Des risques limités pour la stabilité financière malgré un contexte économique dégradé.

En dépit d’un contexte économique incertain, le secteur bancaire nigérian est parvenu à conjuguer expansion de son activité, profitabilité et stabilité face aux différents chocs. Il compte parmi les secteurs qui contribuent le plus à la croissance économique. Si les perspectives de court terme sont porteuses de difficultés, avec notamment une hausse prévue des défauts face à une charge croissante de la dette, ces risques devraient être limités à certains segments vulnérables sans présenter de risque systémique. Pour autant le secteur bancaire assure encore insuffisamment sa fonction d’intermédiation financière en finançant trop peu le secteur privé. La récente réforme de recapitalisation du secteur vise à créer des acteurs de taille critique capables de financer une croissance ambitieuse de l’économie, et pourrait dès lors entraîner une nouvelle consolidation bancaire.   

 

1. Le secteur bancaire étant résilient dans la conjoncture économique actuelle, une dégradation de la qualité des bilans bancaires constituerait un risque limité à court terme.

1.1  Le secteur bancaire continue de bénéficier d’une croissance élevée couplée à une profitabilité soutenue malgré un contexte macroéconomique instable.

Malgré le resserrement monétaire d’ampleur qui a été initié par la Banque centrale du Nigéria (CBN) depuis 2023, le secteur bancaire continue d’afficher une croissance sectorielle parmi les plus importantes du pays. D’après les chiffres publiés par le Bureau nigérian des statistiques (NBS) pour le premier trimestre 2024, les banques et assurances ont été particulièrement dynamiques avec une croissance de 31,2 % en glissement annuel de leur activité, en hausse de 9,9 points par rapport au trimestre équivalent en 2023. Parallèlement, la part des banques et assurances dans le PIB s’élève à 6,81 %, ce qui représente une hausse trimestrielle de 1,86 points. Les services financiers font partie de trois secteurs responsables de près de 80 % de la croissance économique, avec le secteur des technologies de l’information et de la communication (ICT) et le secteur pétro-gazier.

Les banques nigérianes maintiennent leur profitabilité en raison de leur capacité à allier une hausse de la rémunération de l’actif avec un faible cout de financement. A la fin de l’année 2023, la plupart des banques commerciales ont réalisé des profits selon le Fonds monétaire international (FMI) principalement grâce des gains sur le taux de change, avec un retour sur capitaux propres (ROE) estimé à 30 % pour l’année par l’agence de notation S&P à l’échelle sectorielle. Cette dynamique se poursuit cette année avec des résultats avant impôt qui ont plus que triplé au premier trimestre 2024 pour onze des douze banques cotées en bourse. Si l’effet favorable du taux de change explique en partie cette évolution, force est de constater que les banques sont également parvenues à tirer profit de la hausse du taux d’intérêt par une contribution positive de la marge nette d’intérêts (NIM). La plupart des prêts étant à taux variable, les banques ont pu accroître la rémunération sur leurs actifs tout en bénéficiant d’un financement à faible coût étant donné la part importante du financement de détail, avec des dépôts qui ont réagi moins fortement à l’augmentation des taux.  

Au-delà des effets conjoncturels, plusieurs tendances structurelles devraient favoriser l’essor du secteur. Il s’agit notamment de l’adoption croissante de la technologie, de la volonté du gouvernement de créer un écosystème financier sans espèces, ainsi que du développement des banques nigérianes sur le marché continental. Ces tendances devraient être des sources importantes de croissance à long terme du secteur, entre autres facteurs.  

1.2  Les effets du resserrement monétaire sur la qualité de l’actif des banques constituent certes un risque à court terme, mais ceux-ci ne devraient pas nuire à la stabilité du secteur bancaire dans son ensemble.

