La Chine en RD Congo : présence économique, financements et les créances

La dépendance structurelle de la RD Congo à l’égard de la Chine découle de sa forte présence dans le secteur minier. Les mines et l’électricité peuvent être considérées comme les deux voies congolaises des « routes de la soie » vers Pékin. Initialement très ambitieuse, la coopération chinoise est devenue utilitariste en se recentrant sur la production d’électricité au profit du secteur minier. Cette coopération ne s’est pas traduite par un ré-endettement excessif pour la RD Congo, la dette publique ne représentant que 18 % du PIB en 2017.

 

L’économie congolaise est en situation de dépendance structurelle vis-à-vis de la Chine

Le secteur minier en RD Congo concentre les intérêts économiques chinois : 80 % des exportations congolaises du secteur minier sont à destination de la Chine alors que, côté offre, les entreprises minières chinoises sont aujourd’hui fortement dominantes (70 à 80 % du marché du cuivre et du cobalt).

Ainsi, 90 % du cobalt et du cuivre congolais (premier producteur d’Afrique subsaharienne) est exporté vers la Chine. Le cobalt, minerai stratégique dont la RDC détient 60 % des réserves mondiales, est utilisé dans le processus de fabrication des batteries automobiles et des smartphones. S’agissant d’un produit dérivé résultant de la première transformation d’autres minerais (cuivre, etc.), elle est généralement effectuée depuis des concessions minières détenues par des entreprises chinoises. La RD Congo est « le » pays producteur de ce minerai avec une position de quasi-monopole au niveau mondial. Des études prévoient qu’il n’offrira, aux pays producteurs, « qu’une fenêtre d’opportunité limitée dans le temps » en raison des progrès rapides de la recherche scientifique. Le cobalt est un élément clé de la transition énergétique. Ses cours sont volatiles : après avoir fortement augmenté au premier semestre, ils sont en baisse depuis la fin de l’été[1]. Cette volatilité est la conséquence de son caractère stratégique pour l’industrie automobile, qui lui donne un caractère spéculatif. L’industrie chinoise de transformation, qui concentre l’immense majorité des fabrications de batteries à l’échelle mondiale, est sa « cliente captive » mais elle s’emploie à sécuriser ses approvisionnements[2].

Outre la Sicomines, une importante entreprise commune « d’État » sino-congolaise créée en 2008, plusieurs acteurs chinois de taille internationale exploitent les plus grandes mines katangaises aux côtés d’acteurs de taille moyenne. Ces dernières années, deux nouvelles importantes mines sont tombées dans l’escarcelle chinoise à la faveur de rachats de concessions minières américaines et canadiennes[3]. Sur le terrain, les intérêts chinois sont également présents jusque dans l’artisanat minier, qui reste très important en RDC (20 % de la production de cobalt), au travers de coopératives de ramassages, dont les pratiques contreviennent parfois aux principes d’une chaîne d’approvisionnement responsable.

La présence chinoise s’affirme également dans d’autres secteurs clés des infrastructures, et notamment dans les travaux publics et le génie civil (CREC, SinoHydro principalement). Les chemins de fer comme les routes sont des secteurs d’intérêts pour les entreprises chinoises. Ces dernières ont été adjudicataires dans le cadre du programme « ProRoute » de la Banque Mondiale pour la réfection de 1 000 kms du réseau routier dans l’est de la RD Congo[4]. La nouvelle aérogare de l’aéroport de Kinshasa est revenue à la société WIETEC. D’un coût de 364 M USD, il sera cofinancé par l’Eximbank chinoise et l’Etat congolais. Pour le projet de barrage d’Inga 3, d’un coût de 14 Mds USD, un consortium sino-espagnol[5] a été constitué, charge à lui de trouver les financements, de construire, d’exploiter et de commercialiser l’électricité produite.

La mise en œuvre des « routes de la soie » au travers de la coopération sino-congolaise

Ces dix dernières années, la coopération sino-congolaise a profondément changé de nature, passant d’une logique de troc à une logique commerciale, celle des « routes de la soie ».

En 2008, en échange d’un accès préférentiel aux ressources minières congolaises, la Chine s’était engagée en faveur d’un très ambitieux programme de construction d’infrastructures pour la RD Congo. A l’origine, ce programme prévoyait deux enveloppes. La première, d’un montant de 3,2 Mds USD d’investissements proprement miniers et la seconde, d’un montant de 3 Mds USD, dédiée aux grands projets d’infrastructures. Ce contrat de « troc » se serait traduit par la fourniture d’infrastructures en contrepartie directe des minerais congolais. Ce programme, pierre angulaire du projet des « 5 chantiers » porté à l’époque par le Président Kabila n’a, cependant, jamais pu voir le jour. Tout d’abord, en raison des pressions exercées par le FMI pour que ces montants soient revus à la baisse afin de limiter les graves risques de surendettement que n’aurait pas manqué de générer un tel package. La RD Congo était précisément encore en discussion dans le cadre de l’initiative PPTE. Ensuite, et surtout, des difficultés étaient apparues dans le cours des discussions avec la partie chinoise. L’Exim-Bank, afin de compenser l’absence de prise en garantie de l’État congolais, exigeait une prise de contrôle totale de la Sicomines au lieu des 66 % initialement prévus. La partie congolaise n’a jamais voulu céder sur ce point en rétrocédant toutes ses parts aux chinois. Il en est résulté un rythme d’engagements moindre de la part de la banque chinoise.

