La campagne des élections municipales du 31 mars s’est transformée en un scrutin de plébiscite sur la personne du Président et sa politique. Les succès électoraux de M. Erdoğan et de son parti, l'AKP, reposaient depuis 2002 en grande partie sur la croissance de l'économie turque. Les résultats des élections municipales du 31 mars adressent un avertissement au Président Erdoğan, qui dirige dorénavant un pays en récession. Si au niveau national l’alliance au pouvoir demeure majoritaire (51,6% des votes), six des sept plus grandes villes du pays, dont Ankara et peut-être Istanbul (contestation en cours), pourraient être dirigées par l’opposition.

Sur le plan politique, le Président sort affaibli de ce scrutin, et un remaniement ministériel pourrait avoir lieu dans les prochains jours pour donner l’impression qu’une nouvelle impulsion est donnée à la politique du gouvernement.

Sur le plan économique, la hausse des incertitudes politiques et le resserrement monétaire inattendue par la Banque centrale avaient généré un « pic de stress » en amont des élections (extrême volatilité de la livre turque, chute marquée de la Bourse d’Istanbul). Dans ce contexte, le Ministre des Finances, Berat Albayrak, annoncera mi-avril un ensemble de mesures qui viendront compléter la feuille de route du Nouveau Programme Economique. Elles devraient viser en particulier à faciliter les conditions de financement de l’économie réelle par le système bancaire et intégrer de nouvelles initiatives devant contribuer à soutenir l’activité. Ainsi, une grande réforme fiscale avec un objectif principal d’élargir la base de contribuables (« pas de nouvelle taxe mais davantage de contributeurs ») et de lutter contre l’économie grise est en cours de préparation. Des améliorations seront également apportées à l’architecture fiscale turque pour renforcer la réactivité de l’Administration, comme par exemple en permettant d’accélérer les remboursements (TVA export…) afin de faciliter le financement de l’économie réelle. Alors que l’on constate une détérioration progressive des comptes publics, les autorités affirment que l’objectif d’un déficit public de 1,8% en fin d’année sera respecté. Des négociations sont en cours avec un ensemble de ministères pour décaler dans le temps certains projets d’investissement. En revanche, certaines mesures temporaires de réduction de la taxation de certains produits de consommation mises en place pour soutenir la demande pourraient être prolongées en fonction de l’évaluation de leur impact.

Sur le plan local se pose la question de la future gouvernance dans la mesure où les nouveaux maires CHP (parti d’opposition) auront à composer avec un conseil municipal majoritairement AKP. Qui plus est, les Secrétaires Généraux des grandes municipalités continueront d’être nommés par le Ministre de l’Urbanisme et de l’Environnement. Des situations de blocage pourraient bien apparaître dans ce contexte de cohabitation mais les principaux projets adoptés (métro d’Istanbul…) ne devraient pas être remis en cause. Par ailleurs, une réorientation des budgets vers les districts et municipalités demeurés fidèles au Président apparaît probable.

Dans le contexte politique et économique incertain (rappelons aussi que la Turquie demeure également exposée à de potentielles nouvelles sanctions américaines concernant la livraison des premières batteries S-400 achetées à la Russie, prévue pour cet été), le déficit commercial bilatéral de la France avec la Turquie a atteint un record en 2018 (2 Mds EUR). Plusieurs raisons expliquent cette dégradation: (1) la contraction de la demande locale dans les derniers mois de 2018, en lien avec la crise économique que traverse le pays, (2) la chute de la livre turque qui a amélioré la compétitivité prix des produits turcs sur le marché français, (3) les effets de la stratégie de localisation de la production menée par la Turquie depuis quelques années qui commencent à se faire sentir (automobile, secteur pharmaceutique notamment), (4) une baisse, provisoire, des expéditions dans le cadre de grands contrats (notamment aéronautiques). Une amélioration de la situation ne devrait intervenir qu’en 2020.

Daniel GALLISSAIRES, Chef du Service économique régional d’Ankara