans l’actionnariat de la BCIE pourraient avoir raison du maintien actuel de l’activité[3].

Face à cette situation de restriction des ressources, le gouvernement a limité les dépenses publiques et mis en place cette année une réforme fiscale d’envergure visant à accroître les ressources provenant du secteur privé : après un léger creusement du déficit public consolidé à 3,9% du PIB en 2018, celui-ci devrait atteindre 2,2% du PIB en 2019 selon le FMI. Les retombées sociales de ces mesures pro-cycliques peuvent cependant être interrogées à l’heure où l’investissement public et privé sont déjà en berne.

Cependant, le maintien d’une situation sociale sous haute tension et l’arrêt quasi-total de l’investissement rende le statut quo actuel difficilement soutenable.

  1. Les tensions sociales laissent difficilement présager une reprise durable à court-terme.

Si la situation semble plus calme, cela est plus dû à une forte répression policière qu’à un véritable apaisement des tensions. Alors qu’un dialogue entre le gouvernement et l’opposition avait été amorcé au début de l’année 2019, celui-ci a entièrement été rompu : il n’y a, à l’heure actuelle, aucune communication entre le gouvernement et le secteur privé, qui entend suspendre ses investissements en guise de contestation.

Dans l’immédiat et sans évolution, la situation économique pourrait se détériorer. Si l’on observe une stabilisation de certains indicateurs (stabilisation des dépôts, reprise du crédit), le pays devrait commencer à subir le manque d’investissement des derniers 18 mois. Le secteur agricole, pour le moment moteur de l’économie, pourrait notamment souffrir de ce manque et des effets de la réforme fiscale mise en place : les experts rencontrés craignent d’ores et déjà une crise alimentaire dans le pays.

La trajectoire de la dette publique dans le statut quo actuel peut également être source d’inquiétude. Si le pays a pour l’instant su contrôler ses finances publiques, la soutenabilité de la situation actuelle face à la baisse des financements, particulièrement des financements extérieurs, est sujet à débat, notamment dans un contexte d’échéances de dette importantes à 3 ans et la fin des prêts actuels des institutions multilatérales.



[1] Selon FUNIDES, think-tank reconnu du secteur privé

[2] Entre autre, on peut citer l’approbation du Nica Act en décembre 2018, qui conditionne l’accès du Nicaragua aux prêts des institutions internationales (FMI, Banque Mondiale, BID…) à l’adhésion aux principes démocratiques.

[3] Du fait notamment de la transition politique au Guatemala et de la volonté du Panama d’accroître sa participation au capital de la banque.