20ème économie mondiale, la Suisse affiche des résultats remarquables à long-terme : croissance stable, faible taux de chômage, finances publiques saines, investissements élevés en R&D, forte compétitivité à l’export. Après le rebond post-Covid, le rythme de progression de l’activité décélère depuis plusieurs mois. Aux incertitudes liées à l’évolution de la relation UE-Suisse se sont ajoutées les retombées de la guerre en Ukraine : si les pressions inflationnistes restent jusqu’ici relativement contenues et que les vulnérabilités énergétiques ne se sont pas matérialisées à court-terme, les ralentissements rencontrés par ses grands partenaires affectent l'industrie. Alors que la place financière a subi une énorme secousse avec la chute de Crédit Suisse, rachetée par sa concurrente UBS pour 3,0 Mds CHF (3,1 Mds EUR) le 19 mars, le FMI anticipe une croissance du PIB de seulement 0,8 % pour 2023 après 2,1 % en 2022.

I.  Une activité économique pénalisée par les conséquences de la guerre en Ukraine

Si l’économie a poursuivi son redressement l’an passé, dans le sillage du rebond post-Covid de 2021 (4,2 %), les projections de croissance ont été nettement revues à la baisse depuis la guerre en Ukraine compte tenu (i) de l’envolée des prix énergétiques (+22 % en 2022), (ii) des préoccupations sur la sécurité de l’approvisionnement en gaz et en électricité, (iii) des effets de contagion de la dégradation des perspectives économiques mondiales – en particulier chez les principaux partenaires commerciaux (États-Unis, zone euro, Chine) – alors que le taux d’ouverture de l’économie suisse est de 60 % du PIB, et (iv) du relèvement des taux d’intérêt, qui pèse sur les conditions de financement de l’économie. L’investissement privé et les exportations, moteurs traditionnels de la croissance, se voient ainsi freinés.

Malgré le poids des incertitudes, le PIB a progressé de 2,1 % en 2022, soutenu par : (i) la robustesse de la demande intérieure permise par la levée des mesures restrictives au sortir de la crise sanitaire, (ii) la résilience de la demande extérieure (négoce, pharmaceutique), ainsi que (iii) la mitigation de certains facteurs de risque (bouleversement limité des chaînes de valeur, absorption des sanctions contre la Russie par la place financière, mesures spécifiques permettant de passer l’hiver). Néanmoins, les risques baissiers continuent de dominer, à l’instar : (i) de l’assombrissement des perspectives économiques mondiales, (ii) du fléchissement des indicateurs conjoncturels (industrie et services), et (iii) de la persistance des pressions inflationnistes malgré le resserrement monétaire. L’impact du conflit se fera ainsi à nouveau sentir cette année : le FMI anticipe une hausse du PIB de 0,8 % en 2023 (contre 1,1 % selon le gouvernement fédéral).

 

II.  Face à un chômage frictionnel, la Suisse connaît des pénuries de main-d’œuvre grandissantes

Alors que le marché du travail est caractérisé par un quasi plein-emploi depuis plusieurs années, le taux de chômage est à un plus bas historique (4,3 % au T1 2023 au sens du BIT).

Le principal défi tient à la pénurie de main-d’œuvre : (i) le nombre de postes vacants a dépassé le seuil des 100 000 à l’été 2022 et pourrait atteindre 250 000 d’ici 2030 d’après une étude d’UBS, et (ii) la guerre des talents ne cesse de s’accentuer, s’ouvrant, outre la santé, à de nouveaux secteurs comme l’énergie, les transports, l’industrie ou le commerce.

 

III. Des finances publiques qui restent saines en dépit des dépenses exceptionnelles pour soutenir l’économie face à la pandémie de Covid-19 et accueillir les réfugiés ukrainiens 

Le pays dispose, en théorie, de larges marges de manœuvre budgétaires grâce à des finances publiques saines : la dette publique s’élève à 41,4 % du PIB et des excédents primaires sont régulièrement dégagés (auxquels le reversement des bénéfices de la Banque centrale a souvent contribué).

