Le Kenya a connu une décennie de très forte croissance qui lui a permis d’accéder au rang de pays à revenu intermédiaire en 2016. Cette performance est le fruit d’une stratégie axée sur les investissements publics massifs, initiée en 2008 sous le nom « Vision 2030 ». Fondée sur une politique budgétaire expansionniste, elle atteint aujourd’hui ses limites. Elle a conduit à un accroissement rapide de la dette publique et à une dégradation des finances publiques. La soutenabilité de la croissance kényane dépendra donc de la capacité du pays à repenser le modèle : le secteur privé doit désormais prendre le relai, tant sur l’investissement que sur la création d’emplois.  

Or, le développement du secteur privé est fortement pénalisé par des contraintes à la fois structurelles et conjoncturelles. Structurellement, le secteur est largement dominé par l’informel, qui continue d’ailleurs de progresser : il emploie 83 % de la population active, contre 78 % au début des années 2000. Cette progression s’explique d’abord par la démographie : alors que 900 000 jeunes arrivent sur le marché du travail chaque année, seuls 85 000 nouveaux emplois formels[1]sont créés. Elle témoigne aussi de l’incapacité de l’Etat kényan à penser la question clé de la structuration du tissu de PME : aucune incitation fiscale et réglementaire n’a à ce jour été proposée ; et seule une minorité d’entrepreneurs a accès à la formation professionnelle. Plus conjoncturellement, l’accès aux financements, déjà difficile pour les entreprises, s’est encore réduit avec la mise en place de la loi d’encadrement des taux bancaires en septembre 2016.  

Dans ce contexte, nous avons souhaité évaluer l’impact réél et potentiel du private equity sur le financement de la PME kényane. Le SER de Nairobi a ainsi rencontré une trentaine d’acteurs institutionnels et privé durant l’été 2018 dont 12 fonds d’investissement. Le capital-développement s’est considérablement développé ces dernières années : alors que le Kenya concentrait moins de 8 % des investissements en private equity sur l’ensemble de l’Afrique subsaharienne en 2008, ce chiffre s’élève désormais à plus de 20 %.

Sur le fond, il semble être l’outil le mieux adapté aux PME : c’est aujourd’hui le seul qui lie la mise à disposition de financements à des impératifs de structuration de l’entreprise dont l’atteinte est rendue possible par un accompagnement de proximité. C’est d’ailleurs Proparco qui sera chargé de décliner sur le plan opérationnel, le milliard d’euros en fonds propres octroyé aux PME africaines, faisant suite à l’annonce du président Macron lors de sa venue à Ougadougou en novembre 2017.

Toutefois, au Kenya, le capital-investissement s’est polarisé autour d’un segment de niche au regard de la réalité de l’économie kényane, celui des entreprises déjà établies de taille significative, formalisées, peu endettées, disposant de revenus en devises, avec de fortes perspectives de croissance, un plan d’affaires solide, et capables d’absorber un ticket d’au moins 5 MUSD. Ces critères sont aujourd’hui remplis par moins de 1 % des entreprises kényanes. Il en découle une compétition accrue sur un secteur quasi-saturé. L’impossibilité à élargir la cible est d’abord structurelle : les fonds d’investissement sont soumis à de fortes exigences de rentabilité sur des délais relativement courts (5/7ans). De plus, les management fees calculés au prorata du montant total de l’enveloppe allouée à chaque fonds successeur encouragent les gestionnaires à se positionner sur de gros tickets pour limiter les coûts de transaction.

Si l’offre doit évoluer pour mieux s’adapter à la réalité de l’entreprenariat africain, il convient aussi de s’attacher à faire évoluer la demande : faire croitre les petites entreprises actuelles, les inciter à se structurer et à se formaliser.



[1] Le PNUD a estimé à 35 % le taux de chômage pour les 18-25 ans.