Un budget expansionniste, sur la base d’hypothèse de recettes ambitieuses

Le ministre des Finances par intérim, Piyush Goyal, a présenté le 1er février le projet de loi de finances pour l’exercice 2019/20 (avril 2019 – mars 2020). Adossé à une prévision de croissance nominale de 11,5%, le projet de Loi de Finances table sur une hypothèse de recettes totales[1] en hausse de 14,3 % à 19 777 Mds ₹ (242 Mds €) tandis que les dépenses devraient enregistrer un essor de 13,3 %, par rapport aux chiffres révisés de l’exercice 2018/19, pour s’établir à 27 842 Mds ₹ (340 Mds €).

La hausse des recettes se base notamment sur une hausse attendue de 15 % des rentrées fiscales pour l’exercice 2019/20, à 17 051 Mds ₹, nettes des dévolutions vers les Etats[2] (+13,5 % à 25 521 Mds ₹ en termes bruts). Quant aux recettes non-fiscales, leur progression devrait atteindre 11,2 % selon les projections du ministère, à 2 727 Mds ₹ sur l’exercice 2019/20. En contrepoint, l’augmentation des dépenses repose quant à elle, en termes fonctionnels, sur un nombre de postes relativement restreint : outre les charges d’intérêt (+13,2 % par rapport au budget révisé à 6 650 Mds ₹, soit 23,9% du total) et l’allocation à la défense (+7 % à 3 053 Mds ₹), les dépenses seront notamment tirées par le poste des subventions à l’aune de la hausse des subventions aux produits pétroliers (+50,9 % à 374 Mds ₹), aux fertilisants (+7 % à 745 Mds ₹) et aux produits alimentaires (+7,5 % à 1 842 Mds ₹). De plus, les transferts en direction des Etats s’affichent en hausse de 18,1 % pour ainsi atteindre l’équivalent de 1 668 Mds ₹ sur l’exercice 2019/20. L’allocation consacrée aux infrastructures devrait, pour sa part, afficher une expansion soutenue sur l’exercice 2019/20 : le budget d’investissement des chemins de fer devrait être porté de 551 Mds ₹ (chiffre révisé pour l’exercice actuel) à 668 Mds ₹, qu’accompagneraient près de 830 Mds ₹ d’allocations budgétaires pour celui des routes (+ 5,6 %) alors que les infrastructures urbaines devraient disposer d’une enveloppe en hausse de 11,8 % à 480 Mds ₹.

Doté d’un fort accent agricole

Dans un contexte pré-électoral, les dépenses sont également impactées par le rehaussement substantiel de l’enveloppe consacrée aux thématiques agricoles et rurales : le ministère de l’Agriculture, dans le sillage du nouveau programme de transferts monétaires (voir ci-dessous), est notamment crédité d’un budget de 1 296 Mds ₹, soit une hausse sensible de 91,1% ; le ministère du Développement rural, pour sa part, hérite d’une enveloppe en hausse de 4,7 % à 1 176 Mds ₹ alors que celui de l’Agroalimentaire affiche une allocation de 12 Mds ₹ (+19,7 % par rapport aux chiffres révisés pour l’exercice 2018/19). A cet aune, il convient de noter la mesure la plus emblématique, élaborée pour répondre au malaise de cette frange rurale de l’électorat traditionnel du BJP, ainsi qu’aux critiques envers l’efficacité du précèdent programme sur la hausse des « prix minimums de soutien » (MSP), soit la mise en œuvre de transferts monétaires directs sous conditions, via le programme « PM KISAN Yojna  »[3]. Cette annonce, à lire en parallèle du relèvement de l’enveloppe consacrée aux subventions alimentaires directes (+ 5% à 1 842 Mds ₹), représenterait un coût de l’ordre de 750 Mds ₹ sur l’exercice 2019/20 (environ 9,4 Mds €).

Autre annonce très commentée, celle d’un programme d’assurance retraite « Pradhan Mantri Shram Yogi Mandhana Yojna », qui vise les travailleurs du secteur informel âgés de plus de 60 ans. Ce nouveau programme permettrait de bénéficier d’un régime à prestations définies, qui serait indexé sur le nombre d’années de cotisation. Le montant des versements opérés serait également abondé de leur côté par les autorités.

Enfin, dernière mesure emblématique de ce budget intérimaire, on notera la baisse annoncée du seuil d’éligibilité à l’imposition pour les personnes. Ainsi, le seuil d’imposition à l’IR est relevé à hauteur de 500 000 ₹ (environ 6 100 €). On notera en outre la mise en place d’une décote de 50 000 ₹ pour les contribuables qui restent soumis à l’impôt sur le revenu, ainsi que la décision de ne plus imposer les résidences secondaires à l’impôt immobilier. Le ministère des Finances a, par ailleurs, annoncé une subvention à hauteur de 2% pour les nouveaux emprunts à destination des PME inscrits au registre de la GST.

