Alors que la composition du Gouvernement de coalition a finalement été annoncée, le 26 août, 8 mois après les élections générales de décembre 2018, les nuages s’accumulent au plan macro-économique. La baisse des cours du cuivre et du cobalt qui se poursuit dégrade les perspectives de croissance du pays, très vulnérable à un « choc » sur les matières premières. Ces derniers mois, le rythme d’exécution des dépenses publiques a été régulièrement supérieur aux crédits votés. Il pourrait déboucher sur des tensions de trésorerie pour les finances de l’Etat. La faiblesse des réserves de change obère la capacité de réaction de l’Etat en défense de la monnaie.

 

I/ LA BAISSE DES COURS DU CUIVRE ET DU COBALT S’EST POURSUIVIE CES DERNIERS MOIS

Un double mouvement de baisse des cours et des volumes.

La chute des cours du cobalt s’est confirmée de façon continue ces derniers mois, ceux-ci étant divisés par 3 entre le pic atteint en Mars 2018 (95000 $/t) et les cours actuels (26 000 $/t) ; celle du cuivre a également connu une baisse par paliers de 6500 $/t en février à la barre symbolique des 6000 $/t au début de l’été. Fin août et début septembre, les cours mondiaux du cuivre étaient à 5600$/t. Concernant les volumes de production, sur les 6 premiers mois de l’année, la production restait en progression (+3% pour le cobalt et +11% pour le cuivre). Les perspectives sont plus contrastées. Plusieurs très importants projets miniers sont en cours (Projet Kamoa-Kakula d’Ivanhoé), projet de mine d’étain d’Alphamin. A l’inverse d’importantes mines indiquaient envisager une réduction de leur activité ou être dans le rouge (Mine de Tenke Fungurumé). Glenncore, l’un des principaux producteurs de cobalt en RDC, qui disposerait actuellement d’un important stock d’invendus de cobalt (10 000 tonnes), a d’ores et déjà rendue publique sa décision de geler la production de sa mine de Mutanda. Ce probable tassement de la croissance de l’offre minière intervient dans un contexte de tension entre les grands opérateurs miniers et l’Etat à propos de l’entrée en vigueur du Code minier mais également d’incertitudes sur la demande chinoise.

Un impact direct sur le montant des recettes de l’Etat

Le régime fiscal applicable à l’industrie minière prévoit un paiement par tranche des taxes dues en 2019, sur la base des revenus de l’année 2018. Au cours actuel du cobalt, les paiements effectués par les miniers sous la forme d’avance devraient, par conséquent, être bien inférieurs et donc se traduire par des crédits d’impôts, c’est-à-dire par autant de rentrées fiscales en moins pour l’Etat en 2020. Pour mémoire, les recettes fiscales minière ont représenté 37% des recettes de l’Etat soit 1,6 Mds$ en 2018. Celles-ci, très dépendantes des performances du secteur minier, diminueraient mécaniquement, alors même que les avances sur recettes fiscales consenties par les grandes compagnies minières au titre de leurs impôts ont déjà épuisé une grande part des marges de manoeuvre de l’Etat et que les réserves de changes restent faibles (inférieures à 1 mois d’importations).

II- L’ACCROISSEMENT DES DEPENSES A-T-IL MIS UN TERME, A L’ORTHODOXIE BUDGETAIRE ?

La période de transition politique a été peu favorable à l’équilibre budgétaire

Le Comité de politique monétaire du 23 août attirait l’attention du Gouvernement sur l’impact probable de différentes dépenses risquant de remettre en cause l’équilibre budgétaire, en particulier : le coût de la session extraordinaire du parlement, les frais d’installation du nouveau gouvernement et le coût de la rentrée scolaire auquel on peut ajouter la forte augmentation du budget de la Présidence et des dépenses liées au programme des 100 jours, engagées en dehors de toute orthodoxie procédurale. Les finances publiques ont connu 2 mois de déficit à la fin du premier semestre d’un montant de 153M$. Ce déficit aurait, selon Banque centrale du Congo (BCC), été ramené à 103 M$ en août, pour à nouveau se creuser en septembre. Cette situation fragilise la politique d’équilibre budgétaire qui ne semble cependant pas avoir officiellement été remise en cause à ce stade.

La situation budgétaire de ces derniers mois a été loin d’être transparente du fait de la période de transition au plan politique. Alors que le Gouvernement en place se contentait, en théorie, d’expédier les affaires courantes, le programme des 100 jours initié par le nouveau Président a été un prétexte à des dérogations répétées au respect de la chaîne des dépenses. Fin août, l’ANR (l’agence nationale des renseignements) rendait publique une demande d’audit à l’IGF de « tous les décaissements de fonds du Trésor public en faveur de tous les ministères depuis l’investiture du Président Tshisekedi ».

D’autres annonces comme la gratuité de l’enseignement, voulue par le Président Tshisekedi, n’apparaissent à priori pas soutenables par le seul budget de l’Etat. Selon une annonce lors de son déplacement en Belgique, le coût global pour assurer la gratuité du primaire s’élèverait à 2,6 Mds$ par an. Or l’annonce par la Banque mondiale, d’une prise en charge des enseignants ne couvrira pas l’ensemble de telle dépense, mais la BAD devrait également contribuer. Les choses devraient être précisées lors du déplacement du Président Tshisekedi à Washington à la fin du mois de septembre.

Un dérapage des dépenses publiques

Concernant les dépenses, et selon l’administration du budget, 94% des crédits annuels votés pour le fonctionnement des ministères auraient, d’ores et déjà, été engagés et liquidés ce qui risque de créer des tensions de trésorerie pour le nouveau gouvernement. Cette administration constate que la Présidence de la République aurait d’ores et déjà consommé la totalité de ses crédits annuels.

Concernant les « dépenses urgentes », 389 M$ avaient été liquidés à la fin juin par le Trésor public. Cette procédure court-circuite la chaîne des dépenses ordinaires qui impose le respect d’une procédure passant par l’engagement, la liquidation, l’ordonnancement et le paiement. Ces dépenses, non provisionnées dans la loi de finances de 2019, représentent 18,5% des dépenses publiques.

En revanche, concernant le service de la dette, sur les 6 premiers mois de l’année, le Trésor n’aurait payé que 5,7 M$ au titre de la dette publique intérieure, un taux d’exécution très faible de 13,3%. Les arriérés devraient s’être à nouveau creusés. Le remboursement de la dette intérieure (principalement les dettes de l’Etat aux entreprises) représente la principale variable d’ajustement pour limiter les dépenses.

III-  VERS UNE DEGRADATION DE LA SITUATION MACRO-ECONOMIQUE ?

Si la baisse des cours du cuivre et du cobalt, enregistrée depuis le début de l’année, venait à se confirmer, une dégradation de la situation macroéconomique serait prévisible d’autant plus qu’une baisse des volumes serait également constatée, les prochains mois, sous l’effet d’un ralentissement de la demande chinoise.

Un scénario de crise dans les prochains mois ne peut donc être exclu, comme en 2017. L’hyper dépendance aux matières premières qui représentent 90% des exportations et la trop faible diversification de l’économie congolaise la rend très vulnérable aux chocs exogènes. La baisse des exportations minières fragilisera à la fois les recettes fiscales et la balance des paiements et se traduira de façon mécanique par une résurgence des « déficits jumeaux ». La faiblesse des réserves de changes (2 à 3 semaines d’importations) reste un handicap majeur pour le pays tout autant que le système des avances sur recettes minières qui représente un risque pour l’équilibre budgétaire en cas de retournement de conjoncture.