La maîtrise des dépenses publiques repose sur un mécanisme de frein à l’endettement adopté par référendum en 2001 et entré en vigueur en 2003, qui impose l’équilibre budgétaire à moyen-terme via la fixation d’un plafond de dépenses en fonction des recettes estimées et de la conjoncture (rôle contracyclique). De plus, l’acceptation de la réforme du 1er pilier du système des retraites (AVS 21) par le peuple en septembre 2022, garantissant son financement à horizon 2030, est venue amenuir les risques de dérapage à moyen-terme.

En dépit des dépenses exceptionnelles liées au soutien à l’économie face à la pandémie et à l’accueil des réfugiés ukrainiens (75 000 à ce jour), la Confédération a dégagé un excédent budgétaire de 1,0 % du PIB en 2022. Le FMI anticipe un faible excédent de 0,1 % du PIB en 2023, permis par les soldes de financement positifs des cantons et des assurances sociales, notamment soutenus par l’accroissement attendu des recettes fiscales locales. Toutefois, les garanties fournies dans l’urgence pour le rachat de Crédit Suisse (cf. infra) pourraient, en cas de matérialisation, fragiliser les finances publiques, rappelant ainsi la relative petitesse de l’économie.

Des mesures d’assainissement budgétaire pour 2,7 Md CHF (2,8 Md EUR) ont été décidées par le Conseil fédéral en janvier et en mars 2023 pour éliminer le déficit structurel anticipé en 2024 (fin de la budgétisation de la contribution suisse au programme Horizon Europe, le pays ayant été relégué au statut d’État tiers non associé, aplanissement de la hausse des dépenses militaires, suppression de l’incitation fiscale à l’achat de véhicules électriques, baisse de la contribution fédérale à l’assurance chômage). Néanmoins, le FMI estime que des mesures additionnelles seront encore nécessaires, tant pour atteindre l’équilibre budgétaire en 2025-2026 que pour répondre aux défis de long-terme liés au vieillissement démographique et au changement climatique.

IV.  La tendance haussière du franc s’est renforcée depuis le début de la guerre en Ukraine

Les performances suisses à l’export s’accompagnent d’une tendance au renforcement du franc (hausse de 14 % du taux de change effectif réel de décembre 2000 à avril 2023). L’inflation hors énergie longtemps quasi inexistante (0 % en moyenne annuelle sur la période 2010-2020) se traduit par une appréciation nominale dynamique du franc suisse (+82 % toutes devises confondues sur la période ; +54 % vis-à-vis de l’euro).

La guerre en Ukraine a conforté le statut de valeur refuge de la devise helvétique, qui s’est nettement appréciée en valeur nominale depuis mars 2022 (+10 % toutes devises confondues, +6 % vis-à-vis de l’euro), en parallèle de la dépréciation concomitante de l’euro. Les prévisions sur une possible fin de la dynamique baissière de l’euro par rapport au franc suisse ont logiquement été bousculées, et le sens du cours de change entre l’euro et le franc suisse s’est inversé fin juin 2022, faisant passer l’euro en dessous de la parité.

Les signaux techniques suggèrent une poursuite de la trajectoire baissière de l’euro par rapport au franc suisse dans les prochains mois, bien que les résultats économiques de la zone euro fin 2022, meilleurs qu’attendu, aient stabilisé dans la période récente l’euro autour de la parité. De surcroît, la Banque nationale suisse (BNS) a modifié son comportement sur le marché des changes au 3ème trimestre 2022, passant d’une stratégie d’achat de devises (21 Mds CHF, soit 21,5 Mds EUR, en 2021) à la vente de monnaies étrangères (22 Mds CHF, soit 22,5 Mds EUR, sur l’année 2022), laissant le franc s’apprécier pour limiter l’inflation importée.