Qui induit une déviation risquée par rapport à la trajectoire de consolidation des finances publiques

Au total, le solde des administrations centrales serait donc déficitaire de 7 040 Mds ₹ (86 Mds €), soit 3,4% du PIB. Il marquerait ainsi, à l’instar de l’exercice 2018/19 ou la cible de déficit a également été revue à la hausse (+0,1 point à 3,3 % du PIB), une déviation par rapport à la trajectoire de consolidation des finances publiques, qui prévoyait de ramener le solde budgétaire à 3,3 % du PIB. Le ministère des Finances envisage de couvrir l’intégralité de ce déficit au travers de sources internes, avec un total d’émissions obligataires porté à 4 730 Mds ₹.

Un relâchement qui doit être remise en perspective au regard de plusieurs facteurs de risques

On relèvera, en premier lieu, que le budget intérimaire proposé par le Ministère des Finances est caractérisé par une dissymétrie croissante au regard de la forte hausse des dépenses courantes, qui devraient reposer, au-delà de l’hypothèse de croissance soutenue des recettes fiscales, sur des ressources momentanées via les recettes non-courantes.

En effet, la hausse des dépenses courantes, sous l’impulsion du nouveau programme phare de transferts monétaires directs « PM KISAN Yojna » et de la hausse des subventions, serait notamment financé par la hausse attendue des revenus non-fiscaux (soit non-courants) alors que les hypothèses associées à ces derniers apparaissent peu crédibles : + 14,1% à 1 360 Mds ₹ pour les bénéfices et dividendes de la RBI et des entreprises publiques, + 12,5% à 900 Mds ₹ pour les recettes de privatisation. Notamment, les derniers chiffres du CAG indiquent un taux de recouvrement de ces dernières à hauteur de respectivement 55 et 43 % fin décembre (soit à trois mois de la clôture de l’exercice budgétaire actuel), à 590 et 342 Mds ₹.

A cet égard, l’objectif du gouvernement quant aux recettes issues des privatisations apparait particulièrement optimiste dans un contexte où le gouvernement peine à mettre en place son projet de privatisation de la compagnie aérienne publique « Air India », en raison du désintérêt manifeste des investisseurs privés. A l’inverse, l’objectif de recettes issues du dividende de la Banque centrale parait tenable : en effet, alors que le versement de ce dernier a nourri le conflit entre la RBI et le gouvernement, et contribué à la démission du Gouverneur Urjit Patel, le gouvernement semble avoir eu gain de cause et via le nouveau[4] versement d’un « bénéfice exceptionnel » avant la clôture de l’exercice budgétaire actuel. En effet, l’Institut d’émission devrait octroyer entre 280 Mds ₹ de dividendes au gouvernement indien en mars prochain, peu avant la fin de l’exercice budgétaire 2019 (avril 2018 - mars 2019).

Enfin, le gouvernement a également fait pression sur les grandes compagnies publiques afin qu’elles maximisent leurs versements de dividendes avant la fin de l’exercice[5]. Malgré ces efforts, les dividendes versés au gouvernement central par les sociétés publiques (CPSE) devraient se situer en-deçà de la cible fixée dans le cadre de la loi de finances. En effet, les dépenses réalisées par ces entreprises, qui prennent en charge une part croissante de l’investissement public, ont entraîné une déliquescence des excédents de trésorerie et devrait entrainer une baisse des dividendes versés à l’Etat central.

On relèvera, en outre, que le Contrôleur général a récemment mis en exergue des manœuvres opaques du gouvernement qui consisteraient au basculement de dépenses courantes (dont notamment celles-liées aux subventions) vers l’exercice suivant. En effet, le gouvernement a récemment signalé son intention de basculement des dépenses liées aux subventions du secteur pétrolier vers la loi de finances 2020 : Inquiet de la hausse sensible du coût associé à ces subventions, qui devraient à elles seules atteindre à 460 Mds ₹ (contre 250 Mds prévus par la loi de finances) du fait de la remontée des cours, le gouvernement souhaiterait ainsi renverser 220 Mds INR au budget de l’exercice suivant (2019/20).