La qualité des bilans des banques reste stable avec des ratios prudentiels qui respectent les normes imposées par la banque centrale. En février 2024, le ratio d’adéquation du capital (CAR) dépassait l’exigence de 10 % requise par le régulateur, avec des créances douteuses (NPL) qui, malgré une hausse marginale de 0,3 point par rapport au mois de janvier, ne dépassaient pas le seuil règlementaire de 5 % (4,5 %). Pareillement, le ratio de liquidité (LR) à l’échelle du secteur atteint 42,7 % pour le mois de février, dépassant largement le seuil prudentiel minimal de 30 % et accusant une hausse de 0,6 point par rapport au mois de janvier.

A court terme, une dégradation de la qualité des actifs des banques reste possible, notamment en raison d’une éventuelle hausse des défauts induite par un coût de la dette plus élevé. Le taux de créances douteuses (NPL) pourrait dès lors dépasser la barre prudentielle de 5 % à court terme, d’autant plus que cet indicateur ne reflète pas entièrement la réalité des prêts bancaires : celui-ci a été artificiellement dilué du fait des concessions qu’ont pu accorder les banques à des emprunteurs en difficulté afin de faciliter le remboursement des prêts – concessions longtemps tolérées par la banque centrale. Cette pratique, critiquée par le FMI, devrait graduellement disparaître selon le Fonds. De même, le financement concessionnel octroyé par la banque centrale à certains secteurs de l’économie, comme l’industrie ou l’énergie, devrait également être interrompu et exercerait dès lors une pression additionnelle sur leur capacité de remboursement.  

Néanmoins, cette dégradation des bilans ne devrait pas représenter un risque systémique. En effet, la part des prêts dans le bilan des banques reste faible, ne représentant que 30 % du total de l’actif en 2023 d’après le FMI. Les prêts sont également en grande partie octroyés à des grandes entreprises ou entités publiques, dont la solvabilité sera plus difficilement remise en question. Les pratiques de gestion de risque se sont également améliorées au sein du secteur, ce qui devrait renforcer sa résilience, aux côtés de l’amélioration des profits avant charges et provisions. Le risque de bilan devrait ainsi être confiné aux segments qui sont exposés aux clientèles les plus vulnérables, en particulier les institutions de microfinance et les banques hypothécaires, dont les taux de créances douteuses sont chiffrés par le FMI à 14 % et 20 % respectivement à la fin 2023.

 

2. Malgré sa stabilité, le secteur bancaire manque de compétitivité dans le financement de l’économie et devrait évoluer avec les nouvelles exigences de recapitalisation.

2.1  Le financement du secteur privé est insuffisant et continue de souffrir de la double contrainte du taux record de réserves obligatoires et de l’effet d’éviction par l’emprunt public.

Le secteur privé peine encore à mobiliser un financement bancaire, une tendance qui devrait se poursuivre à moyen terme. Le Nigéria souffre de la faiblesse des créances au secteur privé : la proportion de créances détenues par institutions financières locales sur le secteur non-gouvernemental domestique est proche de 20 % en 2023, d’après les estimations de l’agence de notation S&P, et semble anormalement faible comparée à des pays similaires en termes de notation tels que l’Egypte (c.35 %) et la Tunisie (c.70 %). Si les banques sont contraintes par un taux de réserves obligatoires qui s’élève désormais à un niveau record de 45 %, la faible propension à financer le secteur privé est également le résultat d’un effet d’éviction. L’emprunt public est en effet plus attractif dans une perspective de rentabilité, avec des rendements nominaux qui avoisinent 20 % pour certaines maturités, et aussi plus disponible, avec un rythme d’émission soutenu du gouvernement. L’émission de dette domestique s’est ainsi accélérée au dernier trimestre 2023, en hausse trimestrielle de 42,9 % selon les chiffres du Bureau de gestion de la dette (DMO). Face à ces difficultés, les entreprises se tournent davantage vers les marchés des capitaux, qui demeurent cependant réservés aux plus grandes d’entre elles, ainsi que l’émission de papiers commerciaux (CP).

