À l’échelle africaine, le Kenya se positionne dans le premier tiers des pays les plus avancés dans le processus de transition démographique, transition amorcée à la fin des années 70 et caractérisée par la baisse continue du taux de fertilité, estimé à 3,8 enfants par femme aujourd’hui contre 8,0 enfants en 1975. Le Kenya est ainsi aujourd’hui en plein milieu de sa transition démographique, qui devrait s’achever d’ici une quarantaine d’années. Cette dynamique se traduit en premier lieu par une forte hausse de la population active relativement aux populations dites « dépendantes » et, ainsi, par des flux d’actifs considérables sur le marché du travail chaque année. Une telle mutation démographique a des impacts économiques majeurs qui peuvent soit se révéler très positifs si le marché pourvoit suffisamment d’emplois pour absorber les cohortes de jeunes, soit représenter un réel facteur de déstabilisation dans le cas contraire. La notion de « dividende démographique » renvoie au premier scénario. Le terme fut popularisé dans les années 80, pour souligner le rôle de la démographie dans l’essor économique des Tigres Asiatiques[1]. De nombreuses études ont en effet montré que le dividende démographique fut un facteur clé du décollage économique de l’Asie de l’Est et du Sud-Est[2].

Or, à ce jour, il est clair que le marché du travail kényan ne crée pas suffisamment d’emplois. A titre d’exemple, 85 000 nouveaux emplois formels ont été recensés en 2016, un chiffre à mettre en regard du million de jeunes qui arrivent chaque année sur le marché du travail et jusqu’en 2045. Dans ce contexte, le secteur informel progresse régulièrement, atteignant 83 % de l’emploi total et agissant aujourd’hui comme un stabilisateur économique et social puissant. Dans son sillage, il entraîne avec lui une hausse du sous-emploi : une jeunesse, de plus en plus éduquée, migre vers les villes pour trouver des emplois de qualité mais, face aux difficultés d’accéder à l’emploi formel, se reporte sur des emplois faiblement productifs qui ne correspondent ni à ses attentes, ni à ses compétences. Autre conséquence de la difficulté pour l’économie kényane de générer suffisamment d’emplois formels, le chômage augmente et touche principalement les jeunes : le PNUD a estimé à 35 % le taux de chômage pour les 18-25 ans.

Trois orientations pourraient être prises pour éviter que le dividende ne devienne un fardeau démographique : (i) améliorer la qualité de l’environnement des affaires: de nombreux goulots d’étranglement freinent encore le développement du secteur privé et la formalisation de l’économie de façon générale ; à titre d’illustration, les réglementations imposées en 2007 par le nouveau code du travail auraient dissuadé une partie des entreprises du secteur informel de se formaliser ; (ii) faire progresser l’agriculture sur les chaînes de valeur : l’amélioration de la productivité agricole et le développement d’activité à forte valeur ajoutée peuvent permettre d’augmenter sensiblement le revenu des agriculteurs et, partant, limiter l’exode de la jeunesse vers les villes ; (iii) renforcer la formation technique et professionnelle : en dépit des efforts réalisés au cours des dernières années, le système national présente de vraies carences ; des réformes profondes doivent être envisagées pour améliorer la qualité du facteur humain tout en assurant une meilleure adéquation entre l’offre et la demande de travail 


 

[1] Corée du Sud, Taïwan, Hong Kong, et Singapour.

[2] Selon l’étude de Bloom et Williamson (1998), un tiers de la croissance économique de l’Asie de l’Est et du Sud-Est de 1980 à 1990 est imputable à la modification des structures d’âge de la population. Selon l’étude de Mason (2005), axée sur une méthodologie de comparaison des taux de croissance, cette part s’élève à un quart.