Le Kenya est aujourd’hui le 3ème bénéficiaire de l’APD nette en Afrique sub-saharienne derrière l’Ethiopie et la Tanzanie. Les difficultés croissantes liées au décaissement de l’aide-projet, combinée à la dégradation de la soutenabilité des finances publiques invitent les bailleurs à repenser leurs modalités d’intervention.

Sur la décennie écoulée, le Kenya est devenu un bénéficiaire majeur de l’APD, reflet d’un paysage bailleurs dynamique/de l’intérêt croissant des bailleurs pour le pays.

La stratégie nationale Vision 2030, mise en place en 2008, a bénéficié massivement du soutien des bailleurs internationaux. S’appuyant sur des investissements publics massifs, sa mise en œuvre a été soutenue par les bailleurs internationaux qui ont financé en moyenne 15 %[2] des dépenses budgétaires entre 2008 et 2016. L’adoption de la nouvelle constitution en 2010, qui institue un système décentralisé et crée de nouveaux besoins à l’échelon des 47 comtés nouvellement créés, a également stimulé l’attrait du pays. La Banque mondiale a ainsi financé le processus de dévolution à hauteur de 500 MUSD depuis 2013.

Le Kenya, 3ème bénéficiaire d’APD nette en Afrique sub-saharienne, derrière l’Ethiopie et la Tanzanie. Selon l’OCDE, le Kenya a reçu 2,5 Mds USD d’APD nette en 2017 (cf. annexe 1). Entre 2013 et 2017, le ratio APD nette/PIB du Kenya a été en moyenne de 3,9 %, supérieur à celui de pays comparables[3] comme le Ghana (3,1 %) et la Côte d’Ivoire (2,4 %). Les bailleurs bilatéraux représentent 60 % de l’aide en moyenne annuelle, les agences multilatérales et des donneurs privés atteignent respectivement 37 % et 2 % du montant total de l’aide. Les Etats-Unis, la Banque Mondiale, le Royaume-Uni et la Banque Africaine de Développement (BAD) sont les principaux bailleurs de fonds du Kenya depuis 2013.

La place du Kenya dans le portefeuille des bailleurs a significativement augmenté. Le Kenya est le 3ème plus important bénéficiaire des financements de la SFI en Afrique derrière le Ghana et le Nigeria. L’exposition de la SFI a augmenté de près de 140 MUSD depuis le lancement du nouveau cadre stratégique pour 2014-2018 et totalise 922,6 MUSD en 2017. Sur les 111 projets AFD en exécution en Afrique de l’Est, 47 sont mis en œuvre au Kenya. De plus, les principaux bailleurs se sont progressivement spécialisés sur un voire deux secteurs d’intervention prioritaires : plus de 80 % des fonds de l’USAID[4] sont ainsi orientés vers le secteur de la santé. En 2017, la France était le 7ème bailleur bilatéral avec 34 MUSD : l’énergie, l’eau et l’assainissement et les transports représentent 86 % du volume des engagements de l’AFD  entre 2008 et 2016.

En 2014, le pays a accédé au rang de pays à revenu intermédiaire de la tranche inférieur selon le FMI. La multiplication des projets a permis de réels progrès en termes de développement. En 2018, le Kenya est classé 142ème sur 187 selon l’Indice de Développement Humain (IDH) soit une progression de 7 places en dix ans. Le taux de pauvreté s’est considérablement réduit à 36 % de la population en 2016 contre 44 % en 2006. La concentration des investissements dans les secteurs des infrastructures, de l’énergie et des transports a permis d’améliorer les conditions de vie  de la population[5]. Toutefois, le taux de pauvreté du pays reste encore deux fois plus élevé que la moyenne des pays à revenu intermédiaire de la tranche inférieure. Les inégalités entre les niveaux de vie urbains et ruraux ainsi que des disparités géographiques demeurent. Par exemple, les districts du sud ont un accès plus élevé aux infrastructures et aux services essentiels que les districts du nord alors même que ces populations sont vulnérables aux chocs climatiques, telle que la sécheresse.

Les évolutions du profil macroéconomique du pays invitent les bailleurs à diversifier leurs modalités d’intervention

L’action des bailleurs se heurte à la faible capacité d’absorption du pays. Seules 66 % des dépenses d’investissement budgétées par le gouvernement ont effectivement été engagées en 2015-2016. Les lacunes dans la planification budgétaire du pays, le retard dans la passation des marchés, les difficultés liées à l’acquisition des terres ou encore les retards lors des transferts de fonds de l’Etat aux comtés expliquent cette performance. Ainsi, le montant de l’aide décaissée, qui oscille autour de 2,5 Mds USD depuis 2013, est largement en-deçà des engagements effectifs des bailleurs.

Plus récemment, la dégradation de la trajectoire d’endettement public du Kenya pèse sur les capacités d’intervention des bailleurs. La dégradation par le FMI du risque de non-soutenabilité de la dette du Kenya de « faible » à « modéré » en 2018 a renforcé la sélectivité des projets par les autorités kenyanes. Le compartiment souverain est davantage limité, et les autorités ont de plus en plus recours à des prêts du marché moins contraignants en termes de conditionnalités et de délais de mise en œuvre, que les prêts concessionnels octroyés par les bailleurs.   

Dans ce contexte, les bailleurs ont repensé leurs modalités d’intervention. Certains développent par exemple leur portefeuille de prêts non souverains bien que l’appétit du gouvernement sur ce type de prêt est encore limité. Le soutien au secteur privé devient également un axe majeur de la stratégie pays des  bailleurs. Enfin, en mai 2019, la Banque mondiale a mobilisé l’instrument de l’aide budgétaire, pour la mise en œuvre d’un Development Policy Operation (DPO), d’un montant de 750 MUSD, visant à soutenir certaines des priorités de l’agenda « Big Four » du gouvernement. Cet outil paraît en effet adapté pour répondre au défi du décaissement et de la réduction des délais et coûts d’instruction, tout en assurant la mise en œuvre de réformes stratégiques.


[1] Selon l’OCDE, l'APD correspond aux dons, prêts assortis de conditions de faveur (comportant un élément-don d'au moins 25 % du total) ou d'assistance technique fournie par les États pour améliorer le développement économique et le niveau de vie des pays en développement.

[2] Calculs du SER de Nairobi

[3] Le Ghana et la Côte d’Ivoire ont un PIB/habitant proche du Kenya (respectivement 1780 USD, 1880 USD et 1840 USD) et reposent sur une économie diversifiée. 

[4] Un tiers de l’APD reçue par le Kenya provient des Etats-Unis.

[5] Par exemple, l’accès à l’électricité s’est considérablement étendu, passant de 23 % à 56 % de la population.