V.   Si la chute de Crédit Suisse n’a pas modifié la priorité de la BNS donnée à la lutte contre l’inflation, elle est à l’origine d’un choc majeur pour l’ensemble de la place financière et du pays

La disparition de Crédit Suisse, racheté dans l’urgence par sa concurrente historique UBS, a ébranlé la place helvétique. Dans un climat de forte défiance, reflet de la succession de scandales liés à des prises de risque inconsidérées par sa banque d’investissement, Crédit Suisse n’a pas résisté aux pressions des marchés et la Confédération a dû acter sa reprise par UBS pour 3 Mds CHF, assortie de 250 Mds CHF de lignes de liquidité et de 9 Md CHF de garanties publiques contre les pertes. L’acquisition a été formellement finalisée le 12 juin 2023.

Alors que la Suisse connaissait une remarquable stabilité des prix pendant deux décennies, avec un taux d’inflation bas voire négatif, elle n’a pas échappé aux pressions inflationnistes. Celles-ci restent toutefois contenues, le taux d’inflation annuel atteignant +2,8 % en 2022, reflet (i) de la force du franc, (ii) de la moindre part relative des dépenses énergétiques dans le budget des ménages et (iii) du phénomène « d’îlot de cherté », qui permet aux entreprises d’absorber une partie des hausses des coûts sans trop rogner leurs marges. Lors de sa dernière décision monétaire le 23 juin 2023, la BNS a rappelé sa priorité donnée à la stabilité des prix face à la stabilité financière, poursuivant sa politique de rehaussement des taux initiée en juin 2022 en relevant son taux directeur à 1,75 % (-0,75 % il y a un an). Elle prévoit un taux d’inflation de +2,4 % en 2023.

Si la chute de Crédit Suisse ne devrait pas affecter trop lourdement la performance économique de la Suisse, elle vient toutefois heurter certaines certitudes et l’image d’un pays stable et sûr en matière d’accueil de capitaux financiers. La procédure de sauvetage et le comportement des régulateurs posent de nombreuses interrogations. Surtout, l’acquisition par UBS aboutit à la création d’un mastodonte bancaire pour lequel la législation du « too big to fail », mise en échec, apparaît clairement désuète. Le nouveau groupe court désormais le risque de devenir « too big to rescue ». Une commission d'enquête parlementaire a été mise en place par l'Assemblée fédérale pour faire la lumière sur la gestion de la crise par les autorités publiques. 

VI. Une économie très compétitive dont certains facteurs de croissance pourraient s'éroder

  • La Suisse se distingue par la qualité de l’insertion sur le marché du travail, mais elle fait face au défi de renforcer l’inclusivité du marché de l’emploi, en particulier pour les femmes et pour les plus de 65 ans – alors que le vieillissement rapide de sa population risque d’entraver la préservation de sa compétitivité.
  • La main d’œuvre fait partie des plus productives du monde, notamment grâce à la captation des talents étrangers, mais la progression de la productivité du travail est moins rapide que celle des salaires depuis 2008. L’OCDE recommande ainsi une plus large ouverture à la concurrence des secteurs protégés, dont font par exemple partie l’agriculture et les services.
  • La fin unilatérale des négociations pour un accord-cadre avec l’Union européenne ouvre une période d’incertitude qui risque de se traduire par un accès moins aisé au marché unique, un avantage dont le pays a largement su tirer profit ces dernières décennies. Ces tensions se sont déjà matérialisées par la moindre participation de la Suisse à un certain nombre de coopérations clefs (comme le programme Horizon Europe, où la Suisse a été reléguée au rang de pays tiers non associé).
  • Intensive en R&D (3% du PIB), les performances de l’économie suisse sont tirées par un nombre assez restreint de secteurs, en premier lieu par la pharmacie.
  • Avec la conclusion de l’accord sur l’imposition des multinationales sous l’égide de l’OCDE et du G7 (après la suppression en 2020 de 5 régimes fiscaux non conformes aux standards BEPS de l’OCDE), la Suisse fait aujourd’hui face au défi de maintenir son attractivité pour les investisseurs. 

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