Un budget expansionniste dans le contexte de l’objectif de doublement du PIB à 5 ans.

Le budget définitif pour l’exercice 2019/20 a été présenté devant le Parlement le 5 juillet par Mme Sitharaman, nouvelle Ministre des Finances. Ce dernier prévoit de ramener le déficit public de 3,4 à 3,3% du PIB contrairement aux prévisions du budget intérimaire de février. La progression du déficit en montant devrait être limitée (+10,9% à 7037,6 mds INR soit environ 91,4 mds€), la hausse anticipée des recettes (+13,5%) étant légèrement plus rapide que celle des dépenses (+13,4%). Il s’agit de la première feuille de route devant permettre d’atteindre l’objectif du doublement du PIB à 5 000 milliards de dollars à l’issue du second mandat du Premier Ministre Modi.

Le rehaussement substantiel de l’enveloppe consacrée aux thématiques agricoles et rurales (10,5% du total des dépenses en 2019/20, 9% un an auparavant) est le premier signal envoyé en ce sens. Le ministère de l’Agriculture voit ainsi son budget quasiment doublé par rapport à l’exercice précédent (1305 Mds INR, environ 17 Mds€) devant notamment permettre la mise en œuvre de transferts monétaires directs sous conditions, via le programme « PM KISAN Yojna  ».[1] Il s’agit d’une des mesures phare prises par le gouvernement pour améliorer la situation des agriculteurs. Cependant, à la suite des élections, le gouvernement a élargi le champ d'application du programme à 146 M d’agriculteurs (contre 126 M d'agriculteurs auparavant). Malgré l’augmentation du nombre de bénéficiaires et des coûts associés estimés à 120 Mds INR, les prévisions budgétaires relatives au régime sont restées inchangées, à 750 milliards de roupies (environ 9,4 mds €, identique au budget provisoire).

La relance de l’investissement est une seconde priorité affichée lors de la période électorale et qui se matérialise dans ce budget définitif. Cette relance se manifeste particulièrement dans les infrastructures, affichées comme une grande priorité nationale. La Ministre des Finance a ainsi annoncé le lancement de la seconde phase du projet Bharatmala d’accroissement du réseau routier indien, pour lequel 830 mds INR (près de 11 mds €) sont alloués dans le budget. Les dépenses relatives à la rénovation du réseau ferroviaire augmentent également de près de 20% alors que les infrastructures urbaines devraient disposer d’une enveloppe en hausse de 11,8 % à 480 mds INR. Le gouvernement indien a ainsi annoncé un objectif d’investissement sur cinq ans de 100 lakhs crore roupies, soit 1 300 milliards d’euros ou encore l’équivalent de la moitié du PIB actuel de l’Inde en dépenses d’infrastructures. Un tel objectif ne peut à l’évidence se matérialiser que dans un contexte de forte croissance retrouvée et d’investissements privés et étrangers supérieur aux niveaux actuels.

Le gouvernement a, enfin, acté l’allocation de fonds supplémentaires dans le cadre de son plan de recapitalisation des banques publiques, en réponse au taux inquiétant de prêts non performants au sein de celles-ci : le gouvernement devrait injecter 700 Mds INR (6 Mds €) au sein des banques du secteur public dans un contexte où la majorité de ces sommes permettent principalement aux banques publiques de répondre aux exigences réglementaires en matière de capital de la RBI.

Des contours encore imprécis sur les moyens à mettre en œuvre

La dotation en investissements revêt, dans ce contexte, un caractère particulièrement crucial alors que la contraction du cycle du crédit, en lien avec les mésaventures du secteur financier non-bancaire mais également la persistance de prêts toxiques dans le secteur industriel, laissent présager une reprise modérée du cycle d’investissement. Par ailleurs, cette ambition s’affiche en contradiction avec les prévisions de dépenses en capital du gouvernement (ralentissement du rythme de croissance des investissements en capital à 7%, contre un essor de 20% en 2018-19), dont les investissements seront comme à l’accoutumé financés par des ressources extrabudgétaires et l’endettement des agences parapubliques.