Ou bien hors du budget par un recours croissant aux entreprises publiques. En effet, le gouvernement devrait lever plus de 270 Mds ₹ (plus de 3 Mds €) afin de financer son programme de subventions alimentaires : alors que les dépenses liées aux subventions alimentaires devraient être plus importantes qu’anticipées et entraîner, de ce fait, un dépassement de la cible de dépenses prévue, le gouvernement souhaite emprunter auprès du fonds national d’épargne, le National Small Savings Fund (NSSF), l’équivalent de 270 Mds ₹ pour permettre à l’agence parapublique en charge de la gestion des subventions alimentaires, la Food Corporation of India (FCI), de rembourser ses emprunts. Cette opération, déjà été effectuée lors du précédent exercice budgétaire à hauteur de 250 Mds, avait notamment permis au gouvernement indien de ne pas inscrire les charges d’intérêts au titre des dépenses publiques, via l’utilisation d’un intermédiaire institutionnel comme le NSSF.

En outre, le déficit budgétaire pourrait se creuser à l’aune des nouveaux programmes déployés par les Etats-fédérés. Le Budget indique, à cet égard, une dotation budgétaire pour les Etats-fédérés à hauteur de 8 446 Mds ₹ (105 Mds €), dont 1 012 Mds ₹ au titre des compensations versées aux Etats dans le cadre de la GST. Toutefois, on notera l’absence de ligne budgétaire en vue de la couverture du coût des exonérations de dette (loan waivers), qui restera donc à la charge exclusive des Etats. Ainsi, l’équilibre des finances des Etats fédérés, qui affiche d’ores et déjà une orientation expansionniste sur l’exercice actuel[6], demeure d’autant plus un facteur de risque que le coût des mesures de remise de dettes[7], ainsi que les éventuels programmes de transferts monétaires directs qui pourraient découler de la proposition du gouvernement, risquent de porter préjudice à l’équilibre budgétaire.

Les commentaires de la presse économique ont, dans l’ensemble, souligné l’orientation orientation électoraliste de ce projet de Loi de finances. La plupart des observateurs s’accordent par ailleurs pour reconnaître dans le budget une dimension électoraliste : Business Standard indique ainsi en première page au lendemain de la présentation du budget « Budgeting for votes », The Economic Times souligne en parallèle « Modi Begins Vote Count » tandis que The Hindu propose un titre laconique « Sop Opera ». La presse a notamment mis en exergue les incertitudes afférentes au financement (ainsi qu’à l’efficacité) des mesures-phares de cette Loi de Finances intérimaire dans un contexte où la plupart des commentateurs s’accordent sur les marges de manœuvre restreintes auxquelles fait face le gouvernement et qui pourraient, in fine, entrainer une déviation plus importante que prévue du déficit budgétaire.



[1] Pour rappel, les recettes collectées au titre de la GST sur l’exercice actuel (2018-19) sont estimées à 6 440 Mds ₹, soit un écart par rapport à la cible prévisionnelle de l’ordre de 1 000 Mds ₹.

[2] La part des impôts destinée aux Etats a enregistré une hausse de 10,9% à 8 446 Mds ₹ (alors qu’elle a été revue à la baisse pour l’exercice actuel).

[3] Le gouvernement propose ainsi l’introduction d’une allocation de 6 000 ₹ par an (75 €), versée directement sur le compte bancaire, à l’attention de 120 millions d’agriculteurs qui posséderait moins de 2 hectares.

[4]  Le gouvernement a déjà bénéficié en 2018 d’un « dividende exceptionnel » de 100 Mds ₹ (1,25 Md €) dès le mois de mars, soit un cinquième du dividende total qui avait alors été versé par l’Institut d’émission sur l’ensemble de l’exercice comptable juillet 2017/juin 2018 (alors que la clôture de l’exercice budgétaire intervient le 31 mars).

[5] Une dizaine d’entre elles (ONGC, IOC, NHPC, Coal India, Oil India Ltd, BHEL, NALCO, NLC, Cochin Shipyard et KIOCL) ont récemment annoncé des rachats de parts qui devraient, au total, rapporter près de 50 Mds ₹ aux administrations publiques.

[6] Le déficit budgétaire des principaux Etats fédérés auraient progressé de 8,3% sur les six premiers mois de l’exercice budgétaire (avril 2018/mars 2019) selon les chiffres du contrôleur et auditeur général des comptes (CAG), agrégés par l’agence de notation ICRA pour 20 des 29 Etats.

[7] Les gouvernements du Chhattisgarh, du Madhya Pradesh et du Rajasthan ont annoncé, suite à la victoire du parti du Congrès aux élections régionales de décembre dernier, des annulations de dette d’un montant total estimé a minima à 800 Mds ₹ (10 Mds €). Suite à ces annonces, le gouvernement de l’Assam a fait savoir, à son tour, qu’il offrirait à ses agriculteurs des remises de dette susceptibles d’aller jusqu’à 25 000 INR par individu, tandis que celui du Gujarat a, pour sa part, décrété l’annulation de 6,5 Mds ₹ d’arriérés de paiement liés aux factures d’électricité.