Jusqu’en 2013, seuls 468 M USD avaient été décaissés[6] dont 175 M USD en « pas de portes » à la Gécamines. Si on est loin des ambitions initiales, plusieurs importants projets sont à mettre à l’actif de la coopération chinoise. Le barrage de « Zongo II », inauguré en juin dernier, et dont les travaux avaient débuté en 2012, financés par l’Exim-Bank de Chine à des taux préférentiels (360 M USD). Une autre centrale hydroélectrique, située à Bussanga permettra, d’ici 2021, de combler le déficit énergétique du secteur minier en alimentant en priorité le site de la Sicomines.

Pas de réendettement découlant de la coopération sino-congolaise

La RDC a atteint le point d’achèvement de l’initiative PPTE en juillet 2010[7]. Depuis lors, sa trajectoire de réendettement reste maîtrisée. Fin 2017, la dette publique du pays était de 6,4 Mds USD soit 18 % du PIB[8]. Ses principaux créanciers sont la Banque mondiale et la BAD (41 %), les banques commerciales (28 %) et les partenaires bilatéraux au premier rang desquels figure la Chine (15 %). Ces dernières années, c’est la dette intérieure, constituée par des arriérés de paiement, des avances de la BCC et sur la TVA, qui a eu tendance à se creuser davantage que la dette extérieure.

Alors que le pays reste faiblement endetté comparativement au niveau atteint par la plupart de ses voisins, les décaissements pour les financements tant bilatéraux que multilatéraux ont sensiblement marqué le pas depuis 2013 (90 M USD en 2017). Dans ce bilan a priori plutôt favorable du point de vue de « l’orthodoxie financière », la part relative de la Chine dans le « mix d’endettement » de la RD Congo reste raisonnable (655 M USD sur 4,6 Mds USD), ce qui ne dénote une dépendance excessive de la RD Congo aux emprunts chinois.

En 2015, le risque de surendettement était encore considéré comme modéré par le FMI. Mais cette appréciation pourrait cependant bien être remise en question même si le coût du service de la dette reste faible en raison de la forte concessionnalité du portefeuille[9]. Ce dernier, entièrement libellé en devise étrangère, présente un risque élevé en termes de taux de change. Des variations de changes de faible amplitude ont d’évidentes implications budgétaires et exposent l’économie congolaise. Aussi, le service de la dette congolaise demeure vulnérable à un fléchissement des exportations de matière premières (libellées en dollars). En 2015-2016, la baisse des cours internationaux des matières premières s’est, en quelques mois traduit par une dévaluation du CDF de 50 % par rapport au dollar, alourdissant d’autant le service de la dette.



[1] 75 000 USD/t début janvier, 92 000 USD/t début juin et 65 000 USD/t début octobre.

[2] Afin de sécuriser son approvisionnement, le géant chinois « GEM », un des leaders mondiaux dans le raffinage et le recyclage de batteries, a conclu un accord important préférentiel avec Glencore à qui il achètera un tiers de sa production de cobalt congolaise entre 2018 et 2020, soit 52 800 tonnes en trois ans.

[3] Rachat des parts de l’américain Freeport dans la mine de Tenke Fungurume par la China Molybdenum en 2016, puis rachat du canadien Anvil par la China Minmetals Corporation.

[4] Ce programme a fait l’objet d’un « panel d’inspection » de la Banque mondiale suite à de nombreuses irrégularités détectées dans l’exécution de certaines parties du contrat (tronçon Bukavu-Goma) par l’entreprise chinoise contractante (plusieurs non-respects caractérisés des meilleures pratiques sociales et environnementales usuellement suivies par la Banque pour ce type de projets).

[5] China Three gorges Corporation et SinoHydro (Chine) et une filiale du groupe ACS et Eurofinsa (Espagne).

[6] Principalement pour la construction de l’hôpital du cinquantenaire (100 M USD) ; la construction du Boulevard du 30 juin dans Kinshasa (54 M USD) ainsi que différents autres tronçons routiers dans l’intérieur du pays (Lubumbashi/Kasomeno, Beni/Luna).

[7] Le point d’achèvement de l’initiative PPTE a été atteint pour un montant de réduction de 12,3 Mds USD.

[8] Elle est composée à hauteur de 4,5 Mds USD pour la dette extérieure, soit 13 % du PIB, et de 1,8 Mds USD pour la dette intérieure (essentiellement des arriérés de paiement, à priori sans intérêts mais libellé en USD).

[9] Le taux moyen est de 2,26 %.