Sur le plan du climat des affaires, les mesures annoncées devront encore être précisées. A cet égard, le gouvernement a officialisé la mise en place d’une ligne de crédit spéciale pour les banques publiques, sur les six prochains mois, afin de soutenir l’allocation de crédit en direction des organismes de financement non bancaires (NBFCs). Le Ministère des Finances acte, par ailleurs, la mise en place de levées de fonds sur les marchés extérieurs en devises étrangères pour financer le déficit anticipé, ce qui traduit l’attractivité pour les autorités indiennes des conditions de financement offertes par les marchés tiers. Enfin, le gouvernement a annoncé la mise en place d’une nouvelle procédure pour faciliter les investissements directs étrangers : ainsi, les autorités ont assoupli les conditions de participation des investisseurs étrangers sur le marché indien au sein de plusieurs secteurs à l’instar des assurances, de la distribution, de l’audiovisuel et de l’aviation sans donner plus de prévisions sur les nouvelles modalités.

L’exécution budgétaire conditionnée par une hypothèse d’accélération de l’activité économique plus optimiste que les prévisions des institutions financières internationales (IFIs).

La présentation de la loi de finances survient cette année dans un contexte comparativement dégradé : le rythme de croissance de l’économie indienne a ainsi marqué le pas sur la seconde moitié de l’année 2018 : à 8,1% au premier trimestre 2018, l’expansion de l’activité a connu un ralentissement à 5,8% en glissement annuel un an plus tard. A cette sobriété de la croissance, s’ajoute l’actuelle crise de liquidité que traverse le secteur financier non-bancaire, qui devrait entraver les capacités de financement de l’économie et faire émerger des craintes d’une crise systémique.

La réduction du déficit reposerait sur une hypothèse du relèvement du taux de croissance nominal de 11,5 à 12% soit un taux réel de 8% et plus ce qui semble plus optimiste que les prévisions des IFI’s. Ainsi, le FMI et la Banque asiatique de Développement anticipent une croissance du PIB de l'Inde à 7,3% pour l’exercice 2019/20 dans leurs dernières perspectives d’avril.

A noter toutefois que le déficit budgétaire pourrait se creuser à l’aune des nouveaux programmes déployés par les Etats-fédérés. Le Budget indique, à cet égard, une dotation budgétaire pour les Etats-fédérés à hauteur de 8 091 Mds INR (environ 104 Mds €) - revue à la baisse par rapport au budget intérimaire de février (8 446 Mds INR) - dont 1 012 Mds INR au titre des compensations versées aux Etats dans le cadre de la GST. Toutefois, on notera l’absence de ligne budgétaire en vue de la couverture du coût des exonérations de dette (loan waivers), qui restera donc à la charge exclusive des Etats. Ainsi, l’équilibre des finances des Etats fédérés, qui affichait déjà une orientation expansionniste sur l’exercice précédent[2], demeure d’autant plus un facteur de risque que le coût des mesures de remise de dettes[3], ainsi que les éventuels programmes de transferts monétaires directs qui pourraient découler de la proposition du gouvernement, risquent de porter préjudice à l’équilibre budgétaire.

Le ministère des Finances envisage de couvrir l’intégralité de ce déficit au travers de sources internes, avec un total d’émissions obligataires porté à 4 481 Mds INR. Bien que cela ne figure pas dans le budget 2019/20, la Ministre des Finances a annoncé être disposée à recourir à l’endettement externe dont la part reste marginale pour le moment (environ 103,8 Mds USD soit 3,8% du PIB).



[1] Le gouvernement avait proposé dès le budget intérimaire en février l’introduction d’une allocation de 6 000 ₹ par an (75 €), versée directement sur le compte bancaire, à l’attention de 120 millions d’agriculteurs qui posséderait moins de 2 hectares.

[2] Le déficit budgétaire des principaux Etats fédérés auraient progressé de 8,3% sur les six premiers mois de l’exercice budgétaire (avril 2018/mars 2019) selon les chiffres du contrôleur et auditeur général des comptes (CAG), agrégés par l’agence de notation ICRA pour 20 des 29 Etats.

[3] Les gouvernements du Chhattisgarh, du Madhya Pradesh et du Rajasthan ont annoncé, suite à la victoire du parti du Congrès aux élections régionales de décembre dernier, des annulations de dette d’un montant total estimé a minima à 800 mds INR (10 mds €). Suite à ces annonces, le gouvernement de l’Assam a fait savoir, à son tour, qu’il offrirait à ses agriculteurs des remises de dette susceptibles d’aller jusqu’à 25 000 INR par individu, tandis que celui du Gujarat a, pour sa part, décrété l’annulation de 6,5 mds INR d’arriérés de paiement liés aux factures d’électricité.