Le financement en devises demeure problématique, à l’heure où le gouvernement réfléchit à l’émission de dette gouvernementale en devises sur le marché domestique. Une grande partie des devises disponibles dans le pays est en dehors du système financier ou bien dans des comptes d’épargne offerts par les institutions financières, et donc hors du circuit de liquidité. L’accès par la banque centrale aux devises étrangères est actuellement orchestré par des contrats de swaps de devises avec les institutions financières. Dans l’optique de centraliser la liquidité en devises, et de se financer en devises fortes à coût moindre que sur les marchés internationaux, le gouvernement a pour projet d’émettre une obligation libellée en dollars sur le marché domestique.     

2.2  Les nouvelles exigences en matière de capitalisation visent à créer des institutions bancaires qui puisse réunir taille et compétitivité, et devrait entraîner une consolidation du secteur.

Le secteur bancaire nigérian compte un nombre important de petits acteurs, malgré sa structure oligopolistique, et souffre d’une faible inclusion financière. Le pays compte 22 établissements bancaires en 2023, mais il s’articule essentiellement autour de de quelques banques systémiques. En effet, les huit premières banques commerciales possèdent 70 % des actifs, donnant lieu à une structure de fait oligopolistique. L’inclusion financière demeure l’un des principaux défis du secteur, avec 36 % de la population du pays sans accès aux services bancaires. Plusieurs éléments tels que la difficulté de faire respecter les garanties en cas de défaut, les différences d’exigences prudentielles entre les garanties en actifs mobiliers et immobiliers, ou encore le manque de connaissances financières ont été identifiés par la Société financière internationale (IFC) comme freins à l’accès aux crédits par les ménages et PME.

La nouvelle réforme en matière d’obligations de capital annoncée par la CBN cette année vise à renforcer la capacité de financement du secteur bancaire. Le programme de recapitalisation des banques, annoncé par la CBN dans sa circulaire du 28 mars 2024, met en place des seuils plus élevés de capitalisation minimale pour les différentes catégories de banques, avec l’obligation de s’y conformer d’ici 2026. Dans la catégorie des banques commerciales, le capital minimum pour une licence de banque internationale est passé de 50 Md NGN à 500 Md NGN, soit une multiplication par un facteur de 10. Les obligations pour une licence nationale et régionale ont également accusé des augmentations drastiques, passant de 25 Md NGN à 200 Md NGN (x8) pour la première et de 10 Md NGN à 50 Md NGN (x5) pour la seconde. Par ailleurs, la formule retenue pour le calcul de ces obligations est très stricte et ne comptabilisera que le capital libéré et les primes d’émission. Cela reflète une volonté d’augmenter les capitaux propres disponibles dans le système. Cette réforme a été reçu avec optimisme de la part des acteurs de terrain quant à sa capacité à renforcer davantage la résilience du secteur bancaire.

Si les banques réagiront différemment pour atteindre ces obligations en fonction de leur taille et de leur proximité avec le seuil requis, une consolidation est tout de même attendue dans le secteur. Pour les banques de premier rang, qui sont déjà pour beaucoup d’entre elles proches des nouvelles exigences, la levée de capital auprès des actionnaires devrait être l’option privilégiée. Si certaines ont pu d’ores et déjà obtenir des garanties de financement de la part de leurs actionnaires étrangers, les difficultés liées au rapatriement des dividendes rendent ce modèle de recapitalisation via l’actionnariat étranger difficilement généralisable. L’option des fusions et acquisitions devrait surtout être mobilisée dans le segment des banques de taille moyenne ayant des exigences de capital importantes à combler. Ce phénomène devrait encore s’accentuer avec l’incapacité de certaines banques à satisfaire les contraintes imposées à l’approche de la date butoir. Si le secteur voyait une réduction de son nombre d’acteurs, cette consolidation serait très vraisemblablement moins importante que celle subie à la suite de réformes similaires engagées en 2005. Enfin, la rétrogradation de la licence devrait être une option limitée aux petites banques qui souhaitent préserver leur